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L’avenir politique au Mali : LE RAPPEL À LA RÉALITÉ

Dans une crise, il demeure important de sauvegarder la capacité nationale d’inspirer les solutions de sortie. Sinon seront proposés les scénarios les plus improbables

Jamais sans doute le monde ne se sera posé autant de questions sur sa sécurité. Et jamais sans doute non plus les réponses proposées n’auront elles-mêmes suscité autant de nouvelles interrogations. Les dilemmes qui se posent aux décideurs sont malheureusement d’une implacable simplicité. Comment affiner la riposte aux nouvelles menaces sans verser dans la paranoïa sécuritaire ? Comment mobiliser les opinions nationales sans donner l’impression d’ostraciser une partie de la population ? Comment trouver un équilibre entre la justesse d’argumentation que doit revêtir le plaidoyer moral et la fermeté de ton que doit prendre l’avertissement officiel ? Quelles réponses déployer dans la conduite des guerres asymétriques où l’Etat a malheureusement tout à perdre et où les victoires s’avèrent désespérément volatiles ? Les recettes exhaustives n’existent pas alors que le monde cherche à s’organiser pour faire face à une évolution qui stupéfie par sa rapidité et angoisse par sa gravité.

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A cet égard, les principaux problèmes traités lors du sommet de l’Union africaine qui s’est tenu la semaine dernière ont offert une édifiante illustration de la complexité des conflits qui se sont développés sur notre continent et de la difficulté qu’il y avait à leur apporter une réponse acceptée par tous. C’est-à-dire une formule agréée autant par les parties nationales impliquées que par les pays voisins concernés, les médiateurs appelés et la communauté internationale sollicitée. Une personnalité qui avait été impliquée voilà quelques années dans de difficiles négociations sur le Nord du Mali nous affirmait récemment que – et cela contrairement à ce qu’assurent certains spécialistes – plus est important le nombre de protagonistes se retrouvant dans le traitement d’un dossier de conflit, moins facilement se dégage une solution consensuelle. Car chaque acteur s’avère porteur d’une vision stratégique particulière, partisan d’une approche tactique singulière et doté d’une perception intuitive personnelle sur les racines et les protagonistes du conflit.
Faire coexister et interagir ces différences relève donc parfois du travail de Sisyphe. La prise en compte à sa juste importance de la pesanteur objective que constituent les approches multiples permet de mieux comprendre pourquoi les situations conflictuelles, mille fois disséquées, reviennent tout de même sur la table de l’UA. Car quelle que soit l’ancienneté des oppositions, quel que soit le type de règlement proposé et dont la mise en œuvre a été amorcée, quelle que soit la maîtrise des intercesseurs choisis, un constat est là : la dangerosité générale a peu baissé, la radicalisation sporadique des positions menace de remettre en cause les fragiles compromis arrachés et la recherche d’une bonne foi partagée relève de la quête de l’impossible.

LE DÉSORDRE DANS LA ZONE. Au moment où notre pays fait lui-même face à une inquiétante détérioration de sa situation sécuritaire, il n’est pas inutile regarder ce qui ralentit la résolution de grands conflits africains. Ceci en soulignant qu’aucune situation n’est similaire aux autres, mais aussi en faisant remarquer qu’au-delà des cas absolument différents se retrouvent certains problèmes transversaux auxquels il faut savoir prêter attention. En République démocratique du Congo, c’est la présence prolongée des troupes onusiennes qui agace de manière de plus en plus évidente les autorités du pays. Ces dernières estiment que le niveau de formation et l’aptitude au combat des Forces armées du pays (FARDC) sont désormais suffisants prendre en charge aussi bien la libération du territoire national des derniers groupes armés que la sécurité des populations.
Le gouvernement de Kinshasa en donne pour preuve l’offensive victorieuse lancée en fin 2013 et qui avait provoqué la déroute des rebelles du M-23. Il se propose donc de neutraliser sans l’aide des casques bleus de la MINUSCO (avec laquelle il a pourtant élaboré un plan d’opération militaire) les Forces démocratiques de libération du Rwanda, rebelles hutus rwandais qui se servaient de la RDC comme base arrière, mais qui au fil du temps ont fini par s’établir à demeure dans l’Est du pays, mettant sous coupe réglée une bonne partie de cette zone.
Le choix des autorités congolaises ne convient pas à la MINUSCO qui craint que les FARDC, comme cela avait été le cas lors d’une campagne menée en 2009, ne se rendent coupables d’exactions sur les populations installées dans la zone (notamment les réfugiés hutus). Ce choix ne convient pas non plus aux pays voisins de la RDC qui rappellent qu’en 2013, les troupes congolaises n’ont pas terminé le travail. En effet, 1500 éléments du M-23 en déroute se sont réfugiés en Ouganda et attendent pour quitter ce pays que soient effectivement appliquées les mesures d’amnistie promises. En outre, des centaines de rebelles défaits, mais non désarmés sèment désormais le désordre dans la zone. Lors du sommet de l’UA, la délégation congolaise a accepté d’agir conjointement avec la MINUSCO pour la neutralisation des FDLR et de soulager au plus tôt l’Ouganda de ses encombrants hôtes. Le gage de bonne volonté ainsi donné n’a pas empêché le ministre des Affaires étrangères de Kinshasa de relever avec une certaine amertume le caractère désobligeant des commentaires faits par certains « « amis » de son pays.
Sur la Centrafrique, il se constate surtout une certaine lassitude des pays de l’Afrique centrale vis-à-vis des autorités de la Transition qui visiblement n’ont aucune prise sur les événements. La présidente Catherine Samba Penza et son gouvernement se montrent en effet incapables de rétablir un seuil minimum de sécurité, d’établir un vrai dialogue politique avec les groupes armés et d’amorcer la préparation matérielle des élections générales qui, en principe, devraient se tenir dans le premier semestre de cette année. L’impuissance constatée de la Transition a poussé le Kenya à mettre en route une médiation alternative en faisant venir à Nairobi les anti Balakas reconnaissant l’autorité de l’ancien président François Bozizé et les Selékas restés fidèles à *l’ancien chef d’Etat de la Transition, Michel Djotodia.
Pour superviser les discussions entre les deux parties, le Kenya avait même désigné un médiateur en la personne de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Kenneth Marende. Mais devant les protestations élevées par les autorités de Bangui, le sommet de l’UA a affirmé ne pas reconnaître les discussions menées à Nairobi, suivant en cela l’avis rendu par le président congolais Denis Sassou N’Guesso qui n’avait pourtant pas été au départ défavorable à l’établissements de contacts avec des acteurs déterminants de l’actuelle crise.
Dernier conflit sur lequel l’organisation continentale a procédé à une mise au clair, le dossier libyen. Au mois de novembre dernier, le président Idriss Déby avait invité l’OTAN à assurer « le service après vente » (telle était son expression) de son intervention en Libye. Autrement dit, à s’attaquer aux camps djihadistes établis dans le Sud du pays et qui ravitaillent aussi bien en recrues qu’en équipements militaires les réseaux terroristes opérant dans la bande sahélo-saharienne.

DÉMORALISÉE PAR LES REVERS. Commentée plutôt positivement par le ministre français de la Défense, l’analyse tchadienne était partagée par les chefs d’Etat de l’Afrique de l’ouest, inquiets de la très rapide résurgence d’une menace qu’ils pensaient contenue pour un temps plus long. Mais elle n’a pas été partagée par le Groupe de contact international sur la Libye créé par l’UA. Celui-ci s’est rallié à la recherche d’une solution politique négociée, solution auparavant défendue par l’Algérie et par le Secrétaire général de l’ONU dont le représentant spécial, Bernadino Leon, mène déjà des négociations à Genève avec notamment les représentants du gouvernement en place et ceux des milices islamistes.
Les pays riverains de la Libye devraient donc se retrouver pour une première concertation en février prochain au Tchad avant une deuxième réunion en avril au Niger et des négociations finales en Algérie. C’est à un très rude challenge que s’attaquent l’UA et l’ONU puisque la préoccupation première pour le moment de chacun des différents camps libyens est d’asseoir une supériorité militaire qui le placerait en position de force dans les négociations politiques. C’est dire que la neutralisation du Sud libyen ne fait pas figure de priorité. Le ministre nigérien des Affaires étrangères, Bazoum, l’a bien noté, lui qui espère que les discussions politiques serviront surtout à isoler les groupes terroristes et n’excluent pas forcément le scénario d’une « action armée ».
Les résolutions de l’UA (nous aurons certainement à revenir dans une autre chronique sur la création d’une force multinationale africaine pour contrer Boko Haram) font ressortir une vérité toujours utile à rappeler dans notre situation : la nécessaire préservation de la capacité pour un pays à faire accepter les solutions d’inspiration nationale de sortie de crise. La RDC qui veut aujourd’hui se réapproprier entièrement la sécurisation définitive de son territoire et qui pour cela est allée jusqu’à un bras de fer superflu avec la MINUSCO a été contrée par ses propres voisins. Ces derniers voient mal les FARDC s’acquitter seules d’une périlleuse mission de désarmement et redoutent de subir une fois de plus le contrecoup des faiblesses congolaises. Voyant ses initiatives régulièrement mises en doute, Kinshasa paye la rançon d’un terrible affaiblissement de l’autorité de l’Etat entamé dans les dernières années du pouvoir Mobutu et qui persiste encore. Affaiblissement qui a conduit les dirigeants à abandonner des pans entiers du territoire national à des groupes armés et à laisser en déshérence une armée démoralisée par une série de revers humiliants.
A Bangui, le pouvoir – ou plus exactement ce qui en tient lieu – s’est à ce point décrédibilisé par son amateurisme qu’il suscite inévitablement chez ses partenaires la tentation de chercher des solutions sans lui et en dehors de lui. C’est ce qu’a fait le Kenya qui a affirmé avoir agi avec l’accord de l’UA. Nairobi a donc rassemblé des personnalités au comportement incontestablement critiquable, mais qui peuvent faire partie des solutions alors qu’en restant à l’écart, ils représentent surtout une part non négligeable du problème. Cela, la présidente Catherine Samba Penza ne veut pas encore l’admettre. Mais si elle exprime clairement ce qu’elle n’accepte pas, elle tarde à indiquer tout aussi nettement ce qu’elle va faire. Si ce n’est d’exiger l’envoi dans son pays d’une mission des Nations unies.
Sur la Libye où le centre de décision s’est fragmenté, l’UA se livre à une session de rattrapage. Elle s’était éveillée trop tardivement pour empêcher l’OTAN de mettre à exécution son plan anti-Khaddafi. Aujourd’hui, elle propose une réponse africaine pour empêcher la somalisation du pays. Elle n’a pas d’autre solution que la négociation politique, puisque certains pays voisins – le Niger et le Tchad tout particulièrement – qui auraient pu participer à une opération de maintien de la paix se retrouvent déjà dans la force interafricaine qui va s’investir à combattre Boko Haram.

RIDICULISER AU PASSAGE. La mise au net a été un exercice aussi pratiqué la semaine dernière par le gouvernement malien. Celui-ci s’est trouvé dans la nécessité de rappeler fermement à la MINUSMA la primauté de l’appréciation nationale dans toute décision qui concernerait la sécurité dans notre Septentrion et qui s’élaborerait en dehors des procédures prévues dans les accords déjà conclus. La décision de certains responsables militaires de la mission onusienne d’établir un accord écrit séparé avec les groupes de la Coordination pour la création d’une zone temporaire de sécurité est proprement ahurissante. Non seulement elle outrepasse les prérogatives de ceux qui en ont pris l’initiative, mais elle abandonne également la démarche inclusive qui demeure la règle de base dans la recherche de solutions à la crise au Nord du Mali.
D’après ce que nous en savons, les mises au point de l’Exécutif ont été faites de la manière la plus explicite. Cela était indispensable, car dans cet épisode la mission onusienne a envoyé au moins trois mauvais signaux. Primo, certains de ses responsables sur le terrain donnent l’impression de se comporter comme des proconsuls de la Rome antique envoyés dans des provinces étrangères. Ils se sont en effet accordé la liberté discrétionnaire d’apprécier seuls la meilleure manière de traiter des questions à la fois militaires et politiques intéressant tout notre pays et survenues dans des circonstances très particulières.
Secundo, ces mêmes responsables démontrent une totale méconnaissance des méthodes de manipulation coutumières au MNLA qui est pourtant un de leurs interlocuteurs réguliers. Le Mouvement a administré une fois de plus son habileté à récupérer les faits à son avantage en trafiquant le fameux document de travail de manière à se poser en interlocuteur officiel des Nations unies, et cela en n’hésitant pas à ridiculiser au passage ceux qui avaient été suffisamment candides pour lui proposer une démarche qui le faisait totalement gagnant. Tertio, ces mêmes responsables laissent percevoir une inquiétante imperméabilité à l’état d’esprit qui prévaut chez des populations à côté desquelles ils vivent et qu’ils ont mission de protéger. S’ils avaient eu la capacité de prendre effectivement le pouls des Gaois, ils auraient pressenti la tension que susciterait infailliblement une initiative aussi hasardeuse que celle qu’ils avaient initiée.
La démarché inappropriée de la MINUSMA et les très graves événements survenus à Gao ont compliqué un peu plus une situation déjà très tendue. Le déplacement du chef de l’Etat dans la capitale des Askia a certainement circonscrit un incendie populaire aux effets imprévisibles et a préservé ce qui devait l’être de la collaboration entre notre pays et la mission onusienne. Mais la preuve a été administrée une fois de plus qu’à la différence de ce qui se passait dans les précédentes crises au Septentrion, la veille citoyenne est aujourd’hui très forte autour du traitement du problème du Nord.
C’est une particularité qu’a déjà intégrée le gouvernement. C’est un fait que feignent d’ignorer les mouvements de la Coordination. C’est un facteur dont doivent tenir compte aussi bien la Médiation que tous nos partenaires impliqués dans la résolution du dossier. Le message envoyé par les manifestants de Gao est des plus explicites. Les populations savent que la recherche de la paix imposera des concessions qu’ils n’accepteront certainement pas de gaieté de cœur, même si la nécessité s’en imposera à eux. En attendant, ils souhaitent surtout que l’intolérable ne vienne pas s’ajouter au difficilement supportable.
G. DRABO

source : L Essor

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