Au Mali, le citoyen n’a qu’un seul bien librement possédé: sa voix électorale. Sa voix est d’égal pouvoir à celle de tout autre citoyen, quel qu’il soit. Il sait compter, donc additionner, donc conclure: il y a un vainqueur et des déçus. Mais quand le gagnant est métamorphosé en perdant par la seule grâce du malsain esprit courtisan d’un équipage officiel aux ordres officieux d’une autorité clanique ombrageuse et dispendieuse, le citoyen comprend qu’une calamité morale plus grave qu’une épidémie sanitaire s’abat sur le corps républicain de son pays…et va terrasser sa confiance, son espoir et peut-être son humanité. Il n’est rien, moins que rien après avoir entendu et cru qu’il était identique à ses sœurs et frères.
Il se souvient alors que déjà en 2018, on parlait d’électeurs doublons, de bureaux de vote fantômes voire fermés, de billets-achat de conscience et de quelques autres incongruités et tripatouillages. Et finalement que bien souvent 1 bulletin pour le candidat président sortant dans l’urne était généreusement doublé par l’institution en charge de valider l’élection. Était-ce un miracle? Un mirage? Non évidemment, juste un «petit meurtre démocratique organisé entre amis» pour éliminer, sous prétendue vertueuse transparence et incontestable neutralité, un adversaire à la probité supposée suspecte, à la moralité jugée surfaite et au programme estimé dangereux. L’aristocratie régnante devait trôner encore…et le peuple pourrait grogner- ce qu’il fit durant des semaines -, il se lasserait petit à petit et survivrait, par nécessité économique et urgence sociale, à la mascarade orchestrée de mains de maîtresse en la Cour Constitutionnelle.
Le citoyen pensa alors qu’on ne l’y prendrait plus à ce jeu de dupes à la prochaine échéance. Celle-ci tomba en cette année 2020 pour renouveler l’Assemblée Nationale. Certes il le fallait par respect d’accords, mais les conditions exigées pour la tenue de cette élection lui semblaient ne pas être réunies pour sa réussite: insécurité chronique, instabilité territoriale notoire, fébrilité administrative et hostilité intercommunautaire, entre autres…Et arrivée d’un «ennemi invisible mais redoutable» en capacité de frapper massivement toute population. Le palais tonna de certitudes, son porte-voix-drapeau gouvernemental entonna des refrains rassurants entre des couplets martiaux. Le scrutin se tiendrait coûte que coûte, tout était sous contrôle. «La mise en danger sanitaire» des populations n’était qu’une diatribe d’opposants irresponsables, voire affolés d’un échec électoral prévisible…Comment douter que toutes les mesures de protection ne seraient pas parfaitement opérationnelles? Comment redouter que chaque candidat, même le plus modeste, verrait non garanties son intégrité physique et sa sécurité de déplacement? «Peuple, aie confiance en tes roitelets et ses suppôts régionaux» semblait vouloir l’attendrir la rengaine propagandiste. Pour quels résultats? Le chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, et sa délégation, victimes d’un kidnapping terroriste et meurtrier en pleine campagne électorale. La participation citoyenne frôlant le ridicule à Bamako et le minuscule hors la capitale. La fermeture, parfois sous la menace extrémiste, de centaines de bureaux de vote. Sans oublier la certaine propagation virale faute de matériels et de discipline…
Persévérer dans l’amateurisme sanitaire, l’anachronisme politique, l’autoritarisme étatique et le clientélisme local s’avérait le principe intangible à appliquer pour le deuxième tour. Ainsi sont les ordres malgré le désordre: Le chef de l’opposition toujours détenu – et bien des questionnements sur la lente diligence des autorités à œuvrer à sa libération -, la contamination virale en croissance, la manipulation tacticienne en effervescence pour maîtriser les résultats finaux, entre autres toujours…Le vote eut donc lieu, aussi symbolique pour le pouvoir qu’illogique pour la majorité des populations.
La rumeur populaire bruissait de discrètes confidences comme quoi le pouvoir semblait de mauvaise humeur à l’énoncé des résultats provisoires par une administration comptabilisant et transmettant la réalité des votes. Le peuple s’était-il rebellé? En (grande) partie, oui. Des barons désarçonnés, des alliés marginalisés, une jeunesse émergente…Pas de majorité présidentielle absolue! Le provisoire ne va pas durer longtemps, il n’est qu’illusoire pour le peuple, accessoire pour le pouvoir et va rapidement devenir dérogatoire: la Cour Constitutionnelle va remettre les pendules à la bonne heure en modifiant les aiguilles. Sa présidente montre en la matière un zèle jubilatoire: tout retard de voix présidentielles reprend de l’avance! Un impressionnant travail d’orfèvre, à coups de fallacieux prétextes et d’audacieuses contorsions, quitte même à quelques sérieuses entorses amicales. Certaines relations dites ainsi, si dévouées, parfois même dévoyées, à leur mentor doivent en être encore toutes retournées. C’est vrai, en sont-elles convaincues maintenant, qu’on n’est jamais mieux trahi que par un maître-traître.
Sonnez trompettes de la légendaire et arbitraire renommée de Madame la Présidente de la Cour constituée de plus d’obligés que d’appliqués à faire respecter la Loi: le parti présidentiel a la majorité…en toute honnêteté calculatrice et en toute indépendance débitrice. Après s’être portée à son secours, tout recours est vain contre lui et toute contestation mérite mépris.
La colère gronde cependant, immense et croissante, certes anesthésiée par le confinement et le jeûne. Certains appellent déjà à l’insurrection, d’autres interpellent les autorités en organisant des affrontements violents.
La force de la vérité mérite bien plus que la laideur des mensonges.
Elle pourrait briser les digues qui protègent encore le pouvoir tant le peuple s’est fait voler son vote. Car il ne veut plus que son Mali soit le spécialiste des rapts.
Ousmane Mohamed
Source : le Poing