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La langue maternelle, un patrimoine universel à protéger

A l’heure de la mondialisation, la planète communique principalement en mandarin, en espagnol et en anglais. Cependant, chaque être humain possède une langue maternelle, un élément essentiel de l’identité. Un thème mis à l’honneur par l’ONU ce 21 février afin « d’encourager la conservation et la défense de toutes les langues parlées par les peuples du monde entier ».

« A la maison, on parlait pular, dehors avec les copains, je parlais wolof, et à l’école on parlait français », se souvient Mbaye Sow, un Sénégalais qui partage sa vie entre son pays natal et la France. Comme lui, ils sont des millions à détenir une langue maternelle (aussi appelée langue première) autre que celle qu’ils utilisent au quotidien.

« La langue maternelle est un facteur d’identité primordial, c’est la langue de la petite enfance et de la famille », analyse la linguiste Marina Yaguello. « La langue maternelle est, au fond, la première analyse du monde dont dispose l’être humain », explique de son côté le linguiste Louis-Jean Calvet. En effet, on peut passer sa vie professionnelle en parlant le français ou l’anglais par exemple, mais en même temps « voir le monde à travers la langue qu’on a apprise en premier ».

En France, la majorité de la population est unilingue, c’est-à-dire que le français est non seulement leur langue maternelle mais aussi leur langue du quotidien, du travail, etc. Ce qui est bien différent dans d’autres régions du globe. Dans les pays francophones africains, le français est une seconde langue, voire une troisième. En Inde, où plusieurs centaines de langues maternelles se côtoient, l’hindi et l’anglais sont les langues majoritairement parlées.

Cependant, la majorité des personnes bilingues, voire trilingues, confient souvent penser, exprimer des sentiments, rêver, dans leur langue maternelle même si elles ne l’utilisent que très peu. « Quand je retourne dans mon village natal au Sénégal, raconte Mbaye Sow, on se moque de moi parce que je parle le pular avec un accent français ou entrecoupé de mots en wolof. Mais je suis extrêmement attaché à ma langue maternelle et à sa culture, c’est elle qui m’a élevé. »

Parce qu’entretenir la langue maternelle est une richesse, quelle que soit cette langue (il en existe environ 5 000). C’est grâce à la maîtrise de sa première langue ou langue maternelle que les compétences de base en lecture, écriture et calcul pourraient être acquises.

La scolarisation dans la langue maternelle, un atout ou un inconvénient ?

Le débat alimente nombre de discussions entre linguistes : être scolarisé dans sa langue maternelle permettrait de mieux apprendre et d’éviter les échecs. De nombreuses enquêtes ont été menées sur le sujet. Louis-Jean Calvet en a lui-même effectué une il y a une vingtaine d’années, au Mali, dans les écoles primaires : certaines classes commençaient en français, et d’autres classes expérimentales débutaient uniquement en bambara, puis le français y était introduit petit à petit. Résultat : arrivés à la fin du cycle primaire, les élèves qui avaient commencé en bambara étaient meilleurs dans toutes les matières, y compris en français, que ceux qui avaient commencé en français.

Quid de l’arabe littéraire (ou arabe standard) qui n’est la langue maternelle de personne ? La langue maternelle d’un Tunisien est le tunisien, d’un Syrien le syrien, etc., preuve en est qu’un Libanais ne comprend pas le parler d’un Marocain par exemple. « C’est un vrai problème de politique linguistique pour les pays arabes, pour leur développement, note Louis-Jean Calvet, parce que l’école est le premier facteur de développement et que l’on perd beaucoup de temps à essayer d’apprendre aux gens une langue qu’ils ne parlent pas dans le pays. »

Marina Yaguello rejette totalement cette idée selon laquelle il est préférable d’être scolarisé dans sa langue maternelle. Pour elle, c’est même le contraire : c’est un avantage car cela permet beaucoup plus de plasticité dans l’apprentissage des langues. « Je suis née dans une famille de l’immigration russe, le russe est donc ma langue maternelle. Mais je suis allée à l’école maternelle en français, et je considère cette langue comme étant donc aussi ma langue maternelle… »

Deux langues maternelles, une richesse que possèdent Maya, 4 ans, et son frère Sohan, 7 ans, qui ont le français et le hindi comme langues maternelles. « Depuis leur naissance,témoigne leur mère Fanny Godara, une Française mariée à un Indien, je leur parle en français et leur père en hindi. » Sohan et Maya, qui maîtrisent donc au même niveau le français et l’hindi, ont pour troisième langue l’anglais, une langue apprise en écoutant communiquer leurs parents à Pondichéry, ville du sud-est de l’Inde où ils résident …et où on parle tamoul. Quand leurs grands-parents indiens leur rendent visite, le rajasthani (une déclinaison locale de l’hindi) s’invite dans les conversations… « C’est une ouverture exceptionnelle sur le monde qu’il faut entretenir », confie Fanny Godara.

Les langues maternelles en péril

La date du 21 février n’a pas été choisie au hasard pour devenir la Journée internationale de la langue maternelle : ce jour-là en 1952, des étudiants ont été tués par la police à Dacca (aujourd’hui capitale du Bangladesh) alors qu’ils manifestaient pour que leur langue maternelle, le bengali, soit déclarée deuxième langue nationale du Pakistan de l’époque.

Selon l’ONU, toutes les deux semaines une langue disparaît, emportant avec elle tout un patrimoine culturel et intellectuel. « Ce sont des langues parlées par un tout petit nombre de locuteurs, analyse Marina Yaguello, qui sont politiquement, étatiquement, incorporées dans des groupes plus importants parlant une langue de plus grande diffusion et la résistance est très difficile. » En effet, une langue nationale va forcément exercer une pression sur les langues parlées localement, des langues maternelles qui vont donc être fortement concurrencées. « Elles ne vont pas obligatoirement disparaître, poursuit la linguiste, mais ne pourront plus assurer toutes les fonctions de la langue. »

Le cas du berbère est intéressant à plus d’un titre : il demeure plus que jamais ancré dans les pays du Maghreb, pourtant arabisés depuis plusieurs siècles (au moins 35% d’Algériens et plus de 50% de Marocains ont le berbère pour langue première). Au point que cette langue est devenue officielle dans certains pays aux côtés de l’arabe.

Ainsi, non seulement certaines langues parviennent à se maintenir mais de nouvelles apparaissent. « On voit à travers le monde, du point de vue géopolitique, de nouveaux Etats apparaître ; s’en suit généralement la reconnaissance d’une langue qui n’existait pas », analyse Louis-Jean Calvet. C’est le cas du serbo-croate devenu le serbe et le croate, le tchécoslovaque devenu le tchèque et le slovaque, mais aussi de l’hindoustani devenu le hindi et l’ourdou lors de la création du Pakistan. Une note d’optimisme donc, même si les langues qui s’éteignent sont bien plus nombreuses que celles qui naissent.

RFI

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