Cinq personnes aux arrêts dont trois chefs de village et plusieurs communautés fuient la zone
C’est demain samedi que le président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta, va lancer en grande pompe la journée paysanne à Bougouni. Cependant, dans cette localité, de nombreux paysans, notamment des Miniankas, n’ont pas l’esprit à la fête. Et pour cause : deux d’entre eux ont été tués le mois dernier plus précisément le 19 mai, à cause de leur exploitation agricole obligeant plus de 400 de ces paysans traités d’étrangers dans la zone à trouver refuge dans les écoles et dans des maisons de fortunes en plein centre de Bougouni.
Si aujourd’hui c’est le centre du Mali qui attire toutes les attentions avec le lot de confits intercommunautaires entrainant de nombreux morts et déplacés, il faut aujourd’hui reconnaitre que le feu couve également au sud du pays. Ce, plus précisément entre certains cultivateurs Miniankas installés dans ces zones et les autochtones de cette localité.
Nous avons pu rencontrer ces déplacés venus de Solakoroni (dans la commune de Yinindougou, le mercredi dans leur centre d’accueil. Il s’agit d’une école et des maisons mises à leur disposition par des personnes de bonne volonté. Ainsi, tous sont unanimes que leur mésaventure a commencé depuis le jour où le maire de Yinindougou, Daouda Sory Koné, a imposé une nouvelle clé de répartition des champs pour les non ressortissants de la commune, avec à la clé seulement 5 hectares par paysan. “Ce n’est pas tout, ces 5 hectares sont taxés annuellement à 17000 Fcfa dont 10 000 Fcfa pour le village, 5 000 Fcfa pour la mairie et 2000 Fcfa pour ceux qui font les relevés topographiques”, nous a confié Hamidou Dembélé de Solakoroni, parlant au nom des victimes de ce conflit.
“Nous avons tous été surpris par cette décision. Par exemple, moi j’avais 25 hectares, on m’a retiré 20 hectares et que si je veux avoir ces 20 hectares je dois signer un autre contrat avec le village dont le montant est différent de 17 000 Fcfa” a expliqué le porte-parole. Cependant, il a rappelé que le jour où ils (les non-ressortissants de la commune) s’installaient dans ce village, le défunt chef de village n’a posé aucune condition financière.
“On nous a juste demandé de payer des colas et de respecter les us et coutumes, chose que nous avons fait sans problème durant une dizaine d’années de séjour. Et au moment ou on venait ici, il n’y avait que 4 familles, mais aujourd’hui grâce à ceux qu’ils taxent d’étrangers, il y a plus de 130 familles dans ledit village. Ce sont ces étrangers qui ont construit l’école du village, amélioré le cadre de vie” a jouté M. Dembélé. Pour lui, toutes ses tentatives de faire revenir le chef de village à de meilleurs sentiments, pour ne pas appliquer ces nouvelles mesures injustes du maire afin que règne le vivre ensemble, ont été vaines.
“C’est partant de cela que je suis parti voir le préfet pour qu’il mène une médiation afin qu’on puisse s’entendre et le commandant a exprimé tout son étonnement par rapport à ces taxes du maire qu’il a trouvé injustes et qu’aucune loi n’impose dans notre pays”a ajouté Hamidou Dembélé. Un geste qui n’a pas du tout plu au chef de village de Solakorini qui aurait introduit une plainte afin de demander le départ de ces paysans Minianka. Un procès à l’issue duquel le chef de village de Solakoroni a été débouté. Toute chose qu’il a du mal à digérer.
“Le tribunal nous a demandé d’aller cultiver nos champs et malheureusement, lorsque j’étais au champ comme c’est moi qui menais toutes les démarches avec quelques-uns, j’ai été agressé par un groupe de femmes et de jeunes du village de Solakoroni et d’autres villages voisins. Certains étaient armés de fusils de chasse et d’autres de machettes. Cependant, j’ai pu m’échapper avec des blessures très graves, mais malheureusement deux personnes de notre communauté des Miniankas venus me secourir, un vieux de 63 ans et un homme d’une cinquantaine d’années, ont été tués à bout portant et avec des machettes. D’autres ont été blessés” a déploré le porte-parole des paysans déplacés.
Ce n’est pas tout. Plus de 11 maisons de ces paysans ont été mises à sac, incendiées avec les greniers. C’est le porte-parole des Miniankas qui a enregistré de lourdes pertes pour avoir perdu un véhicule (calciné), deux moulins et tous ses outils de travail. Ainsi, la chasse au non ressortissant de la commune a été lancée dans le village. Et ce fut le sauve qui peut.
“Nous avons parcouru plus de 40 km à pied, nous cachant dans les buissons avec nos enfants pour échapper à leur vindicte populaire. Je suis venu ici avec un seul complet”nous a témoigné une femme retrouvée à l’école, les larmes aux yeux.
Amadou Sangaré, un berger-cultivateur peulh n’a pas voulu prendre le risque de rester. Lui aussi a trouvé refuge dans la périphérie de Bougouni, notamment Koala avec toute sa famille. Cependant, la pluie diluvienne qui s’est abattue sur la capitale de Banimonotiè ayant fait selon des sources deux morts a eu raison du peu d’objet qu’il a pu amener lors de sa fuite.
“Nous n’avons pas dormi suite à la pluie, la zone où nous sommes est marécageuse, nous demandons au gouvernement de nous trouver un endroit où on peut cultiver et faire notre élevage en toute sécurité” a ajouté M. Sangaré. Aujourd’hui, ils sont près de 400 personnes, majoritairement des cultivateurs Miniankas, Sénoufos, Peulhs, à se retrouver dans des situations désastreuses dans la ville de Bougouni.
Aucune aide de l’Etat
Si deux jours après le drame le gouverneur s’est rendu au village, les déplacés quant à eux sont toujours dans l’attente d’une éventuelle aide de l’Etat. “Nos enfants ne vont plus à l’école. Manger est pour nous un luxe. Nos habits ont été brulés, il nous a fallu courir durant 40 km pour échapper aux assaillants” a soutenu une dame déplacée qui se trouve dans une école. Elle a révélé qu’à part les personnes de bonne volonté comme le maire de la commune urbaine de Bougouni (qui a mis une école à leur disposition), ils n’ont eu aucune aide de l’Etat. En tout cas, pour ces centaines de déplacés, la venue du président de la République à Bougouni doit être une occasion idoine de penser un temps soit peu à leur situation afin qu’ils puissent passer la campagne agricole au champ et que leurs enfants retournent à l’école.
Aux dernières nouvelles, il nous est revenu qu’après ce drame, 5 personnes ont été interpellées et placées sous mandant de dépôt dont le chef de village de Solokoroni, Bougouri Diakité, et de son adjoint Bougou Biakité, Amadou Diakité chef de village de Tominan est aussi sous les verrous, tout comme son grand griot Youssou N’Dian Diabaté et le chef de village de Sirala…
En tout cas, c’est l’amertume au sein de la communauté Minianka. “Dans le cercle de Koutiala, nous avons accueilli toutes ethnies au point qu’il y a des localités appelées Bandiagara 1 et Bandiagara 2.
Voir que nos parents sont en train d’être traités de la sorte et aussi dans la même région et dans un même pays, je pense que c’est l’Etat qui doit s’assumer.
Car la justice même a ordonné à ces gens-là de retourner pour cultiver et ce n’est pas la première ou la deuxième fois que ce genre d’incidents se produit à l’encontre de notre communauté” a souligné, pour sa part, Drissa Yaya Dembélé, de l’association des ressortissants de Koutiala, Yorosso, M’Pessoba.
En tout cas, demain, ces déplacés portent un grand espoir sur le président de la République afin qu’ils puissent retrouver un endroit pour cultiver, que les enfants retournent à l’école surtout que le président du Conseil de cercle de Bougouni et le préfet n’auraient pas, selon plusieurs sources concordantes, manifesté un intérêt particulier à leur situation.
Kassoum THERA envoyé spécial
Source: Aujourd’hui-Mali