Le Kremlin a impressionné les dictateurs africains en volant au secours de leur homologue syrien Bachar el-Assad. Il en profite aujourd’hui pour avancer ses pions, offrant de la sécurité en échange de ressources naturelles et de soutiens à l’ONU
«Il n’est pas un seul dossier international où notre opinion puisse être ignorée», se félicitait récemment un présentateur vedette de la télévision d’Etat russe. Se vantant à domicile d’être redevenue une superpuissance, la Russie ne néglige plus aucune partie du monde. Que ce soit en Egypte, en Libye, en République centrafricaine ou en République démocratique du Congo, elle avance rapidement ses pions ces dernières semaines sur le continent africain, cherchant à transformer l’essai marqué en Syrie.
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Une dispersion de forces partout
Moscou joue une partition bien connue: Nous seuls sommes en mesure d’apporter une solution sécuritaire aux pouvoirs en place contre les oppositions armées (ou terroristes), tandis que les Occidentaux ne font que déstabiliser la situation (Irak, Libye). Un air qui plaît à un nombre croissant d’hommes d’Etat, frappés par les destins opposés de Bachar el-Assad et de Mouammar Kadhafi.
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Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, est rentré jeudi dernier les bras chargés de contrats après une visite de trois jours en Russie: création d’un parc industriel russe, construction d’une centrale nucléaire financée à hauteur de 25 milliards de dollars par Moscou. Sans oublier un volet militaire: le ministre russe de la Défense enverra cette semaine 200 parachutistes en Egypte pour participer à des exercices conjoints. Et le Kremlin achèvera bientôt la livraison de 46 hélicoptères d’attaque K-52, son modèle le plus perfectionné.
Mais c’est l’activité militaire russe en Libye, plus controversée et secrète, qui fait couler de l’encre. Le 8 octobre, le tabloïd britannique The Sun a affirmé que Moscou y a envoyé plusieurs centaines de soldats, s’est installé sur deux bases et aurait déployé des systèmes antiaériens S-300 et des missiles de croisière Kalibr. Des forces destinées à épauler le général Khalifa Haftar, qui contrôle l’est du pays.
Moscou nie fermement, affirmant rester neutre dans le conflit qui divise la Libye. Mais des médias russes plus sérieux que The Sun citent des sources militaires russes confirmant la présence de 200 parachutistes d’une unité d’élite en Libye.
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«Une longue tournée africaine»
Le déploiement de missiles est, lui, considéré comme «fantaisiste» par l’expert militaire Mikhail Barabanov. «Tout au plus peut-il y avoir des conseillers russes et des mercenaires en quantité réduite», assure-t-il. A ses yeux, il s’agit, de concert avec des livraisons d’armes, de faire pencher la balance en faveur du général Haftar mais pas de s’installer durablement.
L’expert militaire Alexandre Golts pense, au contraire, que Moscou espère projeter sa force sur place, pour contrôler à terme une zone stratégique de la Méditerranée, voire y construire des bases militaires. Alexandre Golts rappelle que la Libye est un pays pétrolier, donc solvable, à qui la Russie espère vendre des armes pour une dizaine de milliards de dollars.
Cet activisme dans le Maghreb n’est pas une surprise, car l’Algérie, la Libye et l’Egypte sont restées depuis la fin de l’URSS de gros clients d’armes russes. Mais Vladimir Poutine a des ambitions plus larges, comme le prouvent de récentes incursions russes en Afrique subsaharienne. Des passerelles ont été lancées vers le Soudan, la République centrafricaine, le Congo (RDC), le Rwanda, le Mozambique, l’Ethiopie, l’Angola, la Guinée et, bien sûr, l’Afrique du Sud, son partenaire au sein des BRICS.
Peu après une longue tournée africaine du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, Vladimir Poutine a annoncé l’annulation de 20 milliards de dollars de dettes contractés par des pays africains envers Moscou. Puis des accords militaires ont été passés avec la RDC, l’Ethiopie, et le Mozambique. Au printemps, les projecteurs se sont braqués sur la République centrafricaine (RCA), devenue en quelques mois la tête de pont de la Russie sur le continent noir.
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Moscou, «un parrain alternatif»
Sentant une opportunité se présenter avec la fin de l’opération française Sangaris en 2016, la Russie a d’abord invité le président Faustin-Archange Touadéra, menacé par l’essor de 14 milices rebelles, à venir discuter à Sotchi avec le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. En dépit de l’embargo onusien sur les armes à destination de la RCA, Moscou lui a fourni des milliers de fusils d’assaut et du matériel anti-aérien, livrés sur un aéroport de Berengo offert aux Russes.
Puis 175 instructeurs militaires russes ont été dépêchés sur place pour former un bataillon. Et des forces spéciales chargées d’assurer la sécurité du président ont remplacé les forces spéciales rwandaises reléguées au second plan. Un conseiller politique et de sécurité russe, Valeri Zakharov, occupe désormais un bureau du palais présidentiel. Il y aurait désormais plus de 1000 Russes en RCA, pour l’essentiel des mercenaires employés par des sociétés de sécurité privées, mais inféodées au Kremlin.
D’après un diplomate spécialiste de l’Afrique, «les potentats africains voient en Moscou un protecteur ou un parrain alternatif, tandis que Poutine tisse un réseau mondial de vassaux prêts à le soutenir à l’ONU et lorgne sur un accès privilégié aux ressources minières locales». Avec son gros retard sur les Occidentaux et la Chine, la Russie parie sur une stratégie «low cost» basée sur l’offre de sécurité aux pays les moins démocratiques du continent. Une stratégie qui n’a pour l’instant essuyé qu’un seul échec, lorsque Djibouti a récemment rejeté la demande russe d’utiliser une partie de la nouvelle base navale chinoise.