Neuf agents des services de renseignement de l’ex-dictateur sont accusés de torture, d’enlèvement et de meurtre. Un procès maintes fois repoussé qui agite le pays.
Ce devait être un procès emblématique de la Gambie post-Jammeh. A Banjul, la capitale, neuf agents de la défunte National Intelligence Agency (NIA), l’agence de renseignement de l’ex-dictateur, sont visés par vingt-cinq chefs d’accusation, dont le plus grave, celui de « meurtre », en avril 2016, sur la personne de Solo Sandeng, opposant politique battu à mort dans les locaux de cette institution.
Jeudi 2 novembre, à midi, alors qu’une nouvelle audience était attendue, le parquet a repoussé le procès d’une semaine, sans préciser de date, afin que soient, au préalable, installés de nouveaux juges à la chambre d’appel et au tribunal de grande instance de Banjul. Ouvert le 20 mars, le procès a déjà été reporté à de nombreuses reprises. En cause, des accusés malades, des vices de procédure, mais surtout les balbutiements d’un système judiciaire en pleine reconstruction depuis la chute de l’ancien régime. Sous pression diplomatique et menace militaire, l’autocrate avait accepté de s’exiler le 21 janvier, après avoir salué puis refusé la victoire électorale, le 1er décembre 2016, d’Adama Barrow, chef de file du United Democratic Party (UDP), le parti d’opposition principal auquel appartenait aussi Solo Sandeng.
Cafouillage judiciaire
Lors de la dernière audience, le 26 octobre, devant la haute cour de Banjul, les neufs accusés, dont Yankuba Badjie, l’ancien directeur de la NIA, ont nié devant le juge Kumba Sillah Camara l’ensemble des accusations dont ils font l’objet. En particulier une série de nouvelles charges présentées par le procureur d’Etat Antouman Gaye, dont celle d’« enlèvement pour faciliter la torture et le meurtre » ou encore celui de « falsification de preuves ». Les avocats de la défense ont aussitôt dénoncé de nombreuses erreurs, pointant l’absence de dates pour certains des faits incriminés et des accusations vagues prêtant à confusion.
Ces cafouillages judiciaires exaspèrent tous ceux qui s’impatientent de voir les nervis de l’ancien régime rendre des comptes. C’est le cas notamment de Nogoi Njie, ancienne codétenue et camarade de parti de Solo Sandeng qui se remémore la nuit de sa mort. « Après notre arrestation, nous avons été conduits au siège de la NIA, confie-t-elle au Monde Afrique. Sur place, nous avons été déshabillés et forcés à nous coucher à plat ventre sur deux tables côte à côte. Ils nous ont frappés avec des matraques et des cravaches pendant des heures. Solo est tombé de la table à deux reprises mais, à chaque fois, il a été ramené. Nos corps étaient ensanglantés. Je l’ai entendu crier jusqu’à l’extinction de sa voix. Solo est mort à côté de moi. »
Coalition d’associations
Des histoires comme celles de Nogoi Njie, les Gambiens en ont des centaines à raconter. Pendant ses vingt-deux ans de dictature (de 1994 à 2016), le régime de Yahya Jammeh a été accusé à plusieurs reprises de crimes contre l’humanité et de tortures, en particulier contre des journalistes et des opposants politiques. Des organisations de défense des droits humains ont régulièrement dénoncé devant l’ONU les exactions commises par l’ancien régime de Banjul. Des témoignages qui ont, dans de rares cas, abouti à des instructions, comme celle visant Ousman Sonko, ministre de l’intérieur sous Jammeh poursuivi depuis janvier en Suisse où il tentait de trouver refuge.
Afin que l’ancien dictateur exilé en Guinée équatoriale soit un jour jugé, une coalition composée d’associations de victimes et d’ONG de défense des droits humains s’est formée en Gambie le 19 octobre. Une commission d’enquête a aussi été mise sur pied pour faire la lumière sur les exactions de l’ancien régime permettant d’exhumer des corps d’opposants politiques.