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Le ballet des forces étrangères au Sahel

L’accroissement de la présence militaire occidentale dans la région suscite des critiques de la part des populations locales.

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Les États-Unis peu présents sur le continent africain ? Depuis la bataille de Mogadiscio en 1993, qui avait coûté la vie à 18 soldats d’élite et scellé le retrait américain du continent, la situation semble avoir évolué. Aujourd’hui, l’Africom (commandement des forces américaines en Afrique) ne compte pas moins de 46 bases, définitives ou pas, et plus de 3 000 hommes sur le continent. Mais en dehors d’une base à Djibouti, cette présence est très peu médiatisée et commentée. La mort de trois bérets verts, forces spéciales américaines, ainsi que celle de cinq soldats nigériens, pendant une « mission de formation » de troupes nigériennes le 5 octobre dernier, a donc suscité un étonnement parmi journaux et experts. Pourtant, la présence américaine au Niger n’est pas discrète : 800 soldats américains sont stationnés, dans ce qui est l’un des États les plus pauvres du Sahel (bande désertique dans le centre du continent) et qui fait face à une double menace. Au nord, des groupes jihadistes venant de Libye font exploser la contrebande et les trafics en tous genres. Au sud, Boko Haram et l’alliance islamiste « Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin » menacent de créer un « jihadistan » dans la zone transfrontalière entre le Tchad, le Nigeria, le Niger et le Cameroun.

 

L’insigne de l’opération Barkhane dans la région du Sahel. Benoît Tessier/Reuters

La présence militaire américaine au Niger vise dans ce contexte à fournir « de l’entraînement et de l’assistance à l’armée, ce qui inclut du renseignement, afin d’améliorer sa capacité à assurer la sécurité et la stabilité de la population », explique à L’Orient-Le Jour un porte-parole de l’Africom. Ce dernier exclut tout rôle offensif des troupes américaines, alors que RFI a rapporté que les trois soldats tués participaient à la poursuite de jihadistes. De quoi mettre en évidence le flou qui entoure les opérations de l’Africom. « Les USA ne communiquent pas trop sur les opérations de leurs forces spéciales. La politique du Pentagone est de ne plus donner de chiffres, de garder le profil bas. Mais ils conduisent des missions secrètes avec l’accord du président nigérien », explique Roland Marchal, chercheur au CERI (Sciences Po), même s’il souligne que leur rôle reste majoritairement cantonné à la formation et au renseignement.

Multiplication des présences étrangères au Sahel
Au Sahel, c’est la France qui mène la valse des offensives militaires. Avec son opération Barkhane, forte de 4 000 hommes, elle dispose de loin de la principale force armée occidentale dans la région. Héritière de l’opération Serval lancée au Mali en 2012 afin d’empêcher les jihadistes de prendre Bamako, Barkhane est opérationnelle dans cinq pays du Sahel (le « G5 Sahel » : Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad). Et c’est également l’ancienne puissance coloniale du Sahel qui semble diriger les efforts diplomatiques dans la région, puisqu’elle a réussi à entraîner l’Union européenne dans la danse.

L’UE déploie en effet depuis 2013 plus de 800 militaires et civils pour former les forces de sécurité (armée, police, gendarmerie) au Mali et au Niger. « L’UE se concentre sur l’aspect migratoire et sur les trafics, comme en Libye », explique Roland Marchal. L’Europe cherche donc à résoudre sa crise migratoire, résultant en partie de l’émigration de jeunes sahéliens vers le Vieux Continent, dans une volonté d’endiguer le flux dès son origine, malgré les craintes de défenseurs des droits de l’homme et l’opposition de nombreux pays africains. Les Nations unies sont elles aussi présentes, dans la forme de la Minusma. Près de 11 000 Casques bleus et 1 700 policiers, venus essentiellement de pays limitrophes au Sahel, sont déployés au Mali dans leur mandat de force d’interposition.

Face à la multiplication des interventions étrangères, la France a poussé à la création du G5 Sahel (G5S) en 2014, regroupant la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, dans une alliance politique et militaire. Elle s’est dotée cet été d’une force conjointe de 5 000 hommes (1 000 par pays) qui pourra manœuvrer dans la zone transfrontalière, cible des jihadistes. Mais si la France a cherché par tous les moyens à lui trouver un financement auprès de l’ONU, les États-Unis s’y sont opposés. « L’Hexagone a besoin du G5S pour soutenir l’opération Barkhane, mais sur le terrain, ça fonctionne mal, les forces alliées ne se font pas confiance, il y a des divergences de vision stratégique entre les pays. (Le président américain) Trump, qui critique le multilatéralisme, ne fait pas confiance au G5S », analyse Roland Marchal. La force conjointe se retrouve donc privée des financements de l’ONU à cause de divergences entre Washington et Paris.

Un trop-plein de présence militaire occidentale ?
Si la présence de toutes ces forces étrangères au Sahel a des points positifs, notamment dans la formation des forces de sécurité locales, elle crée des remous dans la population locale. L’accusation de colonialisme n’est pas rare, surtout envers la France, à qui on prête l’intention de vouloir perpétuer la « Françafrique ». Dans un article daté du 17 septembre dernier, le site d’information Slate.fr souligne que la présence militaire française serait actuellement la plus élevée depuis la guerre d’Algérie, et cite Oumar Diallo, un Burkinabé : « Je suis contre cette présence militaire (dans le Sahel) car elle est un moyen armé pour assouvir les desseins inavoués de l’ancienne puissance coloniale. Les interventions dans le centre du Mali ou à Ouagadougou pour stopper l’invasion jihadiste sont un leurre. La réalité est que la France ne veut pas résoudre les conflits armés, mais les « gérer », les instrumentaliser », dit-il.
Certains accusent la France de vouloir défendre ses intérêts économiques, notamment les exploitations d’uranium d’Areva au Niger. « C’est un ramassis d’idées pas totalement fausses, mais pas non plus démontrées par les faits : ça reste du complotisme », souligne Roland Marchal. Selon lui, c’est surtout la mauvaise communication de l’armée qui est en cause : « Les militaires de Barkhane ne prêtent pas vraiment attention aux critiques, et ne réalisent pas que leur présence a un coût politique important. Leur absence de considération pour l’opinion publique locale pénalise les opérations à long terme. »

« Si la situation sécuritaire constitue sa préoccupation principale, Barkhane intervient aussi directement au profit des populations locales sur des aspects complémentaires, répond à L’OLJ la cellule relation médias de l’état-major français, contactée par mail. En effet, des aides médicales gratuites sont régulièrement dispensées dans les régions où les militaires français se déplacent et mènent des opérations. La force Barkhane soutient également, via des actions d’aide au développement, de nombreux projets touchant à l’éducation et aux infrastructures (le barrage d’Etambar par exemple), en lien avec l’Agence française de développement. »

Mais selon plusieurs experts, la présence des armées occidentales et leur approche sécuritaire ne feraient que perpétuer le conflit sans jamais le résoudre. « On ne finance quasiment que le sécuritaire ! Au Mali, on compte les investissements sécuritaires par milliards, pourtant la situation se dégrade », s’exclame Roland Marchal. Avant de conclure : « Les jihadistes s’auto-entretiennent grâce à la colère suscitée par la présence occidentale et l’absence d’investissements dans la gouvernance. Si on continue à faire du sécuritaire, la situation dans 15 ans sera la même, ou pire. Et pendant ce temps, on perd l’appui de la population. »

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