Pour notre chroniqueur, le bureau du procureur de la Cour pénale internationale a échoué à convaincre de la culpabilité de l’ex-président ivoirien, dont le procès reprend.
Chronique. Le 11 avril 2011, Laurent Gbagbo était arrêté dans sa résidence par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, très majoritairement composées d’ex-rebelles des Forces nouvelles), appuyées par l’armée française, après une crise post-électorale qui a fait plusieurs milliers de morts. Il avait refusé le résultat certifié par les Nations unies de la présidentielle de novembre 2010, qui proclamait la victoire d’Alassane Ouattara. Laurent Gbagbo est transféré à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye en novembre 2011 pour y être jugé pour « crimes contre l’humanité ».
Selon la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, il aurait élaboré un « plan » dès son élection, en 2000, pour « conserver le pouvoir par tous les moyens, y compris par l’emploi de la force contre des civils ». Fatou Bensouda cite notamment quatre événements, la répression de la marche vers le siège de la Radio-Télévision ivoirienne (RTI) le 16 décembre 2010, celle de la manifestation des femmes le 3 mars 2011 à Abobo, le bombardement au mortier d’un marché d’Abobo le 17 mars 2011 et des massacres dans le quartier de Yopougon le 12 avril 2011 alors que Laurent Gbagbo avait été arrêté le 11 avril.
Après cinq années d’instruction, le procès démarre en 2016. Deux années d’audition des témoins cités par le bureau du procureur plus tard, les juges de la CPI ont autorisé, en juin, la défense de Laurent Gbagbo à plaider directement l’acquittement de leur client. Autrement dit : le bureau du procureur a échoué à convaincre après l’audition de ses propres témoins. L’accusation avait prévu d’en faire auditionner 138, mais a décidé de s’arrêter au quatre-vingt-deuxième, tant ceux-ci ont été plus à décharge qu’à charge contre Laurent Gbagbo.
Vidéo des violences post-électorales au Kenya
Dès 2013, Fatou Bensouda voyait son premier acte d’accusation rejeté par la Cour au motif qu’il était fondé sur des « ouï-dire anonymes » qui ne constituaient pas des preuves suffisantes. Dans ce premier acte, la défense de Laurent Gbagbo pointait une vidéo, présentée par le bureau du procureur comme montrant des violences perpétrées par les forces pro-Gbagbo alors qu’il s’agissait d’une vidéo des violences post-électorales au Kenya en 2007.
Le bureau du procureur avait reconnu son erreur sans que celle-ci, étonnamment, ne porte à conséquence dans la procédure. Il s’agissait pourtant au mieux d’un amateurisme confondant, au pire d’une tentative de manipulation. Fatou Bensouda n’est apparue qu’une seule fois depuis le début du procès, le jour de son ouverture. Depuis lors, ce sont ses substituts qui sont aux audiences.
On comprend mieux pourquoi la procureure Bensouda a décidé de s’arrêter au 82e de ses 138 témoins prévus quand on passe en revue les auditions. Tout d’abord, s’agissant du « plan commun » que Laurent Gbagbo est accusé d’avoir conçu dès 2000. Le bureau du procureur estimant que ce plan « n’était pas explicite » et que son existence « pouvait être déduit des preuves indirectes », une seule des 82 personnes entendues (le témoin P-0048) viendra témoigner sur la période 2000-2010 : un militant du Rassemblement des républicains (RDR, parti d’Alassane Ouattara).
Comme le relève la défense de Laurent Gbagbo, il est difficile de croire qu’aucune preuve directe (témoignage ou document) de la mise en œuvre sur plus de dix ans d’un plan commun n’ait pu être versée au dossier, surtout quand on sait qu’à partir de 2003 participaient aux différents gouvernements des membres de l’opposition et de la rébellion.
Parmi les témoignages déroutants, celui d’Atte Kloosterman, scientifique médico-légal expert en ADN, chargé d’examiner un tee-shirt fourni par le bureau du procureur et supposé avoir appartenu à une victime de la marche des femmes du 3 mars 2011 – vêtement dont un autre expert soulignera l’état « impeccable, surtout à la lumière du fait qu’il a été enterré il y a de nombreuses années ». Le Néerlandais dira ceci devant la Cour : « Nous avons fait des tests pour déterminer s’il y avait des traces de sang. Nous avons vu des taches suspectes sur le tee-shirt, et nous avons donc effectué des tests pour déterminer si c’était du sang, et tous les tests étaient négatifs. […] Nous avons aussi réalisé quelques prélèvements à l’intérieur du tee-shirt. Une personne qui porte un tee-shirt, on s’attend à ce qu’il y ait des traces d’ADN […]. Mais nous n’avons pas pu extraire assez d’ADN sur ces portions du tee-shirt pour réaliser des analyses. »
Que penser du rapport du docteur Clark, qui a effectué plusieurs autopsies, dont celles des victimes supposées du bombardement au mortier du marché d’Abobo le 17 mars 2011 : « Etant donné qu’il avait été indiqué que ces personnes avaient été des victimes d’une attaque au mortier, il était prévu que la plupart, pour ne pas dire toutes ces victimes, auraient pu souffrir de blessures dues à la déflagration à cause d’un explosif, et que des éclats d’obus résiduels auraient pu être trouvés sur leurs restes mortels. Aucun éclat d’obus n’a toutefois été trouvé sur ces victimes » ?
« Une négligence de l’accusation »
D’autres experts vont également donner des versions pour le moins confuses, notamment s’agissant de la balistique. Le bureau du procureur a retiré de sa liste de témoins tous les experts en balistique sauf un (le témoin P-0411). Parmi ceux qui n’ont pas été entendus, l’expert P-0597, chargé d’expertiser 27 fragments supposés issus du bombardement du marché le 17 mars 2011, qui écrivait dans son rapport : « Notons cependant qu’aucun des fragments métalliques mis à notre disposition ne présente de rayon de courbure comme celui susceptible d’être présent sur des munitions de forme ogivale ou cylindro-ogivale (mortiers, obus…). »
La vidéo kényane refait son apparition pendant l’audition du témoin P-106 concernant la marche sur la RTI le 16 décembre 2010. Interrogé par la défense de Laurent Gbagbo, celui-ci dit avoir été témoin de la scène qui apparaît sur la vidéo puis se rétracte quand l’avocat lui rappelle qu’il s’agit d’images tournées au Kenya. Piteux, le substitut du procureur reconnaîtra en séance qu’« il s’agit d’une négligence de l’accusation ».
Tout aussi cocasse, des documents versés au dossier par le procureur provenant de la résidence de Laurent Gbagbo et que les autorités ivoiriennes disent y avoir saisis intacts en janvier 2012, alors qu’il est de notoriété publique que cette résidence a été pillée après l’arrestation de Laurent Gbagbo, plus de huit mois plus tôt…
Tout aussi étonnant, le fait qu’aucun haut responsable des Nations unies – comme Choi Young-jin, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire de 2007 à 2011 – n’ait été appelé à la barre, ni aucun diplomate ou militaire français, aux premières loges pendant la crise post-électorale. C’eût été utile à la manifestation de la vérité chère à Fatou Bensouda.
On pourrait multiplier les exemples des consternantes faiblesses du dossier élaboré par le bureau du procureur, faiblesses qui ont conduit la Cour à autoriser la défense de Laurent Gbagbo à plaider directement l’acquittement. Fatou Bensouda qui, à l’ouverture du procès, mettait « en garde contre les contre-vérités », a fait un tort considérable à la crédibilité de la CPI. Les juges ont une occasion unique de sauver l’honneur de cette noble institution en mettant un terme rapide à ce procès.
Avec Le Monde
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