Face à l’imposture, il faut un retour aux sources. Le Mali est un pays qui a connu beaucoup de crises au plan politique.
Il faut bien de tact et de précaution, pour comprendre certains agissements de certaines personnes par rapport à eux-mêmes et surtout par rapport à la gestion du pays. Evoquer ces questions n’est pas rétrograde. Bien au contraire. Et la symbolique prend tout son sens quand il s’agit des premières personnalités politiques.
Les évènements vont vite au Mali après la chute du général Moussa Traoré. Le colonel Amadou Toumani Touré prend la tête d’un Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) et le multipartisme est autorisé, dès le 6 avril.
Un an plus tard, en janvier 1992, une nouvelle Constitution qui officialise le multipartisme et un système présidentiel est adoptée par référendum. Entre temps, le 25 mai 1991, l’ADEMA s’est transformée en parti politique, dénommé Adema-Parti Africain pour la Solidarité et la Justice (ADEMA-PASJ).
Le régime de Moussa Traoré est donc tombé très rapidement, non sans avoir joué de la répression: plus de 200 morts, en mars 1991, lorsqu’ordre fut donné à l’armée de tirer sur les manifestants. Le régime est tombé grâce à deux (02) acteurs qui ont travaillé de concert : l’ADEMA, qui a soulevé la rue, et Amadou Toumani Touré (ancien commandant de la garde présidentielle de Moussa Traoré et ancien chef du camp Para 1981, 1984), qui a refusé la répression.
C’est donc sans peine que l’ADEMA-PASJ remportera les premières élections législatives «démocratiques», en mars 1992. Taux de participation 26%. Comme il s’y était engagé en prenant la tête du régime de transition, et au grand étonnement du monde entier, le «militaire» Amadou Toumani Touré laissera le pouvoir à un président civil, démocratiquement élu, en avril 1992.
Alpha Oumar Konaré puisqu’il s’agit de lui, et son parti l’ADEMA, prennent les commandes d’un pays qui sort d’une longue crise politique, mais aussi d’une incroyable transition à l’issue de laquelle l’armée ne s’est pas incrustée au pouvoir.
En cette Afrique des années 90, la donne est importante et à de quoi marquer les esprits, alors qu’au Togo, on ne compte plus les années du régime du général Eyadema, ou qu’au Zaïre actuel RDC, on se désespérait de voir un jour le maréchal Mobutu quitter le pouvoir.
Amadou Toumani Touré (ATT), puisque c’est ainsi qu’on le surnomme, ne manquait pas d’appuis dans l’armée si d’aventure il avait voulu s’éterniser au pouvoir. Lorsqu’il a mis aux arrêts le président Moussa Traoré, il venait tout juste de prendre le commandement du bataillon de parachutistes, après avoir été commandant de la garde présidentielle.
Redonner le pouvoir aux civils était donc un acte volontaire d’ATT, et non pas un geste effectué sous la pression ou en position de faiblesse. Ce bref rappel historique est indispensable pour qui veut comprendre l’absence d’avis de tempête qui prévaut aujourd’hui au Mali entre les partis politiques de la majorité présidentielle et de l’opposition.
On passe rapidement sur les années «Alpha», Alpha Oumar Konaré réélu président dans des conditions difficiles, en 1997. Difficiles car son opposition de l’époque avait vivement contesté la préparation des scrutins législatif et présidentiel, à tel point que les législatives ont été annulées une première fois, et que l’ensemble des véritables opposants avait boycotté la présidentielle.
Le second mandat du président Alpha Oumar Konaré arrivant à son terme, en avril 2002, ce dernier ne se représentera pas, respectant en cela une clause constitutionnelle qui limite à deux le mandat du président. Encore une exception malienne, à l’heure où, du Gabon à la Guinée en passant par le Tchad, sans parler du Togo, les présidents s’accrochent au pouvoir comme les chauves-souris.
Bien fermement. Mais, et c’est là que l’histoire de la vie politique de notre pays est importante pour tenter de comprendre le présent, non seulement Alpha ne se présente pas, mais il n’appuie ni ne soutient aucun présumé dauphin.
Son parti l’ADEMA, déjà miné par le départ fracassant de son ancien président, Ibrahim Boubacar Kéita, qui a créé, en juin 2001, le Rassemblement pour le Mali (RPM), n’en finit pas d’exploser à l’approche de la présidentielle de 2002. Et Alpha Oumar Konaré semblait laisser faire avec un malin plaisir. Les militants et autres cadres de l’Adema s’entre-déchiraient face à la pléthore de postulants à l’investiture du parti, qui, faut-il le noter, est quand même à l’époque le parti au pouvoir.
A Bamako ou dans le Mali profond, l’homme de la rue a tôt fait d’ironiser sur l’attitude du président sortant : Alpha ferait tout pour que la présidence revienne à ATT, qui en cette année 2002 s’est déclaré candidat à la présidence. Comme si, dès 1992, les deux hommes avaient passé un «deal».
Le militaire ATT laissant le civil Alpha prendre le pouvoir à l’issue de la transition, à charge pour ce dernier de le lui «remettre» dix (10) ans plus tard. Aussi, lorsqu’arrive le scrutin présidentiel, en avril 2002, ATT a passé dix ans à faire le facilitateur pour tenter de régler divers conflits en Afrique, et acquis une image d’homme qui met les mains dans l’humanitaire, en s’étant engagé très tôt dans un vaste programme de lutte contre la maladie du ver de Guinée, avec la Fondation Carter.
Sans aucun parti politique, tout juste une association de soutien, dénommée le Mouvement Citoyen, il va affronter une kyrielle de vieux briscards de la politique, et non pas des moindres. Au total, vingt quatre (24) candidats sont en lice pour cette présidentielle inédite où l’on retrouve, un ancien chef d’Etat (ATT), un ancien Premier ministre, Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) Premier ministre sous l’étiquette ADEMA de février 1994 à février 2000, mais aussi Soumaila Cissé, candidat officiel de l’Adema. Dès le départ, on sait que la bataille se jouera entre ces trois-là.
Les seconds rôles étaient tenus par Me Mountaga Tall, président du CNID, qui avait obtenu 11,41% des voix à la présidentielle de 1992, Tiébilé Dramé, président du Parti PARENA mais aussi Choguel Maiga, président du MPR, la formation qui se réclame «héritière» du général Moussa Traoré.
Espoir 2002: Ibrahim Boubacar Kéita (RPM), Me Mountaga Tall (CNID), et Choguel Maiga (MPR), s’ils vont en ordre dispersé à la présidentielle, étaient toutefois membre d’une coalition dénommée «Espoir 2002», qui regroupait une quinzaine de partis .Tous se sont engagés dans cette alliance pour soutenir celui d’entre eux qui parviendra éventuellement au deuxième tour.
Au premier tour de cette présidentielle, disputée, le 28 avril 2002, ATT arrive en tête avec 28,7% des voix. Il devance Soumaila Cissé (21,32%), candidat de l’ADEMA mais qui s’est battu quasiment seul. IBK, très en colère à l’époque, n’est crédité que de la troisième position avec seulement 21% des suffrages.
Entre le premier tour (28 avril) et le second (12 mai), l’on va assister à un formidable jeu d’artistes de la politique au sortir duquel l’électeur de base ne comprendra pas grand-chose.
Et IBK dans tout ça ! Après avoir tant décrié la candidature d’ATT, arguant du retour des militaires au pouvoir, IBK appellera finalement ses électeurs à voter pour le général ATT au second tour, non sans avoir entre temps menacé de faire «bouger» le pays lors d’un meeting dans un stade de Bamako, meeting où tous les membres de la coalition «Espoir 2002» étaient venus dénoncer les fraudes du premier tour. Etonnament, c’est à la suite d’un voyage éclair à Libreville où il a rencontré le président Omar Bongo, que IBK a changé d’avis, cessé de menacer à voter pour ATT.
Choguel soutient le tombeur de Moussa Traoré : Quoi de plus surprenant encore, quand Choguel Maiga soutient lui aussi ATT, le tombeur de Moussa Traoré dont il revendique l’héritage ? C’est donc un président sans parti, sans majorité parlementaire qui accède au pouvoir dans un pays où il existe plus de 100 formations politiques.
Les élections législatives de juillet 2002 mettront en compétition les ténors. Le jeu n’est pas fini. Il va devenir grandiose au moment des législatives. Tous derrière le président Amadou Toumani Touré à la présidentielle, mais chacun pour soi aux législatives. Quand arrive ce scrutin, en juillet 2002, il existe en gros trois grandes coalitions.
La première, Convergence pour l’alternance et le changement (ACC), regroupait vingt huit (28) partis politiques de faible envergure qui affirmaient sans ambages leur soutien au président ATT.
La seconde, Espoir 2002, regroupait les principaux poids lourds de l’opposition du régime Alpha Oumar Konaré, le RPM d’IBK, le MPR de Choguel Maiga et le CNID de Me Mountaga Tall. Leur objectif: la majorité au Parlement pour obliger le président à choisir parmi eux le futur Premier ministre.
Enfin, la troisième grande coalition, l’Alliance pour la république et la démocratie (ARD) s’est forgée autour de l’ADEMA et son candidat battu à la présidentielle, Soumaila Cissé. Au final, après le second tour et de multiples alliances et mésalliances, aucun parti ou groupe de partis n’a obtenu la majorité absolue. Le RPM d’IBK arrive en tête avec 46 députés contre 45 à l’ADEMA, majorité sortante.
Au niveau des alliances, Espoir 2002, piloté par le RPM, totalise 66 sièges contre 51 à son rival, l’Alliance pour la République et la Démocratie (ARD) dirigée par l’Adema. Fin politicien, le président ATT n’a pas une minute affiché sa préférence à l’un ou l’autre des blocs politiques qui se sont forgés au gré de ces élections.
En ce mois d’août 2002, il se retrouve face à un Parlement où aucun parti ni aucun groupe ne peut lui imposer un Premier ministre. ATT n’a aussi surtout pas commis l’erreur de créer son propre parti avant ces législatives. Il est donc le grand chef d’orchestre d’une classe politique qui sort quelque peu éprouvée de cette période électorale.
L’ancien parti au pouvoir, l’ADEMA a certes résisté au naufrage, mais fait rare en Afrique, doit se plier à l’alternance. Les opposants d’hier n’en sont plus vraiment, mais ils n’ont plus accédé aux marches du pouvoir.
Quant aux partis qui se réclament du président, ils sont minoritaires à l’Assemblée nationale. Un autre fait est à souligner à l’issue de ces périodes électorales de 2002. Au sortir de la présidentielle, le président ATT en personne s’était inquiété du faible taux de participation. Ainsi, en 2002, dix (10) ans après avoir pris le pouvoir par un coup de force militaire pour éviter un bain de sang à son pays, le général ATT revient aux commandes.
Le pays est riche, le modèle démocratique malien a des défauts et des faiblesses. On y vote certes, mais dans quelles conditions ? Mauvaises. Le recensement des électeurs, la distribution des cartes électorales, les modalités de décompte des suffrages, tout est à revoir. C’est sans doute un tel désordre qui a découragé les électeurs.
ATT sans parti, sans majorité parlementaire préside aux destinées du Mali. Avec qui va-t-il gouverner ? Et bien avec tout le monde, même avec l’ADEMA dont, rappelons-le, le candidat à la présidentielle, Soumaila Cissé, l’adversaire d’ATT au second tour. Comment faire pour ne froisser personne et s’assurer un consensus ? Une fois élu, ATT va alors chercher comme Premier ministre quelqu’un qui ne fera l’ombre à personne et qui n’aura aucune ambition politique présumée. Qui sera cet homme introuvable ? Mohamed Ag Hamani, ancien ministre et ancien ambassadeur de Moussa Traoré.
Passées les législatives, ATT reconduit Mohamed Ag Hamani au poste de Premier ministre. Ce dernier forme un nouveau gouvernement dans lequel cette fois, des grosses pointures politiques font leur entrée: Choguel Maiga, héritier politique de Moussa Traoré (UDPM), est nommé ministre de l’Industrie et du Commerce.
Les autres poids lourds ne sont pas en reste. Ibrahim Boubacar Kéita (RPM) est élu président de l’Assemblée nationale du Mali et Me Mountaga Tall (CNID), 1er vice-président du Parlement. Et IBK de préciser qu’il n’entend pas «s’opposer» au chef de l’Etat Amadou Toumani Touré, mais «travailler côte à côte avec lui». Fini donc, et bel et bien fini, le temps où dans un stade de Bamako, les ténors d’Espoir 2002 dénonçaient le premier tour de la présidentielle comme n’ayant été qu’une «pure mascarade qui n’avait pour ambition que de procéder à la nomination d’un homme à la présidence de la République».
Après le vrai faux procès de Moussa Traoré (Crimes de Sang et économiques, tenu à Bamako, le 4 juin 1992), Alpha Oumar Konaré gracie l’ex-couple présidentiel, le 29 mai 2002, à quelques encablures de la fin de son second mandat .Voilà pour l’histoire. Il est temps que les Maliens se réveillent !
Safounè KOUMBA