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L’Afrique en bande dessinée 3 – « Katanga » ou la tragédie de Lumumba

CRITIQUE. Alors que le festival d’Angoulême 2019 débute, les éditions Dargaud concluent la brillante trilogie de Fabien Nury et de Sylvain Vallée sur la crise katangaise.

« Il y a toujours eu des mercenaires au Katanga. En fait, le Katanga a même été inventé par un mercenaire. » C’est avec ce rappel historique que s’ouvre et se termine la formidable trilogie Katanga de Fabien Nury et de Sylvain Vallée. Après avoir connu un succès retentissant avec Il était une fois en France, le duo s’attaque depuis 2017 à l’Afrique dans un récit de guerre narrant la crise congolaise sur fond de chasse au trésor. Le dernier album nommé Dispersion de cette sanglante saga doit justement paraître le 25 janvier prochain en plein festival d’Angoulême. Avec ses courses-poursuites, ses fusillades et ses rebondissements, on retrouve tout ce qui fait le sel des précédents volumes.

L’histoire

Katanga raconte un affrontement entre trois hommes. Le premier est Armand Orsini, un cynique conseiller spécial gaulliste du régime katangais. Félix Cantor, son acolyte, est un soldat de fortune désabusé qui aime la violence et les armes. Enfin, Charlie est un Congolais très intelligent qui essaie de survivre avec sa sœur Alicia. Tous vont s’affronter pour récupérer de précieux diamants dans un Congo dévasté par la guerre civile. Derrière cette aventure haute en couleur proche des films des années 60 et 70, les auteurs dénoncent les rouages qui ont mené à l’assassinat de Patrice Lumumba, premier chef de gouvernement du Congo indépendant alors appelé Congo-Léopoldville, jugé trop « communiste » par ses opposants.

Alors que le pays sort de 80 ans de domination belge, la province du Katanga mené par Moïse Tshombé fait sécession le 30 juin 1960. Appuyée par la puissante Union minière du Katanga regroupant les milieux d’affaires occidentaux, Tschombé est soutenue par des techniciens belges qui ne supportent pas le nouveau gouvernement congolais mené par Patrice Lumumba, pourtant élu démocratiquement. L’indépendantiste effraie par son anticolonialisme et son envie de se rapprocher du bloc de l’Est et de l’URSS. Militairement faible, le jeune État katangais, qui n’est pas reconnu internationalement, décide de faire appel à des mercenaires blancs qui ont fait leurs preuves dans de nombreux conflits postcoloniaux, comme l’Algérie, l’Indochine, mais aussi en Europe lors de la dernière guerre mondiale. Des barbouzes vont former l’armée katangaise et mener des actions contre les soldats loyalistes de la RDC et les forces de l’ONU demandées par Lumumba pour maintenir l’ordre. Le mercenaire Bob Denard se rendra d’ailleurs célèbre pour son efficacité qui lui sera utile dans d’autres pays africains (Angola, Bénin, Comores, Gabon, Zaïre).

Sortir de l’héroïsme militaire

« Je ne me suis pas du tout inspiré de lui pour mon personnage de Felix Kantor », révèle le scénariste Fabien Nury. « Nous voulions narrer une histoire réaliste avec des mercenaires et montrer la limite des récits guerriers. On souhaitait sortir de l’héroïsme militaire pour montrer la réalité avec des gens qui tuent des hommes pour de l’argent sans se poser de questions sur les causes sordides qu’ils défendent ainsi que des impacts géopolitiques ».

Dans ce troisième épisode, le meurtre de Patrice Lumumba est dessiné ainsi que son démembrement dans une séquence traumatisante qui restera dans les mémoires des amateurs du 9e art. Le Premier ministre de la RDC fut livré aux Katangais suite à un coup d’État soutenu par la CIA ou Joseph Désiré Mobutu prit le pouvoir. Lumumba et deux de ses partisans furent torturés et fusillés. « J’ai été dépassé par ce que j’ai découvert en étudiant cette période historique », témoigne Nury. « J’ai été marqué par la lecture de Congo, une histoire de David Van Reybrouck, mais aussi par les récits des mercenaires comme celui de Jean Schramme (Le Bataillon Léopard) ». Katanga ne montre pas tout, mais dénonce beaucoup. Sylvain Vallée dessine les crimes de guerre, la lutte entre les ethnies, l’esclavage des Blancs sur les Noirs, le cannibalisme, l’incapacité de l’ONU, Foccart et la France Afrique ainsi que la perfidie des politiciens africains et des Occidentaux avides des diamants et d’or.

Les atouts

Cette trilogie qui s’intéresse à une période très peu traitée par la BD franco-belge entraîne facilement le lecteur grâce à sa maîtrise narrative. Fabien Nury est toujours aussi bon pour mêler petite et grande histoire tout en créant des personnages inoubliables. Les belles planches habillement coloré de Jean Bastide se marient bien avec le graphisme de Vallée. Avec plus de 50 000 exemplaires vendus, Katanga prouve qu’il est possible d’évoquer avec succès des sujets graves qui permettent de questionner la décolonisation avec intelligence dans un grand récit d’aventures.

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