Le président camerounais Paul Biya, le plus vieux chef d’Etat au monde fête jeudi ses 92 ans, dont 42 au sommet de l’Etat, en entretenant le flou sur sa très possible candidature à un huitième mandat à l’élection prévue en octobre.
“Le président a déjà dit qu’en temps opportun il fera savoir s’il se porte ou non candidat”, écrivait en janvier le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, René Emmanuel Sadi.
Mais pour beaucoup, y compris dans l’opposition, il n’y a aucun doute: il va se représenter et il va rempiler.
“Dans le contexte actuel, même s’il était étendu sur une civière, le candidat Biya sera réélu”, affirmait l’ancien ministre, Garga Haman Adji au quotidien “Mutations” en juillet dernier, alors que le chef de l’Etat venait de faire voter une loi prorogeant le mandat des députés, suivie par la prolongation des conseillers municipaux. L’élection présidentielle sera donc le seul scrutin universel en 2025.
Et l’usage du conditionnel pour parler de la candidature de Paul Biya est superflu, selon de nombreux commentateurs politiques de ces débats dont les Camerounais sont friands. D’autant que les statuts de son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), le désignent candidat.
Depuis son retour au pays, le 21 octobre 2024 après six semaines passées en villégiature en Suisse et soins médicaux, ses apparitions publiques se sont limitées à quelques photographies officielles au palais présidentiel, un sommet régional à Yaoundé et deux discours à la télévision. Parler de la santé présidentielle est légalement interdit après des rumeurs alarmantes. Et les débats sur une possible succession se sont taris.
“Le chef ne peut pas être absent alors qu’il est vivant, le chef ne peut être absent que parce qu’il est mort”, analyse Brice Molo, un universitaire camerounais chargé de cours à Science-Politique en France. “Il ne peut être en vie qu’en étant président, le seul scénario pour qu’il ne soit plus président, c’est celui de la mort au pouvoir”.
– “Soutien massif” –
Scénario traditionnel depuis que Paul Biya a succédé à Ahmadou Ahidjo, le premier président du pays, le 6 novembre 1982, des voix issues de toute la société ne cessent de l’appeler à se représenter.
“Ma détermination à vous servir demeure intacte et se renforce au quotidien, face à l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés”, a dit le chef de l’Etat dans son discours de vœux, en saluant ce “soutien massif”.
En janvier, les chefs traditionnels lui ont apporté un appui “total et inébranlable”. Des messages fervents sur Facebook estiment qu’il peut “encore brandir deux mandats de 7 ans” parce qu’il est “encore solide”.
Rares sont ceux qui, comme les évêques catholiques, l’appellent ouvertement à passer la main.
“Les angoisses de la très grande majorité des Camerounais se sont transformées en cris de détresse face à la misère qu’ils vivent et à la dégradation de notre beau pays”, s’est inquiétée la conférence épiscopale en pointant la “corruption”, le chômage et les violences meurtrières qui touchent certaines régions du pays.
L’extrême nord du pays subit depuis 2009 des attaques des jihadistes de Boko Haram ou de l’Etat Islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP). Et depuis fin 2016, un conflit meurtrier oppose des groupes armés indépendantistes aux forces de sécurité dans deux régions anglophones de l’ouest.
– Sirènes du chaos –
Paul Biya, lui, a vanté dans son dernier discours “les formidables progrès enregistrés ces dernières années”. D’une voix enrouée, poussive, il a appelé les jeunes à “ne pas prêter l’oreille aux sirènes du chaos que font retentir certains irresponsables”.
Mais le chef de l’Etat redoute peu une opposition atomisée, voix critiques muselées par une répression féroce dénoncée par les défenseurs des droits humains.
Le procès du meurtre de Martinez Zogo, un journaliste enlevé, torturé et retrouvé mort le 17 janvier 2023 s’enlise dans des débats procéduraux.
La candidature déclarée de Maurice Kamto, arrivé deuxième à la présidentielle d’octobre 2018 et détenu pendant neuf mois en 2019 pour avoir contesté ces résultats officiels, se heurte à des conditions légales d’investiture.
Le système, lui, reste immuable: le gouvernement n’a pas été remanié depuis janvier 2019, les sièges de quatre ministres décédés restent vacants, huit des 23 membres du bureau politique du RDPC, de 17 députés sur 180, de cinq des 100 sénateurs n’ont pas été remplacés après leur décès.