Certains indices montrent que les réalités du terrain sont mieux appréciées par nos partenaires. Et rendent les analyses maliennes plus audibles
En Afrique, les chemins de la paix se font de plus en plus escarpés, et aussi de plus en plus tortueux. C’est certainement le moment de se rappeler de cette vérité alors qu’ont repris les pourparlers de la phase II du processus d’Alger. Certes, les conflits internes suscitent dans chaque pays concerné des situations particulières, ne présentant le plus souvent que très peu de similitudes les unes avec les autres. Mais un facteur commun se dégage de manière frappante et il faut apprendre à composer avec lui, car son emprise n’est pas près de se réduire. Dans les confrontations asymétriques qui ont essaimé un peu partout sur notre continent et qui ont acquis une intensité inquiétante, les Etats se trouvent très souvent placés devant un danger, celui d’une éventuel amoindrissement de leur capacité de négociation et d’un possible affaiblissement de leur influence dans l’élaboration des solutions de sortie de crise.
Plusieurs éléments expliquent cette tendance, mais deux nous paraissent essentiels à retenir. En tout premier lieu, la lassitude grandissante que font naître la persistance, le caractère récurrent et la forte intensité caractérisant certaines crises africaines. Il faudrait, par exemple, rappeler que l’instabilité s’est installée en République démocratique du Congo le 6 juillet 1960, soit exactement six jours après la proclamation d’indépendance du Congo Léopoldville d’alors. L’armée, alors encadrée par des officiers belges, entrait en rébellion. Puis le 11 juillet, Moïse Tshombé proclamait l’indépendance de la province du Katanga. Le Sud Kasaï suivait cet exemple le 8 août. La première intervention de l’ONU dans ce pays datait de mars 1963 et elle concernait alors le désarmement des gendarmes katangais. Depuis, le Congo a connu un cycle pratiquement ininterrompu de conflits internes dont les plus mémorables restent certainement les deux guerres du Shaba et les interminables affrontements avec les milices balyamulengué. Les forces onusiennes dévolues au maintien de la paix sont donc passées dans ce pays par plusieurs phases d’évolution au fur et à mesure que se modifiaient les conflictualités et que s’implantaient de nouveaux groupes armés.
La situation n’est guère plus reluisante en Centrafrique où la France, très longtemps présente, s’était essentiellement préoccupée de la stabilisation du pays et avait donc fermé les yeux sur l’instauration d’une gouvernance de très médiocre qualité dont la république paie encore aujourd’hui la rançon, puisque les pratiques douteuses et la totale indifférence aux attentes des populations se sont installées à demeure. L’Etat y a si tragiquement naufragé que les interventions successives de l’ONU et de l’Union africaine – MISAB, MINURCA, FOMAC, MISCA et MINUSCA – ont été impuissantes à enrayer la dérive du pays vers l’abîme.
QUAND L’INFORMATION S’EMBALLE. On pourrait ajouter à la liste des conflits qui durent, la Somalie, pays qui a vu les Casques bleus de l’ONUSOM se joindre aux troupes américaines pour former en 1993 l’UNITAF (United task force) et engager l’opération « Restore hope – Restaurer l’espoir » qui s’acheva en sanglante déroute. C’est seulement aujourd’hui que l’AMISOM – la force africaine de maintien de la paix – mise en place en en 2007 fait naitre un fragile, mais réel début de normalisation. Toutes ces situations sont soumises à la même vérité : moins vite une crise se résout, plus la communauté internationale se satisfera d’une issue acquise à coups d’expédients.
Cela est d’autant plus compréhensible – et c’est là le second élément -, que l’actualité est présentement parcourue par des montées de fièvre de plus en plus rapprochées, de plus en plus complexes et qui déplacent constamment le curseur de l’intérêt des grands décideurs. En un peu plus de deux ans, ce sont le Soudan du sud, la Libye, le Mali, l’Ukraine, la République Centrafricaine, la Syrie et l’Irak qui ont alternativement occupé l’avant-scène des grandes crises sur une période plus ou moins longue et qui ont, chacun après l’autre, capté de manière prioritaire l’attention internationale. Il serait injuste et inexact d’expliquer cette volatilité par le seul fait que le temps politique et le temps diplomatique sont, désormais, de plus en plus déterminés par le temps médiatique. Mais de manière indiscutable, il se constate lorsque l’information s’emballe, le politique se focalise quasi immédiatement sur ce qui a annexé la « Une » de l’actualité.
Le revirement d’attention se fait inévitablement au détriment de dossiers naguère prioritaires et pour lesquels un règlement vraiment structuré n’a pas encore été ébauché au-delà de la nomination de représentants spéciaux et de l’entame de la noria des médiateurs. Le déplacement presque continu de l’œil du cyclone met donc sur courant alternatif le traitement des dossiers de crise. Surtout que les préoccupations des décideurs ne se limitent pas à la seule politique, elles peuvent aussi se reporter sur l’humanitaire (presque toujours dans l’élan imprimé par les médias et relayé par l’opinion publique) ou alors sur une menace sanitaire comme l’avait été la grippe aviaire et comme l’est à présent l’épidémie d’Ebola.
Celle-ci constitue d’ailleurs une parfaite illustration de l’imprévisibilité dans l’établissement des priorités de l’agenda mondial. Il y a quelques mois, la maladie était présentée comme un drame certes terrible, mais d’importance très limitée et qui pouvait être assez facilement circonscrite si les mesures élémentaires d’isolement des malades étaient observées. Personne à ce moment ne prêtait attention à l’alerte donnée par les hommes du terrain.
L’organisation « Médecins du monde » avait pourtant insisté sur la nature particulière du virus dont la souche était différente de celle qui avait frappé le Congo, sur la résistance passive des populations absolument réfractaires aux messages officiels et peu disposées à modifier leur mode de vie, sur le délabrement des infrastructures sanitaires dans les Etats touchés par la maladie et sur l’insuffisance du personnel de santé vraiment préparé à la lutte contre la maladie. Pour situer l’ampleur du revirement de la communauté internationale dans la prise en charge d’Ebola, il faut se rappeler que de doctes spécialistes avaient décrété du fond de leur cabinet qu’une dotation de 2 millions de dollars suffirait à endiguer la propagation de la maladie.
IRRATIONNELLES ET IRRÉALISTES. Ce chiffre avait quadruplé quelques semaines plus tard. Depuis, le rythme de sa progression a échappé à toute analyse et s’établit à un milliard de dollars sans que personne ne puisse indiquer très précisément à quoi servirait la somme pharaonique annoncée. Ni pourquoi un non spécialiste des problèmes de santé s’est aventuré à proclamer que l’épidémie était « hors de contrôle ». Ni en quoi le Conseil de sécurité des Nations unies en se saisissant de la question serait forcément plus avisé dans ses préconisations que l’Organisation mondiale de santé, même si cette dernière est coupable d’avoir été trop confiante dans ses estimations sur la progression de la maladie.
Ebola n’a pas fait oublier les préoccupations mondiales majeures que représentent la montée de la menace djihadiste aussi bien au Proche-Orient qu’en Afrique ou encore la totale imprévisibilité de la situation en Ukraine. Mais à cet instant précis, elle supplante tous ces dossiers alors qu’objectivement elle ne fait planer aucune menace sérieuse de propagation spectaculaire dans les pays développés. Mais ceux-ci, sachant la sensibilité de leurs populations respectives aux rumeurs les plus irrationnelles et les plus alarmistes, adoptent l’attitude qu’ils ont toujours eue en pareille situation : ils préfèrent surréagir qu’être plus tard accusés d’inertie, voire de négligence.
Cette digression sur l’épidémie de fièvre hémorragique ne nous éloigne pas de notre sujet. Elle remet en mémoire aux Etats africains en proie aux crises internes, les inévitables variations dans l’implication à leur côté de la communauté internationale. Elle rappelle aux mêmes Etats l’irremplaçable utilité de secréter eux-mêmes les compromis qui pourraient faire envisager une sortie de crise. C’est la disponibilité à cet effort interne dont semblent aujourd’hui incapables les acteurs de certaines crises. Et tout particulièrement ceux de la crise centrafricaine. Mais faut-il vraiment s’en étonner alors qu’au départ, protagonistes locaux et intervenants étrangers se sont accordés pour présenter comme une excellente solution ce qui était tout à la fois une évidente erreur de casting et un coup médiatique sans lendemain : la nomination de Mme Catherine Samba-Penza comme présidente de la Transition. Il fallait avoir l’aveuglement chevillé au corps pour imaginer qu’une personnalité dont l’expérience des affaires publiques se limitait à un éphémère mandat de maire (non élue) de Bangui et qui ne disposait d’aucun relais de poids dans les camps antagonistes aurait la carrure, le savoir-faire et la fermeté nécessaires pour sortir son pays de la spirale de la violence et pour imposer un retour de l’ordre suffisant pour au moins organiser les consultations électorales.
A ce jour, le bilan de la Transition centrafricaine est accablant. Les organisateurs des pogroms antimusulmans sont allés aussi loin qu’ils le désiraient dans une totale impunité et ils ont réussi leur campagne d’épuration xénophobe contraignant à l’exil la plupart des communautés étrangères. Les groupes armés se sont complètement autonomisés de leurs parrains politiques et n’hésitent plus à défier frontalement les forces internationales. Le premier gouvernement mis en place s’est décrédibilisé par son inaction et le deuxième est déjà plombé par l’utilisation peu orthodoxe d’une aide angolaise. Face à la montée du chaos, la présidente de la Transition fait la leçon à la communauté internationale pour le manque de vigueur de son implication, se répand en imprécations sur ses compatriotes complices de complots ourdis de l’extérieur et commet l’erreur de vouloir constituer un groupe armé à sa dévotion. N’admettant pas qu’elle a perdu la main, Mme Samba-Penza persiste à fixer la date des futures élections pour février 2015 alors qu’aucun acte n’est posé qui puisse aujourd’hui faire considérer cette échéance comme crédible. Comment le pays se sortira-t-il d’un engrenage qui semble mener vers la non existence de l’Etat ? Seul un recadrage ferme par la médiation africaine pourrait laisser espérer une remise en ordre minimale.
DES PROPOS SÉVÈRES. Le Mali est encore loin des scénarios qui se sont développés en République démocratique du Congo, en Somalie ou en Centrafrique, scénarios dont ces pays peinent à s’extraire. Mais il ne peut en aucun cas sous-estimer la menace de désagrègement de l’Etat que fait peser la résurgence djihadiste. Pour notre pays, le chemin vers la paix est donc escarpé, comme nous l’avions dit. Mais la difficulté à y cheminer ne doit pas faire douter de la possibilité d’atteindre le but final. L’issue d’Alger II se jouera sur l’esprit de raison que démontreront les participants maliens. Les évènements récents qui se sont déroulés dans le Septentrion définissent en termes limpides l’alternative qui se présente à notre pays. Soit toutes les parties en négociation expriment sincèrement leur volonté d’aller vers un destin partagé en acceptant les concessions et les difficultés que cette démarche impose. Soit l’une d’elles prendra la responsabilité historique de plonger le Nord du Mali dans l’incertitude et dans la tragédie.
Aujourd’hui, un très relatif soulagement peut être exprimé. Car des certitudes un moment contestées s’imposent. La multiplication des agressions contre la MINUSMA a amené les forces partenaires – MINUSMA et Barkhane – à admettre l’urgence à réintroduire dans la sécurisation du territoire national les FAMA qu’il est indispensable de relancer dans l’action après la terrible déconvenue du 21 mai. L’organisation de l’opération Piana représente déjà une réconfortante reconnaissance des réalités qui prévalent sur le terrain. Les propos extrêmement sévères tenus sur RFI par Hervé Ladsous, chef des missions de maintien de la paix de l’ONU, à l’égard des groupes armés qui ne s’impliquent pas suffisamment dans la lutte contre les djihadistes en constituent une autre. L’opération de police montée avec une exemplaire efficacité par les hommes de Barkhane et qui a permis d’arrêter les inspirateurs de l’attaque du camp de la MINUSMA à Kidal en est une troisième.
Ces événements viennent conforter des positions constamment soutenues dans ces colonnes et exprimées par une écrasante majorité de nos compatriotes. Primo, le rétablissement d’un seuil minimum de sécurité au Nord est inatteignable sans le retour de l’Armée malienne au moins sur ses positions d’avant les événements de Kidal. Secundo, le comportement ambigu des groupes armés MNLA et HCUA a largement favorisé l’infiltration des djihadistes dans la capitale de la 8ème Région, a abandonné à ceux-ci la possibilité de s’y constituer un commode poste d’observation et a laissé le champ libre au retour des terroristes. Ces analyses qui paraissent aujourd’hui partagées par nos partenaires rendent plus audible la voix malienne passablement abîmée par le revers du 21 mai. Et permettront sans doute à notre pays de mieux valoriser l’offre de paix défendue à Alger.
G. DRABO
SOURCE / ESSOR