Une fois de plus, c’est par elle qu’est venue la rupture. L’armée malienne est à la fois l’un des derniers piliers de l’Etat malien encore debout malgré les épreuves, mais aussi un vecteur de changement, fortement politisé.
Après des mois de contestation civile, ce sont des officiers supérieurs qui ont fait tomber le président Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août. Le quatrième putsch en soixante années d’indépendance.
Ces coups d’Etat ont eu des lendemains variés: des années de dictature après celui de 1968, le retour à la démocratie après celui de 1991, la déconfiture de l’armée malienne face aux rébellions du nord en 2012.
Les suites du putsch d’août restent à écrire. La décision appartient à un groupe de colonels sortis des rangs d’une armée que les défaites militaires ont meurtrie, mais qui demeure l’une des rares institutions à fédérer les Maliens.
Moussa, dont l’AFP a modifié le prénom pour préserver son anonymat, donne un aperçu de l’une des réalités de cette armée.
Membre des forces d’élite, il a subi une embuscade avec ses camarades dans le centre du Mali en septembre 2019. Selon un mode opératoire déjà utilisé à de nombreuses reprises, des motos ont surgi de la brousse et attaqué son convoi. Quatre soldats ont été tués.
“Après, j’ai voulu quitter l’armée. Mais je suis encore là, il n’y a pas d’autre travail. Je fais quoi sinon ?”, dit-il, habillé en civil, des lunettes de soleil sur le nez.
Il est l’un des quelque treize mille soldats de l’armée malienne, hors gendarmerie, selon un chiffre publié par l’historien Laurent Touchard dans un ouvrage publié en 2017.
– Soldats sans eau –
Cette armée aux effectifs limités a la tâche herculéenne de sécuriser un territoire grand comme deux fois et demi la France, contre différents groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda ou à l’organisation Etat islamique (EI). Des milices sévissent aussi, suppléant l’Etat pour certaines, le combattant pour d’autres.
Sans possibilité de rotation à date fixe, les militaires peuvent rester jusqu’à neuf mois sur le terrain, selon des témoignages recueillis par l’AFP. Cantonnés dans des camps épars, ils sont à la merci d’attaques qui ont tué des centaines d’entre eux depuis fin 2019.
“L’état de l’armée est catastrophique. Il faut imaginer que le ministre de la Défense, en visite sur le terrain fin 2019, a appris que ses soldats n’avaient pas d’eau dans le camp”, dit Kissima Gakou, universitaire et ancien conseiller stratégique du ministère pendant 12 ans.
Les alliés du Mali, France et Union européenne en tête, ont dépensé des millions en équipement et formation pour faire monter cette armée en puissance.
Des unités spéciales ont été créées, des avions de chasse et des blindés achetés. Mais le doute fait plus que subsister sur ce que seraient les capacités opérationnelles sans le soutien français ou étranger.
La crise est aussi de confiance. Il y a les accusations récurrentes d’exactions commises contre les populations civiles sous prétexte de lutte antiterroriste.
– “Scénario catastrophe” –
Et puis les soldats du rang accusent les gradés de détourner l’argent et les sous-officiers regardent leurs supérieurs “se pavaner dans les salons de Bamako”, selon les mots d’un autre soldat.
Après le coup d’Etat de 1968, “l’armée s’est glissée dans le champ de la politique” et y est restée, dit Mody Berethe, général et directeur de l’Ecole de maintien de la paix (EMP), centre de formation d’officiers africains à Bamako.
Les liens sont intimes et les bénéfices mutuels, dit-il. Le fils du président Ibrahim Boubacar Keïta renversé par les colonels présidait la commission de la Défense du Parlement. Il incarnait aux yeux de bien des Maliens la corruption du régime et la mainmise sur des ressources qui auraient dû servir à la guerre.
Les dépenses militaires ont été au coeur de plusieurs scandales, de détournement, de surfacturations ou d’achat d’hélicoptères qui n’ont jamais volé.
En 2014, un rapport pointait du doigt le coût d’acquisition de vêtements militaires, dont des chaussettes à 35 euros la paire quand le salaire moyen s’élève à 2 euros par jour.
Les putschistes du 18 août ont dit avoir agi pour en finir avec les vieux travers et ont promis de rendre le pouvoir aux civils. Comme la préfiguration du “Mali nouveau” auquel ils aspirent, les officiers, tous la quarantaine, ont associé les différents corps d’armée à leur coup de force. “On est passé à côté d’un scénario catastrophe comme en 2012”, quand différentes factions s’affrontaient, dit Mody Berethe.
Dans ce “Mali nouveau”, selon lui, l’armée devra elle aussi changer et rendre des comptes sur l’emploi des ressources investies.