Pour la sixième année consécutive et pour la septième fois en huit ans, l’Afrique subsaharienne francophone a affiché les meilleures performances du continent, selon les données fournies par la Banque mondiale dans son rapport « Perspectives économiques mondiales », publié en janvier dernier. Cet ensemble de 22 pays a ainsi enregistré une croissance globale de 4,5 % (4,9 % hors cas très particulier de la Guinée équatoriale), tandis que le reste de l’Afrique subsaharienne enregistrait un taux de 1,9 % *.
Une croissance globale en hausse
La croissance de l’Afrique subsaharienne francophone a donc connu une hausse par rapport à l’année précédente (4,3 %, ou 4,9 % hors Guinée équatoriale). Dans le même temps, l’écart s’est accru avec le reste de l’Afrique subsaharienne (2,0 % en 2018), et dont la croissance avait été quatre fois inférieure en 2016 (0,7 % contre 2,8 %). Cette hausse résulte du redémarrage progressif de l’activité dans certains pays d’Afrique centrale encore très dépendants des hydrocarbures. En zone CFA, qui regroupe 13 des 22 pays francophones (dont la Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnole et partiellement francophone), ainsi que la Guinée Bissau (lusophone et ancienne colonie portugaise), la croissance est passée de 4,0 % en 2018 à 4,4 % (ou de 4,9 % à 5,1 %, hors Guinée équatoriale). Une moyenne est à nouveau tirée par l’espace UEMOA, qui continue à être la plus vaste zone de forte croissance du continent (> 6 % par an). Ce léger écart entre la hausse du PIB de l’ensemble de la zone CFA et celle de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne francophone, en faveur de cette dernière, s’explique par l’absence de pays dépendants des hydrocarbures en dehors de la zone CFA.
Pour le reste de l’Afrique subsaharienne, la croissance globale demeure notamment affectée par les graves difficultés des trois principales économies de la zone (le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Angola), par la stagnation ou le recul de l’activité dans la majorité des pays d’Afrique australe, en plus de l’Afrique du Sud (en Namibie, en Zambie, au Zimbabwe, au Mozambique et au Swaziland, désormais dénommé Eswatini), ainsi que par les taux de croissance négatifs observés au Liberia (en Afrique de l’Ouest) et au Soudan (en Afrique de l’Est, une région également secouée par les deux conflits les plus meurtriers d’Afrique subsaharienne, proportionnellement à la population locale, en l’occurrence en Somalie et au Soudan du Sud). En 2019, cinq des six pays d’Afrique subsaharienne ayant enregistré une croissance négative se situent en dehors de la partie francophone (et trois sur quatre en 2018).
Au Nigeria, en Afrique du Sud et en Angola, la situation reste très difficile, notamment en raison du déclin progressif de leur très importante production pétrolière (pour le Nigéria et l’Angola, respectivement premier et deuxième producteur d’hydrocarbures d’Afrique subsaharienne), ou aurifère (cas de l’Afrique du Sud, désormais second producteur du continent, après avoir été récemment dépassé par le Ghana). Ces pays ont ainsi respectivement affiché une croissance de 2,0 %, de 0,4 % et une évolution négative de -0,7 %, contre respectivement 1,9 %, 0,8 % et -1,2 % en 2018. Pour l’Afrique du Sud, cette croissance anémique se poursuit depuis plusieurs années, et semble durablement installée selon les prévisions de la Banque mondiale, qui prévoit également de faibles hausses pour les PIB du Nigeria et de l’Angola pour les quelques années à venir, au moins. Le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Angola sont donc des pays en voie d’appauvrissement, puisqu’ils affichent désormais constamment des taux de croissance largement inférieurs à leur croissance démographique (contrairement, donc, aux pays francophones qui leur sont proches). À titre d’exemple, au Nigeria, qui enregistre les taux de croissance le plus élevés parmi ces trois pays, la hausse du PIB n’a été que 1,1 % en moyenne annuelle sur les cinq dernières années (2015-2019), contre une croissance démographique annuelle de 2,6 % en moyenne sur la même période. Par ailleurs le Nigeria et l’Angola ont connu une importante dépréciation de leur monnaie, dont la valeur a baissé d’environ 55 % et 80 %, respectivement, par rapport au dollar depuis novembre 2014. Avec à la clé une forte inflation et le maintien d’une forte dollarisation de leur économie (utilisation du dollar pour une partie importante des transactions, par refus de la monnaie locale considérée comme risquée).
Sur la période 2012-2019, soit huit années, la croissance annuelle de l’Afrique subsaharienne francophone s’est donc établie à 4,4 % en moyenne (5,0 % hors Guinée équatoriale, et 6,4 % pour la zone UEMOA). Ce taux a été de 2,8 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne. Sur cette même période, les quatre premières économies de l’Afrique subsaharienne francophone, à savoir la Côte d’Ivoire, la RDC, le Cameroun et le Sénégal, ont respectivement enregistré une croissance annuelle de 8,4 %, de 6,0 %, de 4,7 % et de 5,9 % en moyenne. De leur côté, les quatre premières économies du reste de l’Afrique subsaharienne, à savoir le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Angola et le Kenya, ont respectivement connu une progression annuelle de 2,8 %, de 1,3 %, de 1,7 % et de 5,6 % (croissance tirée par les trois premières années de la période, pour les trois premiers pays).
Une Afrique de l’Ouest francophone particulièrement dynamique
Pour la sixième année consécutive et la septième fois en huit ans, la zone UEMOA (huit pays, dont la lusophone, mais très francophile, Guinée-Bissau) a enregistré une croissance globale supérieure à 6 % (6,4 % en 2019, et 6,6 % un an plus tôt). En 2019, les sept pays francophones de la zone monétaire ont enregistré une croissance supérieure ou égale à 5 %, et cinq d’entre eux ont connu une progression supérieure 6 % (le taux le plus faible, de 5,0%, ayant été enregistré aux Mali, qui pâtit de problèmes sécuritaires affectant une partie de son territoire). La zone UEMOA conforte ainsi son statut de plus vaste zone de forte croissance du continent, et d’important relais de la croissance mondiale.
Hors UEMOA, la Guinée confirme le redémarrage de son économie depuis 2016, avec une hausse de son PIB de 5,9 % (5,8 % en 2018). De son côté, la Mauritanie (située hors zone CFA comme la Guinée), et après avoir affiché d’assez décevantes performances ces dernières années, a enregistré une croissance de 6,4% en 2019, et devrait également connaître une progression d’environ 6 % dans les quelques années à venir. Pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest francophone (Guinée et Mauritanie incluses), la croissance globale a aussi été de 6,4 %.
Le statut de plus vaste zone de forte croissance du continent constitue une réelle performance pour la zone UEMOA, vu que celle-ci n’est pas la plus pauvre du continent, cette place étant occupée par l’Afrique de l’Est. Ainsi, à titre d’exemple, et hors Djibouti (pays francophone), seul un pays d’Afrique de l’Est continentale affichait début 2019 un PIB par habitant dépassant clairement la barre des 1 000 dollars, à savoir le Kenya (1 710 dollars, suivi loin derrière par la Tanzanie, 1 051 dollars). À la même date, deux pays francophones de l’espace UEMOA dépassaient largement ce seuil symbolique, en l’occurrence la Côte d’Ivoire (1 715 dollars) et le Sénégal (1 522 dollars). Et même trois pays pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest francophone, en tenant compte de la Mauritanie, aux importantes richesses minières (et auxquels s’ajoutent, pour toute l’Afrique de l’Ouest continentale, le Nigeria pétrolier et le Ghana, à la production pétrolière grandissante et aujourd’hui premier producteur d’or du continent). Par ailleurs, l’Afrique de l’Est abrite les quatre pays les plus pauvres du continent, à savoir le Soudan du Sud (désormais en dernière position), la Somalie, le Malawi et le Burundi (trois pays anglophones et un francophone, ayant tous un PIB par habitant inférieur à 400 dollars, début 2019, selon les dernières données disponibles).
Avec une croissance 7,3 % en 2019, la Côte d’Ivoire a de nouveau affiché la meilleure performance de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Après avoir dépassé le Kenya en 2018 (pays anglophone le plus prospère d’Afrique de l’Est continentale), en matière de richesse par habitant, la Côte d’Ivoire creuse ainsi l’écart avec ce dernier, qui a affiché une croissance de 5,9 % en 2019, et qui devrait également être prochainement dépassé par le Sénégal (dont la hausse du PIB a été de 6,3 %, et qui devrait connaître une progression annuelle de près de 7 % pour les quelques prochaines années, contre une croissance inférieure ou égale à 6,0 % pour le Kenya).
Toujours selon les prévisions de la Banque mondiale, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, pays pauvres en richesses naturelles, devraient également bientôt réaliser une autre importante performance, à savoir celle de dépasser en richesse par habitant des pays très bien dotés en matières premières comme le Nigeria (2028 dollars par habitant, début 2019, et premier producteur de pétrole du continent) et le Ghana (2202 dollars, premier producteur d’or du continent, et en passe de devenir le troisième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne).
Enfin, il convient de noter que la Côte d’Ivoire est parvenue à réaliser le troisième taux de croissance le plus élevé d’Afrique en 2019, après l’Éthiopie (9,0 %) et le Rwanda (8,5 %), et ce, malgré son niveau de richesse déjà assez élevé pour le continent. En effet, l’Éthiopie et Rwanda sont des pays d’Afrique de l’Est faisant partie des pays les plus pauvres du continent, ce qui explique en bonne partie leur taux de croissance élevé. Ainsi, l’Éthiopie (qui était le deuxième pays le moins développé au monde en 2011) et le Rwanda avaient, début 2019, un PIB par habitant inférieur à des pays comme le Mali et le Bénin, qui ne comptent pourtant pas parmi les plus riches d’Afrique de l’Ouest (772 dollars pour l’Éthiopie, 773 dollars pour Rwanda, contre 900 dollars pour le Mali et 901 dollars pour le Bénin).
Par ailleurs, il est utile de rappeler que les performances affichées par le Rwanda doivent continuer à être prises avec la plus grande précaution, et ce, pour les trois raisons suivantes : premièrement, parce que de nombreux experts indépendants remettent régulièrement en cause les taux de croissance officiels affichés par le régime rwandais. Deuxièmement, parce que le Rwanda est depuis 2013 le premier producteur et exportateur mondial de tantale, un élément stratégique obtenu à partir d’un minerai appelé coltan, mais qu’il extrait en bonne partie et en toute illégalité du territoire de la RDC voisine (qui en détient, à elle seule, plus de 60 % des réserves mondiales). Un pillage de type « colonial », dont l’existence n’est plus contestée et qui constitue un cas unique dans le monde d’aujourd’hui. Enfin, troisièmement, parce que le Rwanda est depuis plus de deux décennies l’un des tous premiers pays bénéficiaires des aides publiques au développement dans le monde (alors que le régime répète régulièrement que les pays africains ne doivent compter que sur eux-mêmes…). Ainsi, le pays s’est classé troisième sur le continent en la matière sur la période de cinq années allant de 2013 à 2017, proportionnellement à sa population (selon les données de l’OCDE, et hors pays en guerre, comme le Soudan du Sud, et très petits pays de moins d’un million d’habitants, essentiellement insulaires). Avec une enveloppe annuelle de 1,116 milliard de dollars en moyenne, il n’a été devancé, par habitant, que par le Liberia et la Sierra Leone (deux pays anglophones faisant partie des trois pays le plus pauvres d’Afrique de l’Ouest, avec le Niger). À titre de comparaison, le Burundi voisin et le Bénin, dont la population est à peu près égale à celle du Rwanda, n’ont reçu que 522 et 572 millions de dollars d’aide par année en moyenne. En d’autres termes, le Rwanda a bénéficié de 91 % et de 81 % d’aides par habitant en plus que le Burundi et le Bénin, respectivement. De même, le pays a proportionnellement reçu 116 % d’aides supplémentaires par habitant par rapport à l’Ouganda, son voisin du nord (et huitième pays le pauvre du continent, avec un PIB de 643 dollars, début 2019).
Ces aides massives proviennent principalement des États-Unis et du Royaume-Uni, et s’expliquent par l’alliance stratégique (géopolitique, militaire et financière) scellée entre ces deux puissances et les hauts dignitaires du régime rwandais actuel, alors en exil, à la fin des années 1980. Et suite à laquelle se multiplièrent les attaques terroristes et meurtrières au Rwanda, à partir de l’Ouganda, créant ainsi un climat de peur et paranoïa collective qui mena, hélas, au triste génocide (déclenché le lendemain de l’assassinat simultané de deux présidents, ceux du Rwanda et du Burundi, par le tir d’un missile ayant abattu l’avion qui les transportait. Un double assassinat unique dans l’histoire de l’humanité). Le Rwanda qui demeure, malheureusement, l’une des quatre dictatures les plus totalitaires du continent africain, qui sont au degré « zéro » en matière de liberté d’expression (avec trois autres pays non francophones, à savoir l’Érythrée, l’Égypte, au régime bien plus autoritaire que sous Moubarak, et le Eswatini, dernière monarchie absolue du continent).
Si le niveau raisonnable des cours des matières premières a également eu un impact positif, les bonnes performances de l’Afrique de l’Ouest francophone s’expliquent principalement par les nombreuses réformes mises en œuvre par les pays de la région, aussi bien sur le plan économique qu’en matière de bonne gouvernance. Des plans de diversification ont ainsi été mis en place, comme le « Plan Sénégal émergent » (PSE), ou encore la « Stratégie de croissance accélérée et de développement durable » (SCADD) au Burkina Faso, dont la croissance s’est établie à 6,0 % en 2019 (6,8 % en 2018). Pour ce qui du climat des affaires, certains pays ont réalisé un bon considérable entre les classements Doing Business 2012 et 2020, et notamment le Togo (passé de la 162e à la 97e place), la Côte d’Ivoire (de la 167e place à la 110e place), le Sénégal (de la 154e à la 123e) ou encore le Niger (passé de la 173e à la 132e place, talonnant ainsi le Nigeria, 131e). Pays francophone le moins bien classé d’Afrique de l’Ouest, la Guinée est toutefois passée de la 179e à la 156e place sur la même période.
À titre de comparaison, il convient de savoir, par exemple, que la Nigeria et l’Angola, respectivement première et troisième économie d’Afrique subsaharienne (du fait de leur très importante production pétrolière), se classent à la 131e et à la 177e place, respectivement. Par ailleurs, il est à noter que le dernier classement Doing Business met en évidence une détérioration considérable de climat des affaires en Éthiopie, passée de la 111e à la 159e place entre les années 2012 et 2020. Ce pays, qui peine à développer ses zones rurales et où les répressions policières et les tensions interethniques ont fait plusieurs centaines de morts ces quelques dernières années, est d’ailleurs l’un des pays connaissant les plus fortes tensions sociales sur le continent, avec en particulier l’Afrique du Sud (où l’on compte plus de 15 000 homicides par an). Enfin, il est à noter que plus aucun pays francophone ne figure désormais parmi les six derniers pays de ce classement international, places désormais majoritairement occupées par des pays anglophones (en 2012, cinq des six derniers pays étaient francophones).
Dans un autre registre, il est utile de souligner que la croissance économique de l’Afrique de l’Ouest francophone continue à être globalement deux fois supérieure à sa croissance démographique, pourtant légèrement supérieure à la moyenne subsaharienne. Grâce au cadre plus favorable instauré par les différentes réformes en matière d’économie et de bonne gouvernance, cet essor démographique contribue donc à son tour au dynamisme économique, en permettant notamment au marché intérieur de ces pays d’atteindre une masse critique nécessaire au développement de nombreuses activités économiques. Par ailleurs, la plupart des pays de la région demeurent encore assez faiblement peuplés. À titre d’exemple, la Guinée et le Burkina Faso, légèrement plus étendus que le Royaume-Uni (et non deux à trois fois plus petits comme l’indique la majorité, trompeuse, des cartes en circulation), ne comptent respectivement que 12 et 20 millions d’habitants, contre 67 millions pour le Royaume-Uni.
Une croissance en hausse en Afrique centrale
Grâce, notamment, à l’assouplissement progressif des mesures d’austérité budgétaire dans les pays pétroliers de la zone CEMAC, faisant lui-même suite à la remontée des cours du pétrole observée fin 2017, la croissance globale en Afrique centrale francophone a poursuivi sa hausse pour s’établir à 2,7 % en 2019, contre 2,3 % un an plus tôt (et 0,7 % en 2017). Au Cameroun, qui dispose de l’économie la plus diversifiée de la région, la croissance s’est maintenue à environ 4 % (4,0 %, et 4,1 % en 2018). Avec une hausse annuelle du PIB qui devrait continuer à être au moins deux fois supérieure à celle du Nigeria voisin, le Cameroun devrait lui aussi, prochainement, dépasser ce pays en termes de richesse par habitant, comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal (le PIB par habitant du pays étant de 1 534 dollars début 2019). Pour sa part, la République démocratique du Congo (RDC), située en dehors de la zone CEMAC (et donc du franc CFA), est parvenue à atteindre une croissance de 4,3 % (contre 5,8 % un an plus tôt), ce qui reste toutefois assez décevant pour un pays qui demeure un des plus pauvres du continent (562 dollars par habitant, début 2019).
En zone CEMAC, la variation du PIB est passée de 1,2 % en 2018 à 2,1 % en 2019, Guinée équatoriale incluse (ou de 2,6 % à 3,3 %, hors Guinée équatoriale). Ce pays constitue, en effet, un cas très particulier qu’il convient systématiquement de rappeler, car de nature à fausser l’interprétation des statistiques régionales. Peuplé d’environ un million d’habitants, seulement, ce pays partiellement francophone et ancienne colonie espagnole était subitement devenu l’un des principaux producteurs africains de pétrole à la fin des années 1990, avant de voir rapidement sa production commencer à décliner, au début des années 2010. N’étant pas encore parvenu à diversifier suffisamment son économie, il vient donc d’enregistrer sa cinquième année consécutive de croissance négative en huit ans (-4,3 % en 2019, et une moyenne annuelle fortement négative de -6,6 % sur les cinq dernières années).
Au Gabon, la croissance est passée de 0,8 % en 2018 à 2,9 % en 2019, et devrait de nouveau dépasser la barre des 3,0 % pour les trois prochaines années. Ce qui constitue une performance assez remarquable (mais toutefois insuffisante) pour un pays avant l’un des PIB par habitant les plus élevés du contient (7 952 dollars, devant l’Afrique du Sud, dont la croissance stagne pourtant autour de 1 % chaque année). Ceci s’explique notamment par les efforts réalisés en matière de diversification (Plan stratégique Gabon émergent – PSGE), qui lui permettent d’afficher une croissance hors hydrocarbures supérieure à celle des deux grands et proches pays pétroliers que sont le Nigeria et l’Angola. Sur la période triennale 2016-2018, et selon le FMI (dans son rapport « Perspectives économiques régionales », publié en octobre 2018), la croissance hors hydrocarbures aurait ainsi atteint une moyenne annuelle de 2,4 % au Gabon, contre seulement 0,6 % au Nigeria et 1,3 % en Angola. Sur la même période, la variation totale du PIB s’était établie à 1,1 % pour le Gabon, en moyenne annuelle, contre 0,4 % au Nigéria et -1,3 % en Angola.
Si le Gabon et le Cameroun s’emploient à reformer et à diversifier leur économie (et dans une moindre mesure le Tchad, dont la croissance est passée de 2,6 % à 3,0 %, et devrait remonter au-dessus des 5 % en 2020), force est de constater que pareils efforts n’ont pas encore été réellement entrepris au Congo voisin, qui a enregistré une évolution de son PIB de seulement 2,2 % (contre 1,6 % en 2018), et dont la croissance devrait demeurer assez faible d’ici 2022, au moins. Autre indicateur allant dans ce sens, ce pays, et en dépit de ses nombreux atouts, continue à occuper l’une des dernières places du classement Doing Business, en arrivant 180e sur un total de 190 pays étudiés (et se classant donc, à peu près, au même
niveau que l’Angola, 177e et autre pays pétrolier, ou encore que la RDC, 183e). Néanmoins, et si d’importants efforts restent donc à accomplir, il convient toutefois de saluer les grands efforts réalisés par le pays afin de réduire considérablement une dette publique qui s’établissait à 119 % du PIB début 2017, et qui faisait du Congo le 5e pays le plus endetté du continent (et le premier pays francophone). Grâce, entre autres, à ces efforts, et notamment suite à une ambitieuse politique d’assainissement des finances publiques, le Congo a ainsi vu sa dette baisser spectaculairement à 78 % du PIB début 2020 (soit un niveau inférieur à celui de plusieurs pays d’Europe de l’Ouest), ce qui le classe désormais à la dixième place des pays les plus endettés du continent. Une évolution positive, et qui devrait aider et « encourager » à instaurer un environnement plus favorable à une croissance économique plus forte. Enfin, et toujours en matière d’endettement, il est utile de rappeler que l’Afrique francophone est globalement la partie la moins endettée du continent. Ainsi, et à titre d’exemple, seuls deux pays francophones font partie des dix pays les plus endettés du continent (nombre assez stable depuis plusieurs années). Début 2020, il s’agit de la Mauritanie (9e) et du Congo (ou République du Congo, 10e).
Une croissance stable en Afrique de l’Est francophone
La croissance de cette partie du continent est restée stable à 4,2 % en 2019. Plus grand pays de la région, Madagascar confirme le redémarrage progressif de son économie, entamé en 2016, et semble être enfin sorti d’une longue période de stagnation économique, due à une instabilité politique. Le pays a ainsi enregistré une progression de son PIB de 4,7 % en 2019 (5,1 % en 2018), et devrait de nouveau repasser au-dessus de la barre des 5 % en 2020.
De son côté, Djibouti a connu une forte croissance de 7,2 % en 2019 (contre 5,5 % l’année précédente), réalisant ainsi une progression annuelle de 6,8 % en moyenne sur la période de huit années allant de 2012 à 2019. Ce pays continue à tirer pleinement profit de sa situation géographique stratégique, et est en passe de devenir une plaque tournante du commerce international, grâce notamment à des investissements massifs en provenance de Chine. Pourtant, seule une dizaine d’entreprises françaises sont implantées dans ce pays, avec lequel la compagnie aérienne Air France n’assure qu’un seul vol hebdomadaire direct avec Paris. Contraste saisissant avec les sept vols directs assurés par Turkish Airlines en direction d’Istanbul, ou encore avec les trois liaisons assurées par le groupe Emirates vers Dubaï.
Cette très faible présence économique de la France à Djibouti, tout comme en RDC, premier pays francophone du monde et où l’hexagone ne pèse que pour environ 3 % du commerce extérieur (contre environ 30 % pour la Chine, importations et exportations confondues), en dit long sur la méconnaissance dont souffrent nombre d’acteurs économiques tricolores au sujet du monde francophone, et ce, … au plus grand bénéfice d’autres puissances.
Enfin, le Burundi (1,8 %) et les Comores (1,7 %) continuent à afficher les moins bonnes performances de la région (la croissance devant toutefois rebondir à près de 5 %, en 2020, pour les Comores), tandis que Maurice et les Seychelles maintiennent une croissance honorable compte tenu de leur niveau de développement, déjà assez élevé (quasi stable à 3,9 % pour le premier, et en baisse à 3,5 % pour le second).
Un dynamisme global qui devrait se maintenir en 2020
Même s’il convient toujours de demeurer prudent au sujet des prévisions faites en cours d’année pour les pays en développement, l’Afrique francophone subsaharienne devrait une nouvelle fois être la partie la plus dynamique du continent en 2020.
Les pays de la zone CFA, telle que définie fin de 2019 (soit 13 des 22 pays francophones subsahariens et la Guinée Bissau, et auxquels l’ont peut aussi rajouter les Comores, dont la monnaie est également arrimée à l’euro), devraient continuer à bénéficier d’un euro assez bon marché, compte tenu de la baisse importante de la croissance allemande et des menaces qui pèsent sur elle pour l’année à venir. D’ailleurs, l’Allemagne, première puissance exportatrice d’Europe, et qui a historiquement toujours été en faveur d’un euro fort, au risque de pénaliser les pays de la zone CFA dont la monnaie y est arrimée (et de nuire ainsi, doublement, aux intérêts de la France), n’a aujourd’hui d’autre choix que de maintenir l’euro à un niveau raisonnable. Et ce, d’une part car son économie souffre de la baisse de la croissance chinoise, accentuée par la crise liée au coronavirus (désormais nommé Covid-19), et d’autre part, parce qu’elle devrait aussi être prochainement pénalisée par l’accord commercial signé récemment entre les États-Unis et la Chine, et selon lequel celle-ci s’engage à importer pour 200 milliards de dollars de produits et services américains supplémentaires au cours des deux prochaines années (au détriment donc, probablement, d’un certain nombre de produits et de services allemands).
Par ailleurs, et compte tenu du contexte international, le prix des hydrocarbures devrait également se maintenir à un niveau raisonnable pour les pays importateurs de pétrole et de gaz, et soutenir ainsi la croissance de la majorité des pays francophones, assez pauvre en richesses naturelles (et par conséquent, moins exposée au ralentissement de l’économie chinoise, aux importants besoins en matières premières).
Un élargissement de l’Eco à entreprendre avec rationalité et sans précipitation
Pour revenir aux pays de la zone CFA, et bien que le taux de change fixe par rapport à l’euro n’ait objectivement pas entravé le développement économique des pays concernés ces dernières années (l’Afrique francophone étant la partie la plus dynamique du continent, et en particulier la zone UEMOA), l’arrimage à l’euro, ou à toute autre monnaie étrangère, constitue toutefois une menace potentielle pour les économies de la zone (comme pour tous les autres pays dans le monde à être dans le même cas, à l’instar du Cap Vert, membre de la CEDEAO situé au large du Sénégal, et dont le cours de la monnaie est également fixe par rapport à l’euro). La volonté réaffirmée des pays de l’espace UEMOA, qui ont récemment décidé d’abandonner le franc CFA pour passer à l’Eco, de parvenir à terme à une monnaie commune à taux de change flexible, et dont le cours serait, par exemple, basé sur un panier de devises (en particulier l’euro, le dollar et le yuan chinois), constitue donc une nouvelle rassurante pour l’avenir des pays de la région. De même, le caractère progressif de cette transition et à saluer, car de nature à ne pas provoquer de fuite brutale de capitaux et à ne pas déstabiliser cette zone qui est la plus dynamique du continent.
Ceci est d’ailleurs l’occasion de rappeler, et comme le savent tous les experts en la matière, que la décision qui avait été prise par les pays de la CEDEAO d’instaurer dès l’année 2020 une monnaie unique à l’ensemble des pays de la zone, francophones, anglophones et lusophones, n’a bien évidemment aucune chance d’être respectée. Et ce, pour la simple raison qu’aucun des pays de la région, à l’exception du Togo, ne respecte les critères de convergence. Et en particulier les pays anglophones (+ le Cap Vert) qui ne sont pas habitués, à l’inverse de leurs voisins francophones de l’UEMOA, aux principes de discipline budgétaire et monétaire qu’impose l’adoption d’une monnaie unique. Par conséquent, les pays de la CEDEAO se réuniront une nouvelle fois, au cours de l’année 2020, pour annoncer un énième report de quelques années de la création de cette monnaie ouest-africaine, comme ils l’ont déjà fait à plusieurs reprises au cours des dernières décennies (le Nigeria vient d’ailleurs de demander ce report, le 10 février dernier).
L’attitude de certains commentateurs et responsables politiques de la région, faisant croire que la non adoption d’une monnaie unique pour l’ensemble de la zone dès 2020 résulterait d’un « court-circuitage » de la France, relève donc d’une habitude, tristement bien enracinée chez certains, de rejeter systématiquement sur autrui la responsabilité de leurs échecs, plutôt que sur eux-mêmes. Dans le même registre, il est intéressant de noter que la plupart des détracteurs les plus médiatiques du franc CFA considèrent aujourd’hui que la fin de l’obligation historique de centraliser en France 50 % des réserves en devises des pays de la zone UEMOA, n’est qu’un détail sans grande importance par rapport à la question du maintien – provisoire – d’un taux de change fixe pour l’eco vis-à-vis de l’euro (comme avec le franc CFA). Or, ces mêmes personnes considéraient il y a encore quelques mois que ce dépôt obligatoire de la moitié des devises constituait l’aspect le plus inacceptable du franc CFA, étant même présenté comme un symbole du soi-disant pillage des ressources financières de ces pays africains. Ce changement soudain d’attitude sur cette question (qui n’a, en réalité, et en tenant compte de l’ensemble des paramètres, toujours été qu’un détail technique, sans incidence sur le développement des pays de la zone, notamment parce que tous les pays du monde mettent toujours de côté une partie importante de leurs réserves en devises) est assez révélateur du manque cruel d’objectivité de certaines personnes, qui profitent, hélas, de leur accès aux médias pour manipuler les masses.
Puisque la volonté d’aller vers une monnaie commune partagée par le plus grand nombre de pays d’Afrique de l’Ouest semble être assez largement répandue auprès des opinions publiques, les pays francophones de la zone UEMOA devraient alors bien se garder de faire preuve de précipitation en la matière, et privilégier une approche purement rationnelle, et non « affective ». Et ce, surtout lorsqu’il s’agira d’examiner une éventuelle adhésion du Nigeria, dont le poids démographique, d’une part, et les graves difficultés économiques, d’autre part, constituent une menace réelle pour les intérêts de l’ensemble des pays de la région, qu’ils soient francophones, lusophones ou anglophones (comme le Ghana, par exemple). En effet, et bien qu’en voie d’appauvrissement, le Nigeria continuera toute de même à peser assez lourdement en Afrique de l’Ouest du fait de son poids démographique (et, in fine, économique). Une adhésion de sa part à une monnaie ouest-africaine représenterait ainsi une grave menace pour la souveraineté de l’ensemble des pays de la région, qui n’auraient pas vraiment leur mot à dire sur la gestion de cette monnaie supranationale. La fermeture récente des frontières du Nigeria aux marchandises venant des pays frontaliers de la CEDEAO, sans concertation préalable et en dehors des règles mêmes de l’organisation, est d’ailleurs assez révélatrice de ce que pourrait être l’attitude du pays dans le cadre de la gestion d’une monnaie commune ouest-africaine (qui aurait probablement pour principal objectif de servir avant tout les intérêts du Nigeria).
À cela, s’ajoutent donc les graves difficultés structurelles auxquelles fait face le Nigeria, qui connait une croissance économique très faible depuis plusieurs années (largement inférieure à sa croissance démographique, contrairement aux pays francophones frontaliers), une inflation assez forte (11,7 % en moyenne annuelle sur les sept années de la période 2012-2018, soit à peu près comme le Ghana, 12,9 %, mais très largement au-dessus de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal, respectivement 1,1 % et 0,5 %), une monnaie ayant perdu plus de 50 % de sa valeur face au dollar depuis 2014 (et plus de 99 % de sa valeur depuis sa création en 1973, lorsque la livre sterling valait 2 nairas, contre 474 au 15 février 2020), et dont 95 % environ des exportations reposent encore sur le pétrole et le gaz (le pays n’étant toujours pas parvenu à mettre en place un tissu industriel capable de le sortir de sa dépendance aux hydrocarbures, en en diversifiant les exportations).
L’intégration d’une économie en aussi mauvaise santé et en déclin comme celle du Nigeria à une monnaie ouest-africaine est incontestablement de nature à déstabiliser profondément les économies de tous les autres pays qui partageraient la même monnaie, à travers une importante perte de valeur de celle-ci, accompagnée, de surcroît, d’une politique monétaire plus adaptée à un pays en crise (le Nigeria, par son poids démographique et donc économique, dictant l’essentiel de cette politique), et ne correspondant donc pas aux besoins des pays dynamiques de la région. À commencer par ceux de l’UEMOA, plus vaste zone de forte croissance du continent, qui verraient ainsi leur dynamisme baisser significativement et assez rapidement.
Par ailleurs, et dans un autre registre, indépendant de la question d’une éventuelle monnaie régionale, il convient de souligner que le déclin de l’économie nigériane est de nature, à terme, à accroître considérablement l’émigration de Nigérians, en quête d’une vie meilleure, vers des pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, et en particulier vers le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Ghana. Ces pays doivent donc se préparer à faire face à ce qui pourrait être un véritable choc migratoire, compte tenu de la population du Nigeria, et notamment les pays de la CEDEAO dont les règles prévoient la liberté de circulation et de résidence pour les ressortissants des pays membres. Des règles qu’il faudra peut-être songer à revoir en fonction des intérêts des autres pays de la région, francophones et anglophones.
Enfin, et pour revenir à la question d’une monnaie commune, il est utile de rappeler que l’argument selon lequel une monnaie ouest-africaine permettrait de stimuler les échanges commerciaux entre les pays de la région, est un argument erroné qui ne correspond pas à la réalité des choses (et qui rappelle, d’ailleurs, une certaine propagande ayant précédé la création de l’Euro, pour une partie des pays de l’Union européenne. Une monnaie à laquelle n’auraient, d’ailleurs, probablement jamais accepté d’adhérer des pays comme la France et l’Italie si l’Allemagne comptait 600 millions d’habitants…). À titre d’exemple, les échanges entre les pays francophones de la zone UEMOA n’ont que très marginalement bénéficié de l’existence d’une monnaie commune à ces pays, et demeurent même encore globalement très faibles. Autre exemple intéressant, la part de la zone euro dans le commerce extérieur de la France a baissé depuis la mise en place de la monnaie unique, suite à une augmentation plus importante des échanges entre la France et le reste du monde qu’avec les pays de la zone euro. Ce qui permet, d’ailleurs, de constater que les flux commerciaux entre la France et les autres pays de la zone monétaire étaient déjà très importants avant la création de la monnaie unique… Ainsi, la hausse des échanges entre pays ne dépend pas de l’existence d’une même monnaie, mais simplement de la capacité des pays à exporter des produits, à travers la mise en place préalable d’un environnement favorable pour y parvenir (cadres juridique, réglementaire et fiscal, infrastructures, formation, accords commerciaux, et en s’appuyant, dans le cas de certaines industries nécessitant de lourds investissements, sur un marché assez important… comme le sont déjà ceux de l’UEMOA et de la CEDEAO).
Ilyes Zouari
Président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le Monde francophone)
Spécialiste du Monde francophone, Conférencier.