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L’avenir politique au Mali : L’INDISPENSABLE EXERCICE DE VÉRITÉ

Dans la lutte contre le terrorisme comme dans la recherche de la paix dans notre pays, les choses doivent dites dans détour. Pour ne pas se tromper dans le diagnostic

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« Sans colère, ni passion », recommandait la sagesse antique à ceux qui devaient prendre de grandes décisions. Les Anciens qui prodiguaient cette prescription ne pouvaient absolument pas s’imaginer à quel point celle-ci serait aujourd’hui difficile à respecter dans le tourbillon des émotions et des passions qui accompagne désormais chaque événement sortant un tant soit peu de l’ordinaire. La cadence de réaction des décideurs s’est considérablement accélérée sous la pressante pulsion du tam-tam médiatique que battent les chaines d’information en continu. Tam-tam auquel sont venus s’ajouter ces dernières années des réseaux sociaux en perpétuelle éruption.

L’urgence imposée par cette double dictature de la communication s’exerce en général au désavantage de la correcte information du citoyen et souvent au grand dam du politique. En effet, pour tous les intervenants que mobilisent les médias les délais d’analyse se sont considérablement raccourcis et le temps de la réflexion a été pratiquement aboli. Convoqués en principe pour faire comprendre, les experts aussi bien que les preneurs de décision sont littéralement sommés de fournir sur le champ une explication exhaustive qu’ils ne sont objectivement pas en mesure de formuler en raison du peu de recul dont ils bénéficient et du caractère parcellaire des informations dont ils disposent.
L’empressement à opiner, même lorsqu’on a absolument rien à partager, génère des situations frôlant l’ubuesque. Sur des événements extrêmement graves, les premières versions proposées doivent être ensuite fortement remaniées au fur et à mesure que sont faits les indispensables recoupements. Les « spécialistes », talonnés pour se prononcer, abandonnent en rase campagne leur première grille de lecture que les nouveaux éclairages ont rendu caduque et se lancent aussitôt dans un décryptage différent, mais à la validité toujours incertaine.

Ce préambule était nécessaire pour expliquer pourquoi il est indispensable de poursuivre l’analyse des leçons à tirer des tragiques tueries de Paris. Ces événements proposent en effet plusieurs niveaux de lecture (dont certains nous concernent au Mali) et une fois passée la perception purement émotionnelle, il faut continuer à s’interroger sur les répercussions qu’ils auront sur une lutte solidaire contre le mal absolu représenté par le terrorisme. Un mal qui a désormais pris une envergure véritablement planétaire, qui gagne régulièrement en radicalité et qui diversifie continuellement ses modes d’action. Le phénomène a totalement déjoué les prédictions des analystes en cabinet qui depuis 2001 comptabilisent méticuleusement l’élimination de ses leaders, annoncent doctement son affaiblissement et croient voir les prémisses de son dépérissement dans la violence accrue qu’il revêt.

LES CAUSES PROFONDES D’UN MALAISE. Il est désormais impossible de discuter l’implantation durable d’une pratique protéiforme qui démontre une capacité alarmante à se régénérer, à s’adapter et (malheureusement) à attirer dans le camp de l’extrémisme des femmes et des hommes que leurs parcours ne prédestinaient à une métamorphose aussi totale. Les événements de Paris ont obligé l’Occident à se plier à un impératif de lucidité de manière beaucoup plus approfondie qu’il ne l’avait fait jusqu’ici. Le Premier ministre français a notamment eu le courage de poser un diagnostic sans complaisance en utilisant des termes qui ont heurté nombre de personnalités politiques. Lors de ses vœux à la presse, Manuel Valls en évoquant les viviers possibles de candidats au djihad n’avait pas hésité à parler de « ghettos » se trouvant sur le territoire de la République française et surtout de la persistance dans son pays d’un « apartheid territorial, social et ethnique ».

Le chef du gouvernement a soigneusement pesé ses mots, reprenant à cette occasion une analyse qu’il avait déjà faite en sa qualité de maire de la ville d’Evry en 2005. A l’époque, les émeutes dans les banlieues sensibles avaient atteint un tel degré de violence qu’elles avaient obligé le gouvernement à instaurer l’état d’urgence. La mesure était d’une extrême rareté puisqu’elle n’avait été prise qu’une seule fois auparavant depuis que la loi l’avait instituée en 1955. Manuel Valls a fait justement remarquer qu’une fois l’alerte passée, l’inquiétude était retombée. Les autorités ne s’étaient plus intéressées à neutraliser les causes profondes d’un malaise qui demandait une réponse autre que celle strictement sécuritaire.

Le Premier ministre français a raison de vouloir tirer leçon de l’Histoire. Aujourd’hui, une fois passé le grand élan de communion dans la condamnation des tueries qui se sont échelonnées du 7 au 9 janvier dernier, divers signaux se sont allumés qui constituent autant d’appels à la réflexion. La multiplication des témoignages de Français de confession musulmane qui avouent leur malaise devant le regard méfiant trop souvent posé sur eux, les mises en garde de personnalités issues des banlieues qui adhèrent sans réserve à l’analyse de Manuel Valls, la brusque, mais heureusement brève flambée d’islamophobie, le défi ouvertement exprimé par de très jeunes gens à l’endroit de certaines valeurs républicaines représentent autant d’alertes qui sans totalement expliquer la radicalisation de certains font entrevoir sur quel terreau les propagandistes sèment les graines de la haine et de la violence et sur quelles faiblesses ils s’appuient pour obtenir les ralliements à leur sinistre cause.

Dans ce contexte, le parler vrai de Manuel Valls (qui a reçu l’approbation de 54% de ses compatriotes) a l’avantage de provoquer un électrochoc utile, et surtout d’énoncer clairement la complexité des problèmes à résoudre. C’est également à un exercice de vérité pratiqué dans un tout autre style, mais dominé par le même souci de clarification que s’est livré le chef de l’Etat dans son adresse à la Nation à l’occasion de la fête de l’Armée. Evoquant les sacrifices à consentir pour arriver à une paix définitive, Ibrahim Boubacar Keïta a reconnu que parmi les décisions à prendre, certaines s’avéreront extrêmement difficiles. Notamment celles concernant l’intégration des ex combattants des groupes armés. Sur cette question, il est inutile de commenter longuement aussi bien la réticence implicite et compréhensible de la Grande muette que l’hostilité ouverte d’une écrasante majorité de l’opinion nationale. Le président de la République a annoncé qu’il se conduirait autant en chef de famille qu’en chef d’Etat. Autant en fédérateur sachant comprendre les appréhensions, voire les états d’âme des siens qu’en décideur devant arbitrer en faveur des concessions peu populaires.

EN POSITION DE LÉGITIME DÉFENSE. Mais l’entreprise très délicate dans laquelle s’engage le chef des Armées ne peut réussir sans un accompagnement minimum et surtout sincère des groupes issus de la rébellion. C’est pourquoi le président de la République a demandé aux Mouvements de venir à la table de dialogue « franchement », « sans faux-fuyant ». Et surtout d’y être représentés par « les premiers responsables » qui disposeraient un réel pouvoir de décision. Il faudrait en effet rappeler que la phase III du processus d’Alger avait été une séquence désespérément blanche, la Coordination s’étant contenté d’y déléguer des seconds couteaux avec comme unique mot d’ordre de ramener dans le débat le fameux schéma fédéraliste, pourtant rejeté par la Médiation.

Le chef de l’Etat ne pouvait pas non plus dans son adresse passer sous silence les signaux extrêmement négatifs qu’envoie depuis décembre 2014 la recrudescence des actes violents dans notre Septentrion. L’attentat contre le maire d’Anderaboukane, les attaques contre les convois de la MINUSMA et de l’armée malienne, les assauts lancés contre les localités de Nampala, de Ténenkou et de Dioura, la pose des mines, les tirs de mortier sur le camp de Tessalit, les affrontements armés et les tentatives de conquête de positions supposées stratégiques ou symboliques dans les Régions de Tombouctou, Gao et Kidal balisent une accentuation de l’insécurité dans le Nord du Mali et rendent encore plus impérative la signature d’un accord de paix à Alger. Car – et toutes les parties impliquées dans la recherche d’une solution négociée et définitive au Septentrion s’accordent à le souligner -, le premier pas significatif dans le rétablissement de la paix sera une identification sans équivoque des forces en présence, c’est-à-dire une nette distinction enfin établie entre d’une part, les partisans d’un Mali uni et laïc et d’autre part, ceux qui n’ont pas renoncé à leur entreprise de déstabilisation.

Malheureusement, depuis l’adresse du président de la République, la situation s’est encore dégradée. La MINUSMA, placée en position de légitime défense à Tabankort, a été contrainte de détruire un véhicule de la Coordination dont les occupants avaient ouvert le feu contre les Casques bleus. Cet événement a contribué à dégrader davantage la situation des troupes onusiennes à Kidal. Ces dernières pour ne pas affronter les groupes de femmes et d’enfants lancés contre elles sont obligées de se cloitrer dans leur camp, comme l’avaient fait les FAMa avant le revers du 21 mai 2014. Le porte-parole du MNLA a tout logiquement saisi l’occasion pour fustiger ce qu’il désigne comme un parti pris flagrant du contingent onusien en faveur des milices armées et des narcotrafiquants et pour exiger des excuses publiques, la prise en charge des familles des victimes et une enquête internationale sur les circonstances de l’accrochage.

La montée de la tension se constate aussi du côté des mouvements de la Plateforme (MAA loyaliste, CMFPR, GATIA, CPA loyaliste et MPSA). Ceux-ci avaient porté contre la Mission des Nations unies une accusation identique de rupture de neutralité lorsque les troupes onusiennes avaient été empêchées d’attaquer à Ber le MNLA qui s’y serait replié après un raid sur Bamba. Mais aucun acte de provocation n’avait été alors commis par la Plateforme contre les Casques bleus et aucun ultimatum n’avait été adressé à ceux-ci, comme cela sera fait par la Coordination à Tabenkort. Les accrochages armés constituaient une désastreuse tradition à chaque approche de reprise des négociations de paix, chacune des coalitions de mouvements cherchant à se présenter dans la capitale algérienne en position de force. Mais le degré d’intensité qu’ils ont aujourd’hui atteint fait que jamais sans doute depuis la fin de l’offensive Serval, le Nord de notre pays n’avait renoué avec un tel niveau de violence.

DES ACTEURS DÉCISIFS. Car les éléments djihadistes ont, eux aussi profité, de la montée des incertitudes pour intensifier leurs opérations de harcèlement et pour créer un nouvel arc d’insécurité en s’en prenant successivement à Nampala, Dioura et Ténenkou. Il faut le reconnaître, l’attitude peu conciliante adoptée jusqu’ici par la Coordination dans le processus d’Alger fait le jeu des terroristes qui mettent à profit aussi bien la prolongation du cantonnement de fait des forces armées maliennes depuis la conclusion du cessez-le-feu que l’attention prioritaire actuellement accordée par la MINUSMA à son interposition entre les coalitions de groupes armés. Que faut-il dans ce contexte attendre de la Coordination à la reprise des pourparlers en février prochain ? Personne n’oserait avancer une quelconque hypothèse à ce sujet. En effet, depuis le début de la phase II du processus d’Alger, les responsables du MNLA, du HCUA et du MAA belligérant n’ont pas varié dans leur approche stratégique implicite qui a un principal objectif : tirer lors des négociations un bénéfice politique maximum de ce qu’ils considèrent comme leur supériorité militaire acquise sur les FAMa le 21 mai 2014 à Kidal.

Le schéma fédéraliste est en ce sens l’habillage institutionnel choisi par la Coordination pour prendre en charge une triple nécessité. Une nécessité militaire qui est de maintenir dans le Nord du pays tous ses combattants. Ces derniers seraient alors affectés dans « les forces armées et de sécurité de l’Azawad », forces placées sous la responsabilité d’un chef d’état-major de l’Armée de l’Azawad. Une nécessité politique qui est de trouver un point de chute valorisant aux cadres de la Coordination. La création d’un Etat de l’Azawad permettrait d’en récupérer une substantielle partie dans les institutions (parlement, gouvernement et instance judiciaire dont la mise en place est prévue). Une nécessité symbolique enfin avec la légitimation de l’appellation « Azawad » dévolue à une entité étatique autonome.

Aucune option autre que celle du fédéralisme n’offre objectivement un cadre suffisant pour accueillir l’entièreté des revendications de la Coordination. C’est en gardant cette vérité à l’esprit que l’on comprend pourquoi les revendications ont été jusqu’ici portées par des négociateurs ne disposant que d’une marge de manœuvre limitée. Des acteurs décisifs, comme les responsables de l’aile militaire du MNLA et comme Iyad Ag Ghaly dont l’influence sur une bonne partie des troupes du HCUA est de notoriété avérée, restent en effet dans l’ombre. Mais rien de primordial ne se fera sans eux, ni contre eux. Voilà en quoi réside la principale difficulté des pourparlers. Voilà aussi la restriction première à un basique exercice de vérité, exercice qui se pose en préalable à la formulation des incontournables concessions mutuelles.

A ce stade de recherches d’ouvertures décisives, que peut-on espérer de la société civile malienne qui entame cette semaine une tournée d’explication et de prise de contact en Europe sur les problèmes du Nord de notre pays ? Tout d’abord qu’elle fasse entendre la voix d’un pays réel inquiet, mais mobilisé pour préserver son vivre ensemble. Ensuite, qu’elle aide à mieux faire accepter par nos partenaires et amis la complexité de la situation actuelle. Enfin qu’elle fasse admettre que l’Etat malien, à qui revient au premier chef l’obligation de normalisation, soit mis en capacité de remplir toutes ses missions. Voilà trois vérités que les événements ont beaucoup malmenées ces derniers mois. Mais dont il faut inlassablement rappeler le caractère indispensable.

DRABO

Source: Essor

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