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….Konimba Sidibé : ‘’Le Gouvernement à bout de souffle, le CNT amuse la galerie, les Maliens souffrent…’’

«Le Gouvernement est à bout de souffle….l’illégal et illégitime CNT patauge et amuse  la galerie…les prix des denrées de première nécessité ont pris l’ascenseur…. la déception du peuple est immense au bout de six mois de régime de transition militaire» constate avec amertume le  président du MODEC, Konimba Sidibé que nous avons rencontré dans son bureau pour  décortiquer la brûlante actualité socio-politique nationale.  Les échanges ont porté sur le Plan d’Action du Gouvernement de Transition et les perspectives pour le M5 – RFP.  

 

Le Challenger : Le Premier ministre Moctar Ouane a présenté et défendu le Plan d’Action du Gouvernement  de Transition devant le Conseil National de Transition  le jeudi dernier, quel regard portez-vous sur ce Plan ?

Konimba Sidibé : Je vous remercie pour cette sollicitation sur les questions majeures intéressant la vie de la Nation. Le Plan d’action du gouvernement du Premier ministre Moctar Ouane s’apparente à une liste de bonnes intentions sans finalité précise. Pourtant, c’est de cette finalité que doivent être déduites les mesures et actions à entreprendre. Pour moi, la finalité du Plan d’Actions du Gouvernement de Transition (PAGT) doit être de poser les bases de la refondation du Mali afin que le ‘’Mali Kura’’ tant désiré par les Maliens soit une réalité plus tard.  Manifestement, le PAGT de M. Ouane ne vise pas dans cette finalité, il s’inscrit dans la logique de la continuité de la gouvernance du régime déchu en tenant d’y apporter quelques améliorations.

Dans son catalogue de PAGT, les questions-clés de refondation sont ignorées ou tout simplement bottées en touche. L’une de ces questions majeures est la rupture de la confiance entre l’Etat et les citoyens, cette confiance est au point zéro. Aucune refondation n’est possible si cette confiance érodée par les mauvaises pratiques de gestion des affaires publiques n’est pas rétablie. Au lieu d’être au service des citoyens, l’Etat les traite en vache à lait. Il faudra renverser ces rapports Etat-citoyens. Aussi, l’injustice sociale généralisée et la mauvaise distribution de la justice en fonction de la bourse traduisent bien cette citation de la Jean de la Fontaine « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Je pourrais en citer d’autres. En occurrence, la question électorale ou le choix de la représentation politique par les citoyens pour gérer les affaires publiques  est pris en otage par la corruption, l’achat de consciences et, au bout, une Cour Constitutionnelle qui organise un troisième tour des élections. Toutes ces questions sont bottées en touche dans le PAGT. Ce plan n’aborde pas le dispositif nouveau à mettre en place ni comment rendre le processus électoral indépendant, encore moins les mécanismes pour mettre les élections à l’abri des délinquants financiers, prédateurs et corrompus. Des élections organisées dans ces conditions pourraient aboutir à une nouvelle crise électorale majeure et la déstabilisation de l’Etat. Que Dieu nous en garde !

Le PAGT n’est nullement une question technique, c’est plutôt une question de vision politique absente dans la Déclaration du Premier ministre à tous les niveaux. Aussi, des mesures irréalistes pour une transition de 18 mois sont préconisées par le Premier ministre Moctar Ouane aux dépens de mesures urgentes permettant d’améliorer significativement certaines situations et amorcer la refondation de l’Etat. A titre d’exemple, la refondation du système éducatif annoncée dans le PAGT n’est pas réaliste dans le laps de temps imparti pour la transition. Cela fait plus de 20 ans que cette refondation est proclamée de manière péremptoire sans jamais y arriver. J’aurais mieux compris le PM s’il avait parlé de poser des bases à une refondation du système éducatif. Par exemple, l’inégalité entre la dotation des écoles fondamentales du Mali en enseignants entre le milieu rural et le milieu urbain est criarde et des mesures d’urgence simples peuvent être prises pour garantir l’égalité d’accès des jeunes Maliens à l’éducation de base partout où ils sont. Les communes rurales manquent cruellement d’enseignants, alors que de nombreuses communes urbaines sont en sureffectif. Cette situation est aggravée pour certaines communes par l’ingérence du politique dans la gestion de l’école en de nombreux endroits. Une simple réaffectation du personnel enseignant sur la base d’une analyse comparée des niveaux de déficit d’enseignants par commune pourrait changer fondamentalement la donne et offrir un égal accès de tous les enfants maliens à l’éducation de base. Cela demande des nouveaux outils, de nouvelles méthodes et procédures de travail que la transition pourrait mettre en place.

Telles sont mes appréciations à caractère général sur le PAGT du Premier ministre Moctar Ouane. Maintenant, je voudrais aller au-delà en jetant un regard sur quelques axes de ce document.

  • Premier axe : le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national

Le PM parle de «diligenter la relecture, l’appropriation et la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger» et annonce au même moment la mise en œuvre des mesures les plus contestées de l’Accord comme le redéploiement des Forces armées reconstituées conformément aux dispositions de l’APR, la mise en place de la police territoriale et la régionalisation. De qui se moque t-il en procédant ainsi ? La relecture va alors porter sur quoi ? Des broutilles sans aucun doute qui n’intéressent personne.

Pour ma part, j’estime que le redéploiement de l’Etat – l’Administration publique et les forces de défense et de sécurité- et la relecture de l’Accord sont des préalables à toute application de l’Accord. Tant que Kidal sera sous l’occupation de la Coordination des Mouvements de l’Azawad, il ne sert à rien de s’agiter pour appliquer l’Accord. La police territoriale annoncée dans l’Accord n’est autre chose que la police composée des groupes armés et qui sera entretenue aux frais de l’Etat malien en attendant la prochaine rébellion. L’armée reconstituée n’est autre chose qu’une armée offerte à la CMA.

  • Deuxième axe : La Promotion de la bonne gouvernance

Au titre du renforcement de la lutte contre l’impunité et l’accentuation de la lutte contre la corruption, le PM prévoit l’« Intensification vérification de la gestion des structures de l’Administration territoriale et des Collectivités ». Pourquoi les seules structures de l’Administration territoriale et des collectivités ?

Le PM parle aussi d’«intensification des missions d’audit de performance et de contrôle de conformité ». En se contentant de ce genre de formule, le PM reste dans le vague intentionnellement. Il aurait rassuré les Maliens sur la crédibilité de son PAGT en donnant des précisions conformes à leurs attentes en matière d’audits prioritaires à faire et de mesures précises à prendre pour faire rendre compte aux criminels et délinquants financiers.

Pour moi, l’audit doit concerner toutes les structures et opérations sensibles de l’Etat et plus spécifiquement :

  • les Institutions de la République : Présidence, Gouvernement, Assemblée Nationale, Cour Constitutionnelle, Cour Suprême, etc.) et plus spécifiquement certains ministères-clé comme ceux des Finances, de l’Agriculture, de l’Energie, de l’Equipement, de la Santé, de l’Eduction et des Mines)
  • les établissements publics (EPIC et EPA) et sociétés d’économie mixte : EDM, CMDT, PMU MALI, AGEFAU, qui représentent de véritables pompes à sous pour nos autorités ;
  • la grande braderie du patrimoine de l’Etat faite par le régime déchu
  • les acquisitions d’équipements militaires et toutes les opérations financées sur les 1. 200 milliards de fonds alloués à la mise en œuvre de la Loi d’orientation et de programmation militaire ;
  • le marché de gré à gré de 15 milliards pour la rénovation et l’équipement des hôpitaux passé avec un opérateur étranger ;
  • les finances publiques et la dette intérieure de l’Etat.

L’importance de ces questions aurait dû pousser le PM à les faire apparaître de manière claire et précise dans le PAGT. Le Premier ministre, au lieu de chercher à enfumer le peuple malien, devrait dire clairement dans ce Plan d’action, ce qu’il compte faire pour mettre le Pôle économique et financier en capacité de juger rapidement les dossiers de crime économique et de délinquance financière déjà disponibles à son niveau suite aux vérifications faites par les structures de contrôle de l’Etat (Bureau du Vérificateur Général, Contrôle Général des Services Publics, Office Central de Lutte contre l’Enrichissement Illicite, etc.). Quelles mesures prévoit-il pour renforcer pareillement les capacités des services d’investigation judiciaire travaillant sur ces dossiers ?

La rationalisation des dépenses publiques à travers la réduction du train de vie de l’Etat est une autre priorité affirmée par le PM dans le PAGT mais les mesures qu’il propose pour cela ne sont que de la gnognotte. Il ne parle pas des fonds de souveraineté (caisses noires dont le montant cumulé a été de 54 milliards sur la période 2012-2020) accordés aux Présidents des Institutions de la République et l’usage scandaleux qui en est fait. Aucune mesure concrète de rationalisation des dépenses relatives aux véhicules de l’Etat dont les frais d’entretien et de réparation ont atteint les 3 milliards de FCFA en 2016. Quid des « frais d’alimentation » des ministères, des frais de mission, des frais de déplacement et de formation des agents de l’Etat ? Rien non plus dans le PAGT. Là encore le PM est dans le vague. Aussi la rationalisation des dépenses de l’Etat ne saurait être réduite à la réduction du train de vie de l’Etat car elle concerne d’abord et avant tout la pertinence de l’allocation des fonds publics et l’efficacité de la dépense publique de manière générale. Rien sur ça aussi et Dieu seul sait qu’il y’a « à boire et à manger » là aussi.

  • Quatrième axe : les réformes politiques et institutionnelles :

Le Premier ministre déclare qu’une nouvelle constitution sera élaborée sur la base des leçons tirées des tentatives antérieures et des recommandations des Journées de concertation nationale des 10, 11 et 12 septembre 2020. J’ai deux remarques à faire à ce sujet : d’abord, s’il devait tenir compte des leçons des expériences passées, il n’aurait pas choisi cette méthode très peu inclusive d’élaboration d’une nouvelle constitution. C’est parce qu’elle a été élaborée par l’ensemble des forces vives de la nation réunies en Conférence nationale souveraine en 1991 que l’actuelle Constitution a fait l’objet d’un consensus national en 1992. Or le PM déclare se contenter, en lieu et place de ce type de conférence nationale, de la fameuse Concertation nationale des 10, 11 et 12 septembre 2020-dont le caractère factice de l’inclusivité ne fait pas de doute. Il utilisera la même méthode pour reformer le système électoral et parachever le processus de réorganisation territoriale (la création de nouvelles circonscriptions administratives et leur opérationnalisation, précise-t-il dans le PAGT)

Je pense que s’il veut réussir ces réformes, le Premier ministre doit changer de méthode en organisant de véritables assises nationales de la refondation du Mali  qui réuniront toutes les forces vives du pays pour discuter et dessiner ensemble les contours des réformes politiques et institutionnelles à mettre en œuvre.

Aussi, le Premier ministre préconise des actions de poursuite de la régionalisation à travers les transferts de ressources et compétences aux régions. Il se garde bien d’aborder la dimension politique de la régionalisation préconisée, à savoir : une redistribution du pouvoir entre l’Etat et les régions qui s’apparente à la mise en place d’un Etat fédéral qui ne dit pas son nom.

Enfin, au titre de l’Axe 5, le PAGT comporte l’adoption d’un Pacte de stabilité sociale visant «une dynamique sociale apaisée dans les relations de travail et de production» mais le PM ne dit rien sur les principaux enjeux qui structureront ce Pacte. Les mesures préconisées portent uniquement sur la méthode d’élaboration du Pacte (conférence sociale, dialogue avec les groupes armées, dialogue entre les communautés et acteurs locaux en conflit), le retour des réfugiés et l’indemnisation des victimes.

Vous êtes très critique sur le PAGT du PM, que préconisez-vous pour l’adoption d’une feuille de route permettant d’aller à une transition de rupture ?

D’abord, dès le départ, nous avons clairement fait savoir que la condition de base de la réussite de la transition, c’est-à-dire d’une transition de rupture avec les mauvaises pratiques de gouvernance du régime déchu, est un partenariat stratégique entre les acteurs majeurs du changement de régime réunis au sein du M5-RFP et ceux qui ont parachevé leur lutte, les militaires du CNSP. Ce partenariat, nous l’avons fortement désiré et cherché en vain. Le CNSP a tourné le dos à tout ce que nous avons convenu à ce sujet aux termes de plusieurs séances de travail. Personnellement, j’ai compris par la suite que l’échec s’explique dans une large mesure par le fait que le CNSP ne voulait pas d’une transition de rupture et que les colonels étaient rassurés par la rupture entre le M5-RFP et sa fameuse autorité morale qui est sur la même longueur d’onde qu’eux.

Résultat de l’échec de ce partenariat stratégique : la transition bat de l’aile, le Gouvernement est à bout de souffle, l’illégal et illégitime CNT patauge et amuse la galerie, les prix des denrées de nécessité ont pris l’ascenseur pendant que la fête des brigands se poursuit. La déception du peuple est immense au bout de six mois de gestion solitaire du pays par le régime militaire de transition. Comment voulez-vous que faire du IBK sans IBK puisse aboutir à autre chose que cela ?

‘’Le Mali ne peut pas faire l’économie d’une transition de rupture avec les mauvaises pratiques de gouvernance du régime’’

Je pense que pour s’en sortir, le Mali ne peut pas faire l’économie d’une transition de rupture avec les mauvaises pratiques de gouvernance du régime déchu sur la base d’une feuille de route élaborée aux termes d’assises nationales de la refondation du pays regroupant toutes les forces vives de la nation. Cette transition devra être portée par les acteurs du changement de régime totalement acquis à la rupture avec les mauvaises pratiques de gouvernance de ce régime, et non pas par des restaurateurs de ce système de « partage du gâteau » entre des élites corrompues prédatrices de ressources publiques.

La situation est loin d’être désespérée. Nous avons les ressources pour sortir le pays de cette situation à la condition que ceux qui ont à cœur le Mali s’unissent. Nous voulons pour la gestion de la transition des gens qui ont comme souci le Mali.

Le M5- RFP est-il en état de remettre cette transition sur les rails ?

N’en  doutez point, le M5-RFP est en capacité de remettre la transition sur les rails de la rupture avec les pratiques de mauvaise gouvernance du régime déchu de IBK, de mettre le Mali sur les rails de sa refondation.

Trahi par l’imam Mahmoud Dicko et la junte militaire

Le M5 -RFP a été victime d’une double trahison (celle de son autorité morale l’imam Mahmoud Dicko et de la junte militaire de l’ancien CNSP) qui avait assommé ses troupes. En tant que dirigeants, nous nous savions que la politique, c’est aussi ces trahisons mais nos militants et  sympathisants ne s’y attendaient pas.

Dieu merci, les organisations membres du vaste mouvement populaire qu’est le M5-RFP sont encore là au grand complet mis à part le départ de la CMAS et l’imam Dicko. Aussi, la remobilisation des troupes a commencé. Les militants sont en train de reprendre du poil de la bête. Le meeting du dimanche 21 février dernier  a été un bon point de départ. Nous préparons actuellement une grande Assemblée Générale prévue pour le 06 mars prochain pour affiner notre diagnostic de la transition et dégager un chronogramme d’actions. Le M5 – RFP est plus que jamais résolu à agir pour redresser la transition après six mois d’observations. Nous allons surprendre comme nous avions surpris sous IBK qui croyait dur comme fer que ce n’était qu’un mouvement d’humeur de quelques frustrés. Je demande aux chefs de la transition militaire de tirer profit les leçons du passé récent pour épargner à notre pays d’autres soubresauts déstabilisateurs. Le Mali, je le pense, n’a pas besoin d’un nouveau mouvement de déstabilisation, ce sont les peuples qui déstabilisent, les peuples mécontents de la gestion des affaires publiques.

Le M5-RFP a t-il un plan pour l’élection présidentielle qui se tiendra probablement en 2022 ? Que comptez-vous faire pour que le prochain président soit issu de vos rangs ou porté par vous?

Nous voulons poser les bases d’un Mali nouveau pendant ces 18 mois de transition. Pour que ces bases soient consolidées, il faut que les autorités qui seront issues des prochaines élections présidentielles et nous M5-RFP soyons sur la même longueur d’onde. Que ces nouvelles autorités soient totalement acquises à la refondation de notre pays. Deux possibilités pour cela : le nouveau Président de la République est issu des rangs du M5- RFP ou est un candidat hors M5-RFP mais porté par le M5-RFP sur la base d’un Pacte précis. Bien sûr, l’idéal est un candidat unique du M5-RFP à l’élection du Président de la république et des listes communes du M5-RFP aux élections législatives. Le M5-RFP n’ayant pas encore débattu de ces questions, je ne peux pas vous en dire plus pour le moment.

Ce qui est sûr, c’est que le M5-RFP a perdu une bataille (sa victoire lui ayant été volée) mais le combat pour que le Mali Kura soit est loin d’être perdu, je suis même sûr que le peuple malien gagnera cette bataille et avec la manière. Le monde entier a soutenu et salué sa lutte héroïque ayant abouti à la chute de IBK et son régime, il montrera à nouveau à la face du monde son immense capacité de résilience et son ardeur au combat patriotique pour la refondation du Mali.

Propos recueillis par

Alpha Sidiki Sangaré

Source : Le Challenger

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