Le deuxième tour des législatives a été perturbé, dimanche, par des incidents dans le Centre et le Nord qui ont empêché des électeurs de voter. Le taux moyen de participation était de 23,22 %.
Les Maliens ont voté, dimanche 19 avril, pour élire leurs députés, un deuxième tour de scrutin législatif maintenu malgré les violences djihadistes, le nouveau coronavirus et l’enlèvement de Soumaïla Cissé, principal opposant au régime du président Ibrahim Boubacar Keïta.
A Bamako, des bureaux de vote ont ouvert à 8 heures (heure locale et GMT) et fermé à 18 heures, a constaté un journaliste de l’Agence France-presse (AFP). « J’ai voté. C’est important malgré la conjoncture. Il faut de nouveaux députés pour consolider notre démocratie », a déclaré à l’AFP Moussa Diakité, un étudiant de 23 ans.
A la fermeture des bureaux, le dépouillement a commencé, selon les mêmes sources. Les premiers résultats provisoires de ce second tour, après un premier tenu le 29 mars, sont attendus en début de semaine. Le taux moyen de participation était de 23,22 %, a fait savoir dimanche soir, dans un communiqué, la Synergie, une plateforme d’organisations qui a déployé des observateurs pour ces législatives.
Des électeurs privés de vote
Le scrutin a été émaillé d’incidents. A Ouro-Mody (région de Mopti, centre), un président d’un bureau de vote a été enlevé alors que les autres membres et des représentants de la commission électorale étaient « chassés par des hommes armés », ont affirmé à l’AFP un représentant local de la commission électorale et des sources militaires.
Dans les communes de Sosobé et Togorougoumbé (Centre), le vote n’a pas eu lieu à cause des djihadistes qui ont menacé de s’en prendre aux électeurs, ont affirmé des témoins. C’est dans la même zone du centre que Soumaïla Cissé, le chef de file de l’opposition, avait été kidnappé le 25 mars alors qu’il était en campagne. Tous les soupçons pèsent sur le groupe djihadiste d’Amadou Koufa et des négociations sont menées pour sa libération, selon son parti.
Du matériel électoral avait été « saccagé par des inconnus » samedi à Gossi, au sud de Gao (nord), a affirmé à l’AFP un élu local.
Les électeurs n’ont pas voté à Talataye et Ouatagouna, dans le cercle d’Ansongo, dans la région du Liptako située aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso, a fait savoir la Synergie dans son communiqué. Ni dans la commune Gabero (Gao, Nord) et dans plusieurs localités de la région de Tombouctou (nord), selon la même source. Synergie a en outre noté « une démultiplication de la pratique d’achats de vote dans plusieurs centres de vote ».
Plus de décentralisation
La majorité de la classe politique a soutenu le maintien de ce scrutin plusieurs fois reporté. « En démocratie, rien ne vaut la pleine légalité constitutionnelle », a déclaré récemment le président Keïta, dans un message à la nation, masque sur le visage.
L’enjeu est de taille : renouveler un Parlement élu en 2013 et dont le mandat devait s’achever en 2018, et faire avancer l’application de l’accord de paix d’Alger. Celui-ci, signé en 2015 entre les groupes armés indépendantistes et Bamako, prévoit plus de décentralisation via une réforme constitutionnelle qui doit passer par l’Assemblée. Or la légitimité du Parlement sortant est contestée.
Mais comment motiver des Maliens qui remettent en cause la capacité de leurs dirigeants à sortir le pays de la guerre et de la pauvreté ? D’abord concentrée dans le Nord, en proie à des rébellions indépendantistes, la crise a dégénéré avec l’arrivée de groupes djihadistes dans le pays à partir de 2012. La violence frappe quotidiennement le centre et le nord du Mali et les voisins burkinabé et nigérien.
Les attaques contre les soldats et les civils alternent avec les explosions de mines artisanales, les morts se comptent par milliers et les déplacés par centaines de milliers. Vingt-cinq militaires, selon le gouvernement, ont été tués entre les deux tours dans une opération revendiquée par un groupe affilié à Al-Qaida.
Le premier tour du 29 mars a été marqué par des enlèvements de présidents de bureau, le vol et la destruction d’urnes. Dans les zones rurales de Tombouctou, les djihadistes ont conduit de nombreux raids d’intimidation à moto. « Ne votez pas ou vous aurez affaire à nous », disaient-ils aux habitants, selon un rapport interne de l’ONU consulté par l’AFP.
Rapt sans précédent
Un millier de bureaux environ, sur plus de 22 000, n’ont pas ouvert, a admis le ministre de l’administration territoriale, Boubacar Alpha Bah, selon des propos rapportés par la télévision publique. Dans certaines régions du Nord, le large taux de participation (plus de 85 % à Kidaln pour une moyenne nationale de 35,6 %, avec des députés élus avec 91 % ou 97 % des suffrages) laisse envisager « une possibilité de fraude », dit un diplomate sahélien. Dans la capitale, la participation au premier tour a été de 12,9 %. Ces faibles taux de participation sont dans la norme malienne, rappelle M. Sangho. Sur les 147 sièges de députés, 22 ont été pourvus au premier tour.
Parmi eux : le chef de file de l’opposition. « Soumaïla Cissé est un gros poisson qui pourra être échangé contre d’autres gros poissons emprisonnés », pense Bréma Ely Dicko, sociologue à l’université de Bamako. Son rapt n’avait pas dissuadé les autorités de s’en tenir au calendrier électoral, pas plus que la progression du coronavirus dans le pays.
Le Mali a officiellement déclaré 216 cas confirmés et 13 décès. Comme partout dans le monde, l’inquiétude est grande quant à la capacité de faire face à une prolifération. Un couvre-feu nocturne a été institué, les écoles ont été fermées, des restrictions imposées aux activités.
Mais dans la capitale d’un des pays les plus pauvres de la planète, dont une grande part de la population vit au jour le jour, les marchés, les mosquées, les transports en commun n’ont pas désempli. Le président malien a pris l’engagement que « toutes les mesures sanitaires et sécuritaires requises [seraient] rigoureusement appliquées » dimanche.