Les récents événements de Niono, le plan intégré de sécurisation des régions du centre (PSIRC), le réforme du secteur de la sécurité… le général de division Salif Traoré, Ministre de la Sécurité et de la Protection civile revient sur ce qui a été fait et, ce qui sera fait. Entretien.
Mali Tribune : Mardi dernier, un camion-citerne a pris feu, causant la mort de 7 personnes et faisant plusieurs blessés graves actuellement en soin à l’hôpital Gabriel Touré. Qu’est ce qui s’est réellement passé ?
Général de division Salif Traoré : Nous présentons d’abord nos condoléances aux familles des victimes et déplorons cet accident dramatique. Il nous revient, en début d’enquête, que le conducteur de la citerne a perdu le contrôle. Il a percuté un poteau et le camion s’est renversé. Le carburant, qui coulait, a finalement pris feu. Ce qui a causé une explosion, causant également la destruction dans un rayon tout autour de la zone. Notre centre de gestion de crise a immédiatement alerté les services de police et de protection civile qui ont pu se déplacer très rapidement sur le terrain. Ainsi, ils ont pu créer un périmètre de sécurité pour la population et secourir ceux qui en avaient besoin. Les passants ont apporté leur concours pour sauver des vies en portant assistance et secours aux autres.
C’est le lieu de féliciter les forces de sécurité dont la police nationale et la protection civile. Nous félicitons et remercions aussi tous ceux-là qui ont contribué d’une manière ou d’une autre. C’est également le lieu d’attirer l’attention qu’en cas de tel drame, ce n’est pas du tout conseillé ou indiqué que les gens soient là à obstruer le passage juste dans le but d’avoir des photos et d’être informés pour informer d’autres. Je pense que lorsqu’il y a un drame, le premier réflexe c’est d’informer les spécialistes et de leur laisser le passage pour leur permettre d’accéder à la scène afin de sauver des vies. Beaucoup de leçons vont être tirées de cela.
La Protection civile a déjà entamé un processus où toutes les unités dispensent des notions de premiers secours à la population locale. Nous allons intensifier cette activité pour que chaque citoyen malien soit informé et averti des premières mesures à adopter en cas de feu, de noyade, de pluie, etc. C’est l’une des premières leçons que nous allons tirer. Mais, des enquêtes sont en cours pour savoir réellement ce qui s’est passé et faire en sorte que cela ne se reproduise plus chez nous.
Mali Tribune : Nous avons appris que des victimes blésées sont à l’hôpital. Avez-vous pris des mesures pour les accompagner ?
Général Traoré : Oui. C’est tout le gouvernement qui était mobilisé. J’ai personnellement fait le déplacement. Les cadres du ministère des Transports étaient aussi sur place. Il y avait également les représentants de la mairie. Au même moment, le ministère de la Santé a envoyé des cadres dans les hôpitaux pour pouvoir porter assistance aux blessés, brûlés à différents pourcentages. La Protection civile a également joué un grand rôle en transportant d’urgence les blessés. La prise en charge des premiers soins a été gratuite au niveau des urgences où tous les services ont été mobilisés.
Mali Tribune : Selon vous, qu’est ce qui est à l’origine des assassinats ciblés et d’autres attaques ?
Général Traoré : Nous n’allons pas démentir en disant que tout va bien. Malheureusement tout ne va pas bien chez nous, malgré les efforts du gouvernement. Ces efforts se traduisent notamment par les lois de programmation militaire et sécuritaire qui nous permettent de recruter chaque année, d’équiper nos forces, de les entrainer et de créer des postes. Malgré tout cela l’insécurité persiste, notamment dans le centre du pays.
Si on remarque bien, on se rend compte que le grand banditisme à considérablement baissé dans les grandes villes. Mais, les attaques et les poses d’engins explosifs improvisés persistent. Cela montre que les questions de sécurité ne sont pas seulement militaires, mais plutôt transversales. Nous avons compris que ce n’est pas en déployant seulement des militaires que nous pourrons bien sécuriser. C’est pourquoi, le gouvernement a adopté une stratégie qui consiste à mettre en place un plan de sécurisation intégré des régions du centre, basé sur quatre piliers : la sécurité (les hommes en uniforme pour rassurer et protéger) ; la gouvernance ; le développement socio-économique (permettre aux populations de travailler et de vivre décemment) et la communication.
Ces piliers sont nécessaires et constituent la stratégie phare du gouvernement pour sécuriser les régions du centre. C’est vrai que ce plan est en œuvre, car nous avons déjà créé plus de 22 nouveaux postes de sécurité là où il n’y en avait pas dans le temps. Peut-être aujourd’hui, certains passent dessus. Toutefois, cela a permis, l’année dernière, que les examens de fin d’année se tiennent et les élections aussi. Malgré tous ces efforts, il y a encore des cas d’attaques. Cela interpelle tout le monde.
A tous les niveaux, personne ne doit se considérer comme étant en marge. Il s’agit de notre pays. La force seule ne suffira pas, malgré qu’elle soit indispensable. Nous allons continuer à mieux former nos éléments et à mieux les équiper, dans le meilleur délai, pour que les Maliens se sentent en sécurité.
Mali Tribune : Pouvons-nous donc dire que le bilan de la loi de programmation de la sécurité intérieure (LPSI), est satisfaisant ?
Général Traoré : Oui. Nous sommes plutôt satisfaits de cette première phase même si l’heure n’est pas encore au bilan. L’objectif principal est de sécuriser la population. Pour pouvoir atteindre cet objectif, nous avons fait le constat que nous n’avons pas suffisamment de moyens. Et la loi de programmation est juste une programmation des actions concrètes. Il s’agit d’abord de prévoir un budget chaque année pour pouvoir recruter et, un autre budget pour les former. Mais aussi de veiller à la formation professionnelle et continue. C’est également de pouvoir construire de nouveaux commissariats, de nouveaux camps de garde, de nouvelles brigades de gendarmerie, etc. C’est de pouvoir acquérir des équipements. Aujourd’hui, le constat est là. A la Protection civile, nous avons équipé entre 2000 et 5000 personnes et payé des types d’ambulances médicalisées que nous n’avions pas dans le temps. C’est une véritable montée de puissance. Egalement, nous ouvrons régulièrement des postes de secours routiers et des centres de secours pour la Protection civile. Pour la police, c’est la même chose. Actuellement, l’attitude des policiers, le nombre de véhicules et le type d’équipement qu’ils ont est le résultat de la loi de programmation de la sécurité intérieure. Il est vrai que la finalité de tous ces moyens qu’on déploie est que la sécurité et le calme reviennent. Il est clair que nous venons de loin. La situation sur le terrain s’était tellement détériorée qu’il va nous falloir plus de moyens et plus de méthodes pour atteindre cet objectif.
Mali Tribune : Malgré tout cela, récemment avec la tragédie de Niono, quelques syndicats de la Police nationale ont réclamé votre départ. Qu’est ce qui fait cela ?
Général Traoré : Je ne dirais pas quelques syndicats, mais plutôt un. Récemment, plusieurs syndicats de la police ont fait une déclaration pour annoncer qu’ils n’ont aucun problème avec la hiérarchie, à commencer par la direction générale de la police et le ministère. N’oublions pas que le ministère n’a pas de syndicat. La police et la protection civile ont des syndicats. Mais, le ministre est au-dessus de tout cela. Le ministre coordonne les actions des forces de sécurité constituées de la police, de la gendarmerie, de la protection civile et de la Garde nationale pour ce qui concerne leur emploi. C’est très clair. Nous sommes là pour tout le monde. Et mon seul objectif est de trouver les ressources financières nécessaires et les stratégies nécessaires pour que la police soit dans les meilleures conditions. Idem pour la gendarmerie, la garde nationale et la protection civile. Nous n’allons jamais abandonner ces agents.
Mali Tribune : Que dites-vous des évènements tragiques de Niono ?
Général Traoré : Ce qui s’est passé à Niono est absolument dramatique et inacceptable. Les uns peuvent avoir des griefs contre les autres. Il y a des voies de recours. Ces recours ne peuvent jamais s’épuiser. On peut faire recours au niveau de la direction régionale, puis chez le directeur général de la police ou au niveau du ministre, ou même au-delà. Je pense qu’il y a toujours des moyens pour atteindre ses objectifs. En aucune manière, la violence envers ceux qui sont là pour vous protéger ne doit être une voie de recours. C’est ce qui s’est passé à Niono.
Loin de nous l’idée de considérer que toute la population de Niono est coupable. Pas du tout. Nous faisons clairement la différence entre la population de Niono et les manifestants de Niono. Avant, moi-même j’avais été à Niono où j’ai été bien accueilli par tout le monde. J’avais rendu visite aux notabilités et à toutes les unités. J’avais pris des engagements pour réhabiliter les infrastructures de certaines unités. Peu de temps après, avant même que les entreprises ne puissent entamer le travail, ce drame est survenu. Les enquêtes avancent bien, beaucoup de suspects ont été appréhendés dont certains qui étaient clairement reconnaissables sur les vidéos publiées par eux-mêmes sur les réseaux sociaux. La justice est en train de faire son travail.
Nous, pas plus tard que mardi dernier, nous avons dépêché sur le terrain tous les directeurs généraux et le chef d’État-major de la garde pour rencontrer les populations et les forces qui sont sur place pour répéter ce message de cohésion. Nous-mêmes, nous allons faire le déplacement bientôt. Nous allons tout faire pour la réouverture très prochainement du commissariat dans de bonnes conditions et nous assurer que cette fois-ci, il y aura une parfaite entente comme cela a toujours été le cas. Il n’y a pas longtemps, le défunt commissaire était félicité par la population. Donc, quand nous avions appris que certains citoyens demandaient son départ, nous avons instruit à la direction générale de la police d’ouvrir une enquête pour savoir ce qui n’allait pas. Je pense que les uns et les autres n’ont pas été suffisamment patients pour attendre les conclusions de cette enquête. C’est vraiment déplorable. C’est un cas de crime que rien ne justifie. Je suis sûr que la justice sera faite.
Mali Tribune : Par rapport à la RSS, on voit tous les efforts qui sont menés. Est-ce que, à ce stade, on peut dire que ça a déjà donné des résultats ?
Général Traoré : La réforme du secteur de la sécurité est beaucoup plus globale. C’est pourquoi, au niveau du gouvernement, nous avons adopté une stratégie nationale pour la réforme du secteur de la sécurité au Mali, parce que chaque pays a une procédure différente.
Dans ce cadre-là, chaque département sectoriel constitue un point focal. Nous, nous sommes le point focal de la réforme de la sécurité intérieure. La loi de programmation est l’instrument phare pour cela, bien qu’elle ne soit pas la seule. Mais, c’est l’instrument phare qui nous permet de façon mesurable de quantifier ce que nous faisons. C’est dans ce cadre que depuis 2017, nous avons une vision très clair du nombre d’éléments que nous pouvons recruter chaque année dans la police et la protection civile parce qu’un budget est identifié et mis en place à cette fin.
Chaque année, nous savons combien nous pouvons mettre dans la formation, dans la réhabilitation des infrastructures ou les nouvelles constructions, dans l’achat des véhicules. Sur ce plan, nous savons que les choses avancent. Tous les Maliens peuvent voir que les choses bougent. Pour preuve, dans un commissariat il y a souvent plus de quatre véhicules. Avant c’était le contraire. Tous les policiers sont armés individuellement. Il y a aussi d’autres types de matériels qu’on ne voyait pas chez nous.
Mali Tribune : Vous avez parlé du plan de sécurisation intégré des régions du centre. Ce plan prend-il en compte le dialogue intercommunautaire ? Parce que nous voyons que c’est à ce niveau qu’il y a beaucoup de difficultés.
Général Traoré : Bien sûr, le plan prend en compte tout cela. Comme je l’ai dit, il repose sur quatre piliers : sécurité, développement, gouvernance et communication. Justement, c’est dans ce volet communication que le dialogue inter et intra-communautaire, le dialogue entre élus et citoyens mais aussi entre gouvernement et citoyens; doivent s’instaurer et se faire. Nous avons même prévu que pour identifier les actions de développement, on doit d’abord passer par le dialogue. Que la population fasse des propositions pour dire ce qu’elle veut. Une première partie de ce dialogue a été déjà conduite. Si l’on considère le document projet officiel du plan de sécurisation intégré, vous allez voir qu’il y a des activités très claires qui sont ciblées.
Dans certaines localités, il nous a été demandé de faire juste un pont, juste un pilonne GSM pour le téléphone, ou encore une antenne relai pour la télé malienne, ou même un parc à bétails. On avait commencé tout cela. Pas seulement le ministère de la Sécurité, mais tous les départements ministériels. En ce qui concerne la défense et la sécurité, il nous a été demandé, à certains endroits précis, d’ouvrir des postes de sécurité et d’organiser des patrouilles dans ces endroits pour rassurer la population. C’est ainsi que des postes, dans la région de Mopti, ont été créés à Kouakrou, Sindingué, Dialloubé, Dioungandi, Diankanbou, etc. A Ségou, il y en a maintenant à Tegrékoundé, Sokolo, Monipebougou, Timissa, Soye. Nous avons ouvert des postes dans toutes ces zones alors qu’elles étaient totalement vides d’une présence sécuritaire. Beaucoup de choses sont faites, même si nous continuerons à réfléchir. Car, il y a encore des actes d’insécurité qui cachent tous ces efforts consentis.
Mali Tribune : Justement, par rapport à ces actes d’insécurité, est ce que dans tous les mécanismes en place il y a un volet anticipation ? Nous avons l’impression que c’est sur ce plan que ça pêche un peu.
Général Traoré : Il n’y a pas longtemps, nous avons créé un Conseil de sécurité nationale au Mali, directement logé auprès du président de la République. L’une des missions essentielles de ce Conseil va être d’agréger tous les services de renseignement du pays afin que toutes les informations qui remontent soient analysées de façon que les décideurs puissent prendre de bonnes décisions au bon moment. En attendant cela, nous avons mis en place ici, au niveau du ministère de la Sécurité et de la Protection civile, un centre d’analyse et de fusion du renseignement qui comprend les chefs des services de renseignement du ministère, mais également les partenaires d’autres services qui sont avec nous.
Les informations viennent, on les transforme en renseignements ici pour pouvoir donner des ordres aux grands directeurs de pouvoir agir sur le terrain. Mais encore une fois, quand on a des complices à tous les niveaux, ça complique la tâche. Il y a vraiment besoin d’une prise de conscience au niveau national pour que tout le monde sache que nous n’avons que ce pays. Nous pouvons nous en sortir. Accompagner les forces de l’ordre et comprenez que cette dynamique d’autodestruction ne nous mènera nulle part si ce n’est effectivement dans le trou.
Propos recueillis par
Alexis Kalambry et
Sory I. Konaté
Mali Tribune