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Le secteur coton : première victime de la Covid-19 et de l’instabilité au Mali

La transition politique du Mali, quelles que soient sa forme et sa durée ne pourra pas faire l’économie des urgences économiques, dont celle relative au secteur coton. La baisse des surfaces en coton de près de 80% est due aux conséquences de la Covid-19, mais aussi, et surtout à l’impertinence des choix politiques. La relance de la culture du coton, seul secteur d’activité contribuant significativement à la croissance économique du Mali et dont les revenus et capitaux appartiennent majoritairement aux Maliens, ne pourra pas attendre la fin de la transition.

 

La fixation du prix au producteur à 200 Fcfa, contre 275 Fcfa la campagne précédente, a suscité de virulentes protestations des agriculteurs à la base alors que leurs faîtières nationales avaient acté cette baisse. L’instabilité politique qui a finalement occasionné un changement de régime bien qu’étant une des causes de la gestion chaotique de la campagne cotonnière 2020 peut avoir des effets négatifs sur les campagnes prochaines si des mesures correctives ne sont pas prises. Les producteurs de coton risquent d’être les victimes oubliées de la crise de la Covid-19 et de la transition politique qui s’annonce alors que ce secteur est vital pour les exploitations agricoles, mais aussi la sécurité alimentaire et la stabilité sociale pour tout le pays.

Importance du coton
Au Mali, le coton est cultivé par plus de 200 000 exploitations agricoles familiales dans la partie sud du pays. La zone est organisée en quatre filiales, 41 secteurs d’encadrement et 520 zones de production agricole regroupant plus de 4.000 villages. L’encadrement de la production, la commercialisation du coton-graine, l’égrainage et la vente de la fibre sont assurés par la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT) en partenariat avec la Confédération des sociétés-coopératives des producteurs de coton (C-SCPC) et l’Office de la Haute Vallée du Niger (OHVN).

On parle plus souvent de système coton grâce au caractère intégré de la culture. Cette intégration se fait dans la rotation entre le coton et les céréales (maïs, mil et sorgho) et entre les productions végétale et animale grâce à l’intégration agriculture-élevage. La production de 2019 était de 723 mille tonnes de coton-graine et environ 2,5 millions de céréales. Chaque habitant de la zone cotonnière, en plus de ses propres besoins, peut assurer la sécurité alimentaire pour un Malien supplémentaire sur la base de la norme de 190 kg de céréale par personne et par an fixée par le Comité inter-états de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS). Ainsi, le coton qui fait vivre près de 5 millions de Maliens, a apporté un revenu monétaire net d’environ 100 milliards de liquidités aux producteurs en 2018 et 271 milliards de recettes d’exportation au Mali en 2019.

La fixation du prix au producteur
Depuis la fin des années 1980, le prix d’achat du coton-graine auprès des producteurs est indexé au prix sur le marché mondial. Seulement 2% de la production sont consommés par l’industrie et l’artisanat textiles, le reste est exporté. Ceci crée naturellement une dépendance vis-à-vis du prix sur le marché mondial.

Chaque année, entre avril et mai, les acteurs de la filière coton (CMDT, OHVN et C-SCPC) fixent, en accord avec le gouvernement, le prix d’achat du coton graine. La garantie d’un prix d’achat intéressant dès le début de la campagne est encourageante pour les producteurs. Ce prix est fixé sur la base des critères de rémunération des efforts des producteurs, d’équilibre financier de la CMDT et du prix du coton sur le marché mondial.

En plus, au même titre que les autres productions agricoles, le coton bénéficie de la subvention des engrais de 50%. Mais en 2020, dans le cadre des accords avec la Banque mondiale, le gouvernement a décidé de suspendre la subvention des engrais. C’est sur la base de ces considérations que le prix du coton a été fixé d’abord à 200 F/kg puis à 250 Fcfa. Le prix du kg de fibre de coton est passé de 924 Fcfa à 557 Fcfa, soit une perte de 367 Fcfa par kg entre avril 2019 et avril 2020.

Les conséquences de la baisse du prix au producteur La baisse du prix au producteur annoncée en mai 2020 (de 275 à 200 Fcfa) était d’une ampleur inégalée jusque-là : une perte de 75 F au kg d’une campagne sur l’autre, soit une baisse de 27% entre 2019 et 2020. En brut, cette baisse devrait occasionner une perte de 54 milliards sur la base d’un objectif de production de 720 000 tonnes de coton-graine. Au niveau des agriculteurs et de leurs familles, sur la base d’un taux d’endettement de 48%, la chute allait se traduire par une perte nette de 28 milliards de francs CFA de revenu liquide. Quel secteur peut compenser une perte de revenu de cette ampleur dans les zones sud du Mali ?

Pour soutenir les producteurs, l’État avait proposé un soutien de 10 milliards sous forme d’un complément de prix de 15 Fcfa par kg, mais en contrepartie, il allait supprimer la subvention des engrais. En somme, par simple jeu arithmétique, on enlève de la main gauche ce qu’on met dans la main droite.

Des efforts louables, mais pas suffisants
Après moult péripéties, le gouvernement a revu le prix à 250 Fcfa le kg et maintenu la subvention de 50% des engrais sur le coton un dimanche 7 juin dans l’après-midi. Il a agi plus sous la pression des agriculteurs et de la contestation politique qu’en raison d’une politique volontariste de développement économique pourtant nécessaire si on observe bien l’apport du secteur coton à l’économie malienne.

Les responsables de la filière misent sur un gain de productivité grâce à l’augmentation du rendement à l’hectare pour équilibrer les comptes d’exploitation des producteurs. C’est un choix classique en cas de baisse de prix, mais sauf que les marges de gain sont limitées. En effet, depuis les années 2000 où on a constaté la baisse des rendements en coton, les efforts pour l’amélioration des itinéraires techniques n’ont pas permis d’aller au-delà d’un rendement moyen d’une tonne à l’hectare.

Une menace pour l’équilibre technico-économique des systèmes de production
L’une des clés de succès de la culture du coton au Mali est son insertion dans un système avec les céréales (maïs, mil et sorgho) et l’élevage. Grâce à cette diversification dont le coton est le moteur, les systèmes cotonniers arrivent à produire et survivre depuis un demi-siècle dans les mêmes zones contrairement à d’autres régions du monde comme l’Amérique latine ou l’Asie où le coton fut une culture de front pionnier. Dans ce contexte de prix peu favorable, la principale question est la suivante : les agriculteurs pourront-ils s’engager à atteindre les 720 000 tonnes de prévision ? L’histoire agraire récente de la zone montre que non.

Quand le coton éternue, les systèmes de production tremblent, car c’est grâce à la culture du coton que les producteurs ont accès aux intrants pour les autres cultures notamment le maïs. Par exemple en 2001, la production de maïs a baissé de 150 000 tonnes à cause du boycott de la culture du coton par les agriculteurs. La reprise de la culture du coton l’année suivante a engendré une augmentation de 32% de la production de maïs. Sur la base du même raisonnement, on peut s’attendre à une baisse des emblavures en coton donc en maïs dont les conséquences peuvent aller jusqu’à une perte de 40% de la production en céréales.

Le risque de voir les systèmes de production rentrer dans un nouveau cycle d’instabilité existe si la baisse du prix mondial n’est pas accompagnée d’un appui public fort présentement, mais aussi, et surtout les prochaines années. À la date du 20 juin 2020, seulement 26 000 ha étaient semés en coton sur une prévision de 810 000 ha, soit un taux de réalisation de 3,2%. Les agriculteurs doivent convertir les surfaces prévues pour le coton (environ 30% des assolements) en d’autres cultures. In fine, les surfaces en coton n’atteindront pas le tiers des objectifs de la campagne 2020 soit moins de 200 000 ha.

L’épée de Damoclès de la doctrine libérale ou le scénario de 2007
La nouvelle « crise cotonnière » arrive dans un contexte macro-économique difficile. Selon les Nations unies, « la récession économique globale et ses conséquences sur l’économie nationale vont entraîner une chute anticipée de la croissance du produit intérieur brut de plus de 80% : de 5% à 0,9% ». Or en cas de difficultés, l’État se tourne vers les partenaires, dont le Fonds monétaire international et la Banque mondiale qui ne sont pas de bons amis du coton. En effet, lors de la crise de 2007, le président Amadou Toumani Touré avait maintenu un prix au producteur au-dessus du prix mondial malgré la remontrance de la Banque mondiale. Ce choix a conduit la Banque à suspendre le soutien au Mali.

La situation actuelle ressemble bien au scénario de 2007, mais à la différence que la crise de la Covid-19 a ébranlé et interrogé la fiabilité des choix économiques d’obédience libérale. Cette citation de président ATT est encore bien à propos aujourd’hui. « Aujourd’hui, l’or blanc est en train de devenir notre malédiction. Le coton fait vivre près du tiers de notre population : trois millions et demi d’hommes et de femmes ! Comment voulez-vous que nous renoncions au coton ? C’est vrai, j’ai accepté de garantir au paysan un prix supérieur au cours mondial. Comment pouvais-je faire autrement ? Ils se soulevaient ! C’est ça la volonté de la Banque mondiale : une autre zone d’instabilité, dans le Sud de notre pays ? Comment voulez-vous que je les nourrisse ?».

Un risque de déstabilisation sociale à juguler
La crise multidimensionnelle que connaît le Mali le fragilise. Une nouvelle conjoncture économique ne va pas contribuer à stabiliser les régions sud. Il faut des solutions adaptées et construites sur la base de choix politiques pertinents. Comme dans d’autres lieux (Europe de l’Ouest en tête), il appartient à la puissance publique de s’affirmer et de soutenir les secteurs vitaux de l’économie nationale. C’est le choix qu’a fait le gouvernement du Mali en 2007 face aux injonctions de la Banque mondiale.

Aujourd’hui, les normes de gestion des finances publiques ont sauté presque partout y compris dans la sous-région avec la levée des critères de convergence de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). En somme, des questions se posent : les partenaires techniques et financiers du Mali vont-ils aider et/ou accepter que le Mali porte assistance au secteur coton en danger ou au contraire vont-ils sortir les remèdes d’antan, c’est-à-dire l’abandon des producteurs maliens à leur propre sort ? Les autorités transitoires sauront-elles trouver les moyens de sauver ce fleuron de l’économie malienne comme ce fut le cas en 2007 avec le régime d’alors ?

De toute évidence le secteur coton du Mali est très affecté. Au même titre qu’un patient gravement atteint, il aura besoin de soins intensifs et d’assistance de la puissance publique, assistance sans laquelle les difficultés actuelles pourront muter en crise économique grave et l’instabilité sociale. Le traitement commence par anticiper sur les conséquences de la crise actuelle, créer les conditions nécessaires au renouvèlement et à la confiance entre les acteurs de la filière et assurer un soutien public fort pour relancer le secteur.
Les urgences politiques et sécuritaires de la transition politique ne doivent pas faire perdre de vue l’importance de ce secteur vital pour l’équilibre économique et social du pays.

Pr Mamy SOUMARÉ
Chercheur à l’Institut d’économie rurale
Enseignant à l’Université des sciences et
de gestion Membre de l’Académie des sciences du Mali

Source : L’ESSOR

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