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La gauche révolutionnaire en Afrique Subsaharienne: le cas du Mali (suite et fin)

L’histoire de la gauche malienne reste souvent méconnue. Peu d’écrits, sauf ce que l’on retrouve dans quelques journaux clandestins de l’époque. Les archives détenues par des responsables ou des militants de gauche sont propriété privée. Elles sont très mal conservées dans des cartons ou reparties en sacs faciles à planquer ou à déplacer, en cas de perquisitions policières. Beaucoup ont été perdues avec la disparition de leurs détenteurs. D’autres sont devenues la propriété de leurs familles qui n’en voient pas la portée historique. Mal conservées, elles restent, pour l’essentiel, peu exploitées, parfois inexploitables. Cependant, elles demeurent chargées de souffrances ou d’espérances, parfois les deux à la fois. Elles restent les quelques rares témoignages précieux de cette partie de l’histoire récente du pays.

 Le Bulletin du Peuple

Un autre regroupement se fit autour d’un organe de presse «Le Bulletin du Peuple» (BP) édité à Dakar. Ses publications troublèrent la quiétude de la dictature militaire et la traque du journal donna lieu à des arrestations arbitraires. Le Bulletin joua un rôle significatif dans la conscientisation et dans la mobilisation des forces de gauche surtout contre la dictature militaire. Il disposait d’un vaste réseau d’informateurs clandestins jusqu’au sein de l’appareil d’État. Il était distribué jusque dans les boites aux lettres des membres de la junte au pouvoir. Chacune de ses parutions provoquait la fureur du régime et son désarroi. Son éditeur, Mohamed Lamine Gakou, réfugié politique malien installé à Dakar pendant la dictature de Moussa Traoré, fût longtemps un collaborateur de l’économiste et militant de gauche franco-égyptien Samir Amin. À la chute de la dictature, il regagna le Mali et devient Conseiller chargé de mission à la Présidence de la République.

Si les organisations politiques clandestines, les syndicats et les associations ont fortement contribué à la chute de la dictature militaire et à l’avènement de la démocratie, leur mutation et transformation progressive en une multitude de partis politiques ont abouti à un virage ultralibéral paradoxal. Aujourd’hui, le désastre est évident. Les responsabilités méritent d’être à présent situées.

La Gauche face au coup d’État de 2012

Les divergences nées au cours des luttes eurent des conséquences importantes sur la maturation et le parcours du processus démocratique au Mali.

La chute d’ATT et le coup d’État de la junte dirigée par le Capitaine Sanogo en mars 2012 fut une occasion manquée de recomposition de la gauche malienne. Le coup d’État fut salué par une forte mobilisation populaire en faveur du changement. Les militants et les forces de gauche en étaient encore, les principaux animateurs. Leur regroupement s’opéra sous la bannière du Mouvement Populaire du 22 mars (MP22). Si les figures de proue de ce mouvement étaient de gauche, il restait cependant un mouvement hétéroclite, où cohabitaient tous les mécontents du système, jusqu’aux religieux. Le duo Sanfin et SADI, non sans mal, finit cependant par prendre le contrôle de la direction politique du mouvement. Des divergences apparurent au sein du MP22.  Ce duo soutenait sans ambages la junte militaire alors qu’aucun accord politique n’avait été scellé entre le MP22 et la junte. SADI assurait de fait la liaison entre le mouvement et la junte. La rencontre projetée entre une délégation du MP22 et le chef de la junte en vue de clarifier les fondements d’un partenariat, sur la base d’un programme politique partagé, n’eut jamais lieu. Les errements du nouveau pouvoir créèrent de fortes inquiétudes balayées à chaque fois par Sanfin et le SADI.

Progressivement de nombreux militants et cadres de gauche et des associations et partis membres du MP22 finirent par s’en éloigner. À son bilan, la mobilisation effectuée pendant cette période par les différentes composantes du mouvement a néanmoins, permis de mettre en échec les manœuvres de la France qui avait instrumentalisé les dirigeants de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Les manifestations de rue ont créé de fortes inquiétudes. Ce sont elles qui expliquent la raison véritable de l’intervention militaire française au Mali, ceci pour enrayer la révolution populaire qui pointait à l’horizon. Le mouvement populaire, à terme, risquait de prendre le pouvoir à Bamako. C’est ce qui précipita en vérité, l’intervention militaire française Serval en vue de bloquer ce processus populaire qui risquait d’inspirer les forces démocratiques et populaires dans l’espace ouest africain francophone. L’habillage de la lutte anti-terroriste vint camoufler les véritables intentions de l’impérialisme français.

Esquisse d’un Front de Gauche au Mali

Malgré cet échec, des tentatives de regroupements en vue de constituer un Front de gauche eurent lieu à Ségou. Trois années consécutives (de 2013 à 2015) y furent consacrées. Son secrétariat fut confié au parti SADI. Les échanges furent chaotiques et instrumentalisés tantôt par le SADI, tantôt par Sanfin et SADI. L’une des grandes pierres d’achoppement fût le bilan critique du MP22. SADI et Sanfin firent feu de tout bois pour justifier leur alliance stratégique avec la junte militaire dirigée par le Capitaine Sanogo. Leurs arguments furent battus en brèche par une écrasante majorité. Cependant, ils continuèrent par différents subterfuges à bloquer les documents de synthèse. Ce fut une véritable épreuve pour obtenir ces documents et constater qu’ils avaient été falsifiés. La confiance n’était plus de mise.  On se rendit compte, par ailleurs, que SADI avait retenu beaucoup d’informations sur le réseau ALNEF (African Left Networking Forum), Forum du Réseau de la Gauche Africaine dont il assurait le Secrétariat.

Aujourd’hui, la gauche malienne est en lambeaux, principalement en raison des errements théoriques et tactiques de ses dirigeants et des questions d’ego. La seule structure qui a encore de la consistance est celle regroupée au sein du «Front Populaire» créé en juin 2016 autour du parti CNAS (Convention Nationale pour une Afrique Solidaire) dirigé par Soumana Sako, ancien Premier ministre du gouvernement de Transition de 1991). Le Front populaire né de la volonté d’une recomposition saine des forces de gauche, n’aboutit malheureusement pas aux résultats escomptés. Sa faiblesse, au-delà d’une certaine rigidité théorique, reste sa faible implantation populaire. Il est avant tout un mouvement de cadres et d’intellectuels. Il n’échappe pas non plus à la querelle de leadership du fait, là encore, d’egos surdimensionnés.

Conclusion: Les défis de la Gauche malienne

Un des défis majeurs de la gauche malienne est sa capacité à dépasser l’intelligentsia urbaine. SADI avait réussi, dans sa période faste, à se donner une base rurale en milieu paysan de l’Office du Niger et de la CMDT. Mais il n’a pas su gérer ce capital précieux. Il fut aussi un des rares partis politiques à s’intéresser aux mouvements sociaux. Radio Kayira a su capter l’attention des couches populaires. Nombreux étaient celles et ceux de conditions modestes qui venaient y raconter leurs préoccupations. C’était la «radio du peuple» et ses programmes étaient relayés à travers le pays et bien suivis. Cet outil précieux de convergence des luttes populaires est aujourd’hui menacé dans sa gestion, cette dernière contestée devant la justice par son conseil d’administration. Les errements de SADI n’y sont pas étrangers.

La gauche malienne, dans ses différents segments, tout au long de son histoire, a souvent été tentée par l’aventurisme gauchiste. Ses prises de positions spectaculaires, le non-respect de la ligne de masse, la tentation du culte de la personnalité, le manque de démocratie dans le fonctionnement interne de ses organes, les alliances circonstancielles douteuses, les conflits d’ego ont largement contribué à réduire le capital de confiance et de crédibilité accumulé durant plusieurs décennies. Au fond, toutes ces questions dénotent un déficit de formation idéologique de ses cadres et dirigeants. La question de la formation est devenue capitale aujourd’hui pour la gauche malienne. En réalité, ce constat est valable au plan politique, syndical, associatif et de la société civile dans sa globalité. Elle conditionne la renaissance d’un véritable pôle de gauche au Mali. Malheureusement elle semble être laissée à l’abandon. C’est essentiellement du déficit de formation idéologique et politique que proviennent les erreurs stratégiques et tactiques actuelles et bien d’autres choses encore.

Par ailleurs, la gauche malienne ne saurait prospérer sans son intégration au sein des populations. Aujourd’hui, les mouvements syndicaux sont englués dans le corporatisme aveugle et leurs responsables sont sans culture politique et idéologique réelle. Au niveau de la paysannerie, le constat est le même. C’est dans les périphéries urbaines et dans les zones minières que les mouvements sociaux sont les plus significatifs. Il convient de les analyser et de les comprendre. Il faut arriver à leur faire dépasser le stade de la spontanéité et cela demande du temps et de la stratégie. Or la gauche malienne semble plus préoccupée par la prise immédiate du pouvoir. À cet effet, elle se lance souvent dans des alliances circonstancielles et contre-nature. Ainsi, elle fait la plupart du temps le jeu des libéraux qu’elle contribue à porter au pouvoir. Une fois au pouvoir, les alliés d’hier deviennent ses bourreaux.  C’est encore aujourd’hui le cas au sein du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) qui a contribué au coup d’État ayant renversé le pouvoir de Ibrahim Boubacar Kéita.

La gauche gagnerait à élaborer son propre agenda et à se mettre au travail avec persévérance et minutie. Mais cela suppose de sa part une vision stratégique claire et des tactiques appropriées. Cela est loin d’être le cas. L’activisme seul n’y suffira pas. La tactique d’alliance avec les milieux religieux est aussi, à terme, contre-productive.

En mars 1991, les leaders religieux n’avaient pratiquement aucune influence sur les luttes en cours. C’est la faillite du leadership des partis politiques et le populisme érigé en stratégie de conquête du pouvoir par Amadou Toumani Traoré en 2002 qui propulsa les religieux au-devant de la scène avec les conséquences dramatiques que l’on connait de nos jours.

Pour la renaissance de la gauche, la tâche s’avère immense. Elle doit tracer ses propres sillions dans la durée et sans intermédiaire au sein des couches populaires.

La question de ses rapports avec l’armée doit aussi être approfondie en raison de la tentation putschiste récurrente au sein de la gauche. Le cas malien en est une illustration. Et, à chaque fois, le retour de manivelle est terrible. La répression sanglante des forces de gauche et la liquidation physique de tous les éléments de gauche au sein de l’armée, à commencer par le Capitaine Diby Silas Diarra et ses compagnons d’armes, ont créé une méfiance de fait qui demeure malgré tout.

La question de la société civile est aussi à repenser dans nos sociétés. Dans le contexte actuel de perte de crédit des partis politiques, il convient d’y réfléchir. Dans quelle mesure pourrait-elle être un facteur de mobilisation populaire des forces de changement ? La question reste posée.

Le contexte international porte aussi sa part de responsabilité. L’échec des expériences de gauche dans différents pays, a contribué au recul des forces de gauche dans de nombreux pays. De même, la validation du modèle libéral de conquête du pouvoir par les urnes a beaucoup contribué à diluer le potentiel révolutionnaire des masses. La question mérite d’être analysée au regard de l’échec des expériences depuis le cas du Chili de Allende, l’échec de Lula au Brésil, celui de Syriza en Grèce, de Podemos en Espagne, les graves menaces sur le Venezuela. En dépit de nombreuses difficultés, seule la voie cubaine semble prospérer. Il convient d’en tirer les leçons. Pourquoi les partis de gauche porteurs de vrais changements n’arrivent pas à prospérer par la voie des urnes ? Cette question reste essentielle, malgré les changements positifs en cours actuellement un peu partout dans le monde, notamment en Amérique latine.

L’autre question capitale réside dans l’analyse de l’échec des expériences de gauche qui n’ont pu être conduites à terme. Il est important d’en faire une analyse exhaustive et approfondie.

Comment conduire le changement révolutionnaire dans un contexte de mondialisation du capitalisme libéral ?

Une rupture est-elle possible ?

Dans tous les cas, la sortie du système mondial actuel semble indispensable. Cette voie est à prospecter pour se donner les chances d’une transformation effective du monde afin de soustraire nos sociétés de la domination du capital. Autant de questionnements théoriques à inscrire à l’ordre du jour.

En interrogeant les réalités actuelles du monde, il apparaît de plus en plus que l’étincelle des changements à venir surgira certainement dans les pays du Sud. Mais il n’y a guère de doute qu’elle ne saurait prospérer sans la solidarité de luttes des forces de gauche au niveau sous régional, régional et dans les pays du centre du capitalisme mondial.

Des fractures tectoniques traversent aujourd’hui le monde, notamment en Asie, en Amérique latine et en Afrique.  Elles ébranlent jusqu’aux fondements mêmes de la domination du monde par l’Occident. Le réveil des consciences populaires inscrit à l’ordre du jour le basculement du monde vers de nouveaux horizons rejetant le modèle capitaliste néolibéral. Un nouvel ordre mondial est en gestation. Fédérer les forces de gauche dans nos pays voisins et à l’échelle africaine est un défi urgent à relever. Faire la jonction au niveau mondial est une nécessité absolue.

Mais tout cela impose une créativité théorique. Mais ce n’est pas dans les manuels du marxisme-léninisme que l’on trouvera les réponses aux défis de l’heure, même si revisiter aujourd’hui les fondamentaux, s’avère indispensable.

Une sagesse populaire en milieu en milieu bamanan au Mali, dit que «c‘est la pensée qui transforme le mil en bière !»

Pr Issa N’DIAYE

 

Source: Inter De Bamako

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