Yalta et le début de l’éclipse pour la France
Du 4 au 11 février se tient, à Yalta, une conférence qui consacre ce déclin. Les deux acteurs en sont les Etats-Unis d’Amérique et l’Union des républiques Socialistes Soviétiques. Un strapontin est offert au Royaume-Uni. Il s’en contente et plaide qu’il en soit de même pour la France. « Niet » catégorique des Américains et des Soviétiques, la France n’est pas une puissance victorieuse.
Entre un Roosevelt malade et un Churchill affaibli par l’absence de la France, Staline triomphe. Superbe dans sa vareuse, la pipe à la bouche, il se lève, prend une carte de l’Europe, l’étend sur la table, se saisit d’une règle et, d’une main ferme, trace une ligne allant de Stettin au nord à Trieste au Sud, avant de déclarer, péremptoire, tout ce qui se situe à l’ouest de ligne est zone d’influence américaine, tout ce qui se situe à l’est est zone d’influence soviétique. Churchill proteste. Un lot de consolation lui est octroyé : droit de regard lui est laissé sur la Grèce. Il s’estime heureux car, à l’issue de Yalta, la France reste « gros Jean comme devant ».
Charles de Gaulle en conçoit une profonde amertume. Mais il se résout à faire, contre mauvaise fortune, bon cœur. Il a un sujet de consolation : adossée à l’Outre-mer, la France peut espérer rebondir.
Des tentatives désespérées pour conserver une place parmi les Grands
Cependant, les choses ne sont pas si sûres que cela. Ce que l’homme du 18 Juin ignore est qu’avec la défaite du nazisme, les choses ne seront plus comme auparavant. La France tire sa puissance de ses colonies, l’Outre-mer. Mais les deux Grands du jour sont anticolonialistes, exigent que soit reconnu le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, que l’indépendance soit accordée aux peuples colonisés. A l’Elysée, mais, surtout au Palais-Bourbon, épicentre du pouvoir à l’époque, cela sent du roussi et la question est posée : que faire pour éviter la catastrophe ?
La réponse est vite trouvée : conserver sous notre drapeau ceux sur qui les armes ont consacré notre suprématie. Des subterfuges sont trouvés pour conserver les colonies. De nouveaux vocables sont inventés : Union Française, Territoires d’Outre-mer, Départements d’Outre-mer… Mais, les peuples aspirent à l’indépendance. Pour les contraindre à rester sous le joug, la France sort la grosse artillerie et ne recule devant aucune atrocité pour conserver son Empire pompeusement dénommé l’Outre-mer. Les morts qu’elle occasionne, en Indochine, en Algérie, à Madagascar, au Cameroun se comptent par centaines de milliers; des hommes, certes, mais aussi, des femmes et des enfants. Malgré ces atrocités, l’Indochine, le Maroc, la Tunisie sont irrémédiablement perdus, parfois, après que le colonisateur ait subi une mémorable déculottée comme ce fut le cas à Dien-Bien-Phu.
La Vè République, « fille » du troisième coup d’Etat depuis le 18 brumaire, ses conséquences en Afrique subsaharienne
Reste l’Afrique subsaharienne. Dans un premier temps, l’autonomie interne lui est proposée. Elle est acceptée pour être jugée, par la suite, insuffisante. D’avantage de libertés sont exigées et l’expression « évolution vers l’indépendance » commence à être développée. La France est totalement déboussolée. Du 15 avril au 13 mai 1958, pendant vingt-huit jours, elle est sans gouvernement. Le 13 mai, le Rubicon est franchi, l’Armée d’Afrique, depuis Alger, perpètre un coup d’Etat et impose Charles de Gaulle comme président du conseil de gouvernement.
Contraint, il accepte, avec l’Algérie, « la paix des braves ». A l’Afrique noire, il impose l’indépendance dans l’interdépendance », organise une consultation référendaire, y favorise ceux qui lui sont favorables et éliminent ceux qui n’y sont pas favorables, à l’exception de Sékou Touré. Les Territoires d’Outre-mer accèdent à l’indépendance, une indépendance fictive car, en fait, mais la colonisation est réorganisée. Un ministère de la Coopération se substitue au ministère de la France d’Outre-mer, de même qu’un secrétariat général de l’Elysée aux affaires africaines. Des hommes de paille sont placés à la tête des républiques inféodées à la France. Deux pays refusent cette néo-colonisation rampante : la Guinée, du 28 septembre 1958 au 22 décembre 2008, le Mali, du 22 septembre 1960 au 26 mars 1991.
A partir de mars 1991, les rapports avec Paris sont au beau fixe. Les dirigeants qui se succèdent à Koulouba commencent tous par se faire adouber par l’Elysée avant de se faire « élire ». Ils sont fiers des accolades et tapes « amicales » sur l’épaule sur le perron de l’Elysée quand ce n’est pas une descente des Champs Elysées dans une voiture découverte escortée par la garde d’honneur à cheval. L’un d’eux, sur le tard, a résisté. Il en a payé les frais et tout le Mali avec lui.
« L’Aube transparente d’un jour nouveau » pour l’Afrique subsaharienne
Aujourd’hui, c’est cette situation qui est en train de changer. Il a fallu d’un discours d’une trentaine de minutes du haut de la tribune des Nations-Unies pour que la France perde le nord, ne sache plus à quel saint se vouer, poussant l’indécence jusqu’à l’impertinence. Elle se découvre, brutalement, colosse aux pieds d’argile, et se refuse à lire, gravés d’une main de feu au fronton de l’Histoire que décrypta Daniel à l’intention de Balthazar, roi de Babylone, : « compté, pesé, partagé » (Mané, thécel, pharès).
Il est encore temps qu’elle gagne en sagesse et en sérénité. Qu’elle fonde ses rapports avec l’Outre-mer sur le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Qu’elle conçoive, une fois pour toutes, qu’elle vit la fin d’une époque.
Diaoulèn Karamoko Diarra
Source: Le Sursaut