
Le prévenu qui utilisait le pseudonyme “Maxlma” sur Internet, a été entendu lundi 15 juin devant la chambre militaire du tribunal correctionnel de Marseille. Plusieurs chefs d’accusations ont été retenus contre lui: violation de consignes, collecte et divulgation illégale et volontaire de données à caractère personnel et diffusion de messages pornographiques. Un épisode qui rappelle que l’armée française connaît de sérieuses difficultés quant à l’intégration des femmes.
247 montages pornographiques
Lors de ses diverses affectations sur les bases de Nîmes-Garons (Gard) ou d’Hyères (Var), voire directement sur le Charles-de-Gaulle, le militaire de 33 ans, radié de l’armée depuis, a détourné les trombinoscopes. L’homme a conçu pas moins de 247 montages pornographiques, qu’il a ensuite postés sur le site américain. “Le trombinoscope était accessible à tout le monde, il n’y avait pas de mot de passe, il suffisait de cliquer sur un lien pour y accéder”, a-t-il indiqué à la juge d’instruction.
“L’affaire des marinettes, nous en parlions déjà dans notre livre.” Au bout du fil, la journaliste qui a permis de faire la lumière sur les pratiques de harcèlements sexuels dans l’armée. Avec sa consœur Julia Pascual, Leila Miñano s’est plongée pendant dix-huit mois dans les affaires les plus sordides de la “Grande Muette“. Les deux femmes en ont tiré un livre, intitulé La Guerre invisible.
“C’est difficile pour elles d’accepter le statut de victime”
“Sur cette affaire, nous avions surtout interviewé une femme officier, continue la journaliste. Grâce à son grade, elle était un peu plus libre pour parler.” Car difficile pour les femmes victimes de ce type de harcèlement de se faire entendre. “L’affaire des marinettes” en est le parfait exemple: sur les quelque 200 victimes recensées, seules 41 se sont portées parties civiles.
“Dénoncer ces pratiques peut s’avérer très dangereux pour la suite de sa carrière, détaille Leila Miñano. D’abord parce que le plus souvent, les femmes qui ont rapporté des faits de harcèlement sexuel se sont retrouvées à la porte de l’armée. Et puis symboliquement, une femme militaire se doit d’être une femme forte. C’est difficile pour elles d’accepter le statut de victime.”
Un “viol numérique”
Cette histoire est symptomatique. “Voler des photos de militaires nues et les diffuser est l’un des types de harcèlement qu’on a le plus rencontrés”, continue la journaliste. C’est une manière de rabaisser les femmes, victimes des ricanements de leurs collègues masculins à leurs passages. Ce harcèlement connaît une variante: la vidéo. “Dernièrement, on a eu vent d’une affaire. Des soldats ont filmé des jeunes femmes dans les douches à leur insu, raconte Leila Miñano avant de conclure, visiblement écœurée: Ça s’est déroulé au Mali, en pleine zone de combat.”
Dans le cas des “marinettes”, l’homme de 33 ans encourt une peine de cinq ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Les parties civiles déplorent “ce sexisme insupportable et la violence extrême” dont ces femmes sont victimes, parlant de “viol numérique”. Elles réclament des dommages et intérêts pour éliminer définitivement les images humiliantes toujours présentes sur le Web. Me Gérard Haas, avocat de 35 plaignantes, dénonce le fait qu’elles ont “toutes subi des troubles psychologiques”.
Un tiers des atteintes sexuelles sont des viols
L’armée française est très en retard par rapport aux autres armées occidentales sur cette question. Des États-Unis à la Suède en passant par Israël, chacune des forces militaires a des chiffres précis sur le nombre de harcèlements. Un réel manque, alors que l’armée française est la plus féminisée, avec ses 15 % de femmes.
Après la parution du livre, La Guerre Invisible, Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, avait promis d’agir. Une enquête avait été diligentée. Ses conclusions sont sans équivoque: “Près d’un tiers des atteintes sexuelles relevées sont des viols; (…) Quand elles sont prononcées (19 % des cas y échappent), les sanctions disciplinaires sont tardives (44 % sont infligées plus de 2 mois après les faits et 19 % plus de 6 mois après) et relèvent toujours, à une exception près, du premier groupe (Ndlr: les sanctions les moins sévères); -tous les faits n’ont pas été dénoncés au plan pénal (13 dépôts de plainte sur 19 cas)-; le déplacement d’office ou l’éloignement des auteurs n’est prononcé que dans 19 % des cas.”
Des mesures internes à l’armée, jugées insuffisantes
En premier lieu, le rapport d’enquête, publié en avril 2014, proposait de mettre en place des statistiques ainsi qu’une cellule d’écoute. Nommée cellule Thémis, cette dernière a vu le jour depuis. Problème: elle reste interne à l’armée. “Nous en avons déjà eu quelques très mauvais retours, notamment des femmes reçues dans un open space”, déplore Leila Miñano, qui suit encore de près ces questions grâce à un blog créé lors de la parution du livre.
Lors de notre conversation au téléphone, la journaliste évoque l’histoire d’une femme qui a contacté la cellule Thémis. Dès sa saisine de la cellule d’écoute, toute son unité était au courant. Et quand elle a expliqué à la cellule que tout le monde savait pour son histoire de harcèlement, l’armée n’a eu qu’une réponse: que la militaire se barricade dans son bureau. Pour ce qui est de la mise en place des statistiques, les seules données disponibles sont celles de cette cellule Thémis. Or, nombre de victimes de harcèlement ont peur de la saisir. Difficile, alors, de connaître la réalité du harcèlement dans l’armée française.
Nous avons contacté le ministère de la Défense afin de comprendre pourquoi ces statistiques n’avaient pas été mises en place. En vain.
source : cheekmagazine