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La place de la femme dans la société malienne : Un si long combat

Depuis le 17 janvier 2012, le Mali  a un nouveau code de la personne et de la famille, après plus de cinquante ans, sous l’ancien code datant de 1962. De l’élaboration de ce code à sa promulgation, cela aura pris douze ans avec à la clé de nombreuses péripéties qui auront par moment fait frôler le pire au Mali. Retour sur un code qui suscite encore controverses et incompréhensions.

Après plus de trois décennies d’application de la loi n°62-17/AN-RM du 3 février 1962 portant code du mariage et de la tutelle, complétée par l’ordonnance n°26 du 10 mars 1975, la loi n°62-18 / AN-RM du 3 février 1962 portant code de la nationalité malienne, modifiée par les lois n°66-7 du 2 mars 2966, n°68-49 DL/RM du 27 juin 1968 et n°95-70 du 25 août 1995, l’ordonnance n°73-036 du 31 juillet 1973 portant code de la parenté ont montré leurs limites. Il devenait, donc, urgent, face à l’évolution sociale, économique et politique d’aller vers son renouvellement.

Quatre ans après son élection, le Président de la République, Alpha Oumar Konaré, en 1996, va prendre la décision d’entamer le processus de reforme du code du mariage et de la tutelle. Il devait désormais s’appeler le code des personnes et de la famille. Ce nouveau code, en plus de mettre le Mali en phase avec les conventions ratifiées sur la protection de la femme, devait permettre la promotion de leurs droits et de lutter contre la discrimination à leur encontre.

Dans un pays où les femmes représentent plus de 50% de la population, ce code visait la promotion de l’égalité des genres.

Pour mener à bien cette réforme, en plus des autorités, les organisations de la société civile, les Religieux, les organisations des femmes et des Droits de l’Homme ont tous été impliqués et ce, depuis le début en 1996.

Cet exercice a accouché d’un projet de Code des Personnes et de la Famille qui fut soumis au Conseil des Ministres le 22 mai 2002. Pendant près de trois ans, le processus d’élaboration du Code a pris du plomb dans les ailles, et ce n’est qu’en 2005 qu’une Commission chargée de finaliser le projet initial a été mise en place.

L’actuelle Commission, forte de vingt membres, et représentant toutes les sensibilités de notre pays, a été créée le 10 janvier 2008 par le Ministre de la Justice et installée et officiellement cinq jours plus tard.

Il est arrivé à l’Assemblée Nationale le 19 juin 2009 et le 3 août 2009, les Députés l’ont voté à 117 voix pour, 5 contre et 4 abstentions. Mais, si ce Code de 1155 articles a été salué et apprécié par les organisations des Droits de l’Homme et plusieurs organisations de la société civile, il va rencontrer la farouche opposition des Religieux qui pourtant ont été associés à tout le processus.

Des protestations qui vont vite se muer à des manifestations géantes. Le 22 août 2019, à l’appel du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM), plus de 50.000 personnes se sont retrouvées au Stade du 26 Mars pour dire « NON » à ce Code. Une situation qui va amener le Président de la République d’alors, Amadou Toumani Touré, à surseoir à la promulgation dudit code.

Les points de  la discorde

Les points de discorde portent sur plusieurs articles du Code de la Famille. L’article 5 porte sur l’intégrité de la personne humaine: selon les organisations religieuses musulmanes, cet article pourrait être utilisé dans la lutte contre les Mutilations Génitales Féminines dont le type 2 (l’excision) est le plus répandu au Mali. Or, selon la Religion musulmane, elle n’est ni une obligation ni une recommandation exigée, mais un acte facultatif.

L’Article 56 porte sur le choix de domicile: selon le nouveau Code de la famille, ce choix pourrait se faire sur la base de l’exercice des professions par l’un des conjoints. Cela constitue une véritable avancée pour les Droits des femmes ; car, l’ancien Code, dans son Article 34, stipulait que le mari est le Chef de famille. En conséquence, les charges du ménage pèsent à titre principal sur lui, le choix de la résidence de la famille lui appartient; la femme est obligée d’habiter avec lui et il est tenu de la recevoir. À cause de cette disposition, beaucoup de femmes ont ainsi perdu leurs activités et sources de revenus pour suivre leurs maris.

Article 281 traite de la laïcité du mariage; c’est surtout ce qui a causé toutes les agitations au sein des organisations religieuses musulmanes. En fait, 35 pour cent de femmes dépossédées, chassées du domicile conjugal l’ont été parce qu’elles ne possèdent pas d’acte de mariage civil, aussi le mariage musulman n’élabore pas de contrat qui peut servir de preuve concrète de lien de mariage, alors la femme en cas de divorce ou de décès du mari se trouve confrontée à des problèmes vis-à-vis de la loi pour revendiquer leurs droits.

L’Article 282 porte sur l’âge minimum du mariage: il a été révisé et fixé à 18 ans pour les deux sexes.

L’Article 311 porte sur le devoir d’obéissance par la femme qui a été remplacé par le respect mutuel. Dans les articles 556 à 573, l’autorité du père a été remplacée par l’autorité parentale.

Les articles de discorde portent, donc, sur des questions sur lesquelles les activistes des Droits des femmes travaillent afin d’améliorer le vécu quotidien des femmes et de promouvoir leurs Droits humains fondamentaux. Ce nouveau Code de la Famille est un véritable effort d’harmonisation et de conformité des lois nationales maliennes avec les lois internationales sur les droits des femmes et de l’enfant telle que de la Convention sur l’Élimination des Discriminations à l’Égard des Femmes (CEDEF) ratifiée par le Mali en 1985, le protocole à la Charte Africaine relative aux Droits des femmes ratifiée par le Mali en 2005 et la convention sur les droits de l’Enfant.

Les organisations religieuses musulmanes perçoivent le nouveau Code de la Famille comme une volonté manifeste du Gouvernement de servir des visions étrangères à notre société; elles ont tenu à marquer leur désaccord avec les principes de laïcité du mariage, l’âge du mariage, l’option en matière de succession et ont insisté sur leur volonté de donner un caractère juridique au mariage religieux, d’accorder les mêmes droits et devoirs aux époux dans les unions polygames, de maintenir le devoir d’obéissance de la femme au mari et la contribution des deux époux aux charges du ménage.

Des arguments qui ne sont pas partagés par les militants des Droits de l’Homme qui estiment que: «dans le Code de la Famille il n’y a aucun dispositif qui va contre les lois et les conventions et traités signés et ratifiés par le Mali». Selon eux, les Religieux  veulent mélanger les choses et semer la confusion dans l’esprit de la population à majorité analphabète  en mélangeant coutume, tradition et Religion. «Il y a des points de vue qu’ils défendent et qui n’existent nulle part dans le Saint Coran », disent-ils.

La promulgation

Les manifestations des Religieux musulmans ont poussé le Président de la République, Amadou Toumani Touré, à surseoir à la promulgation du Code. Une commission Ad hoc sera mise en place pour la relecture du texte. Cette commission était composée de 15 parlementaires et de 15 membres du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM). La version du Code rendue par cette commission, c’est elle qui a été votée le 2 décembre 2011 (un vendredi) à l’unanimité des 121 Députés présents ce jour à l’Assemblée Nationale au grand dam des organisations féminines et des organisations des Droits de l’Homme. C’est le 17 décembre que le Code a été promulgué par le Président de la République.

Sur les 19 amendements proposés par des organisations de la société civile, seuls 2 ont été retenus. Elles diront que ce Code tel qu’adopté par les Députés ne répond pas à l’attente des populations.

«La femme demeure toujours mineure par rapport à son mari et il y a toujours des discriminations à son égard. Le contenu viole même les principes constitutionnels de la République du Mali et il faut que ledit code poursuive encore son amendement, car il est loin de répondre aux aspirations de la population».

La plainte 

Dans un communiqué en date du 26 juillet 2017, l’Institut pour les Droits de l’Homme et le Développement en Afrique (IHRDA) et l’Association pour le Progrès et la Défense des Droits des Femmes (APD) affirment avoir  déposé une requête devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples pour obtenir de celle-ci une injonction demandant au Mali d’amender le Code des Personnes et de la Famille adopté le 2 décembre 2011.

Cette requête est la suite logique de la contestation des défenseurs des Droits des femmes et des jeunes filles qui s’étaient insurgés face à un texte qui est en contradiction sur de nombreux points avec les conventions, protocoles et autres traités internationaux signés et ratifiés par notre pays en matière de droits humains, notamment ceux de la femme et de l’enfant.

Pour ces deux associations, le Code des Personnes et de la Famille est «incompatible avec le Protocole à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples relatif aux Droits des Femmes en Afrique (appelé Protocole de Maputo)», ratifié par notre Gouvernement en 2005, ce qui l’obligeait «par conséquent à prendre des mesures pour mettre sa législation nationale en conformité avec le Protocole».

Sont notamment concernés par cette requête l’Article 6 du CPF «qui autorise le mariage des filles âgées de 16 ans et en dessous et est contraire à l’article 6 (b) du Protocole de Maputo, qui fixe l’âge minimum de mariage à 18 ans» et les articles 283 – 287 qui «accordent aux officiers de l’état civil et aux membres du clergé (Ministres du Culte) la compétence de célébrer les mariages, mais n’imposent aucune obligation aux membres du clergé de vérifier le consentement des partenaires avant de prononcer le mariage» et vont «à l’encontre des Articles 6 (a) et 16 (a) et (b) du Protocole de Maputo».

Enfin, l’Article 751 du Code des Personnes et de la Famille «consacre la primauté du Droit islamique et du Droit coutumier en matière d’héritage, alors que le Droit coutumier et le Droit islamique discriminent les femmes et les filles en matière d’héritage, en violation de l’Article 21 du Protocole de Maputo, qui prévoit que la femme a le droit d’hériter une part équitable des biens de son défunt mari. En outre, cela va à l’encontre de l’Article 2 (2) du Protocole de Maputo qui oblige les États à éliminer les normes sociales et culturelles qui encouragent la discrimination à l’égard des femmes», estiment les associations plaignantes.

La laïcité en cause

En son Article 280, le Code des personnes et de la famille paraît comme un texte favorisant la Religion musulmane au détriment ‘autres Religions, notamment le christianisme. En effet, selon cet article : le mariage peut être célébré par l’Officier d’état civil ou par le Ministre du Culte. S’il est vrai que le Ministre du Culte varie selon les Religions. Cette dualité du mariage montre que les Chrétiens ne sont pas concernés par les Catholiques. Car, selon la législation de l’église, le mariage ne peut être célébré par un Prêtre sans la présentation d’un certificat de mariage conforme aux textes législatifs en vigueur dans le pays. Le code de droit canon s’impose dans les domaines spécifiques à la communauté chrétienne, en complétant des lois et règlements en vigueur, mais ne peut en aucun cas, sauf pour l’État du Vatican, remplacer la législation d’un État. De ce constat, on déduit généralement que le domaine de l’Église catholique est réduit par ce code. Ce passage tiré de la présentation du Dr Aly Kola Koïta, Maitre assistant en Droit privé, faite lors du colloque international « État moderne et religion » de la Fondation Konrad Adenauer, montre combien ce code qui a été relu par 15 parlementaires et 15 membres du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM) met à mal la laïcité pourtant inscrite dans la constitution du pays.

Aujourd’hui, à défaut d’un Décret d’application, les Officiers d’État civil, dans certaines parties du pays, notamment au Centre continuent à célébrer les unions sur la base du Code de la famille de 1962.

Mohamed Sangoulé DAGNOKO

LE COMBAT

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