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Kidal, la rebelle !

La gestion de la capitale de l’Adrar des Ifoghas n’a jamais été un long fleuve tranquille pour aucun des Présidents du Mali. Depuis 1960, chacun des dirigeants, tente tant bien que mal à l’administrer pour y éradiquer l’insécurité. Militairement, politiquement, socialement… mais en vain. Kidal reste toujours un problème politique non réglé. Pour comprendre la situation de cette ville du nord du pays, le canard déchainé vous invite à voyager dans le passé, en lisant le texte intégral de la Conférence de presse donnée par le Président Modibo Keita, premier Président du Mali, à propos de la rébellion au Nord du Mali (Kidal) dans le grand Salon du Peuple, à Alger le 21 Août 1964. Lisez plutôt !

 

Je répondrai tout d’abord à la première question ayant trait à la situation du Mali au sujet du mouvement de rébellion dans l’extrême Nord de notre pays, ou plus singulièrement dans le cercle de Kidal.
Vous savez que de tout temps cette région a été le théâtre d’opérations militaires des troupes Françaises, en raison des difficultés que la France avait rencontrées – alors que la République du Mali était le Soudan Français – pour intégrer ces populations accrochées à leurs montagnes dans le cycle normal de la vie du territoire. Et les derniers événements entre ces rebelles et les troupes françaises datent de 1958. C’est vous dire donc que pendant les 78 ans de domination coloniale, cette région n’a jamais été totalement pacifiée.
Le deuxième élément, c’est que pendant longtemps, ce secteur a été sous une administration militaire, et que certains officiers français, devant la poussée du nationalisme en Afrique et la perspective du rêve de constituer un État Saharien autonome comprenant le Sud Algérien et le Nord des pays situés au Sud de l’Algérie, avaient tenté de créer un sentiment anti-Noir dans cette région. En effet, on faisait croire à ces Touareg qu’ils étaient des « Blancs » et qu’il était impensable qu’ils puissent accepter une domination noire.
Le troisième facteur qui a surgi après notre indépendance, c’est qu’en raison de notre option, nous avons tenu à éliminer tous les vestiges de la féodalité dont l’aspect le plus inacceptable comme système était une forme déguisée de l’esclavage et de l’exploitation des populations par les féodaux.
Enfin, le quatrième point, c’est que ces populations nomades, précisément celles de l’Adrar des Ifoghas, vivaient en marge de la Société Malienne et n’étaient pas accessibles à notre option d’une Nation Malienne s’étendant du Sud Algérien aux limites avec la Haute-Volta, la Côte d’Ivoire et la Guinée au Sud.
D’autre part, l’exercice et l’édification économique d’un jeune pays devenu indépendant imposent à chaque citoyen des charges qui sont en proportion avec ses moyens. Or, les nomades de cette région avaient été habitués à vivre en dehors de toute réglementation. C’est vous dire en d’autres termes qu’ils ne payaient pas d’impôts. Donc, lorsque la République du Mali a été proclamée et que notre Parti, l’Union Soudanaise – RDA, au cours de son Congrès du 22 Septembre 1960 a opté pour l’édification socialiste de notre économie, nous avons en priorité mis un terme au système du servage, liquidé la féodalité dans les régions du Sud où les populations sont concentrées, et soumis au contrôle du Conseil de Fraction et de Tribu, les Chefs de Fractions et de Tribus. Les membres des Conseils de la Fraction et la Tribu, étant élus par l’ensemble de la population de la Fraction ou de la Tribu, le Chef de la Fraction ou de la Tribu ne peut rien décider sans qu’au préalable, Il y ait l’accord d’une majorité du Conseil de la Fraction ou du Conseil de la Tribu.
Par ailleurs, nous avons estimé qu’il était tout à fait normal de connaître les biens que possédait chaque Malien, qu’il soit commerçant, fonctionnaire ou éleveur, d’où un recensement rigoureux du cheptel concernant les milieux nomades. Nous avons également exigé que chaque citoyen, contribue à l’édification économique du pays selon ses ressources. Et, partant pour les populations de l’Adrar des Ifoghas qui avaient vécu en marge de toute société, une telle discipline leur était difficilement supportable. En outre, comme à l’extérieur il y’a des éléments français qui vivaient eux aussi en marge de la Société Française parce qu’ils ne sont pas d’accord avec l’indépendance algérienne comme ils ne sont pas d’accord avec la politique du Général de Gaulle, éléments qui, par conséquent, sont restés fixés sur leurs anciennes positions. Pour eux, il fallait désormais et nécessairement créer dans les parties du Nord de notre pays et dans le Sud de l’Algérie, et plus tard des autres États riverains du Sahara, une instabilité permanente, en suscitant des mouvements de rébellion, et parfois même en apportant à ces mouvements, un appui en équipements et matériels militaires. C’est ainsi donc dis-je que vers la fin de l’année 1963 a été déclenché un mouvement de rébellion dont le principal instigateur était le fils de celui qui, en 1958, avait déclenché la même sorte de mouvement de rébellion contre l’administration coloniale française. Ayant pu rassembler autour de lui des repris de justice qui étaient poursuivis pour meurtres, brigandages etc., etc., ils se sont réfugiés dans les montagnes de l’Adrar des Ifoghas.
D’autre part, pour avoir un certain appui logistique tant au point de vue population qu’au point de vue approvisionnement, par la menace et par la terreur, ils ont rançonné certaines populations et obligé certaines fractions à les suivre dans leur repli en Algérie devant la poussée de nos forces de sécurité. Fort heureusement, grâce à la compréhension du Peuple et du gouvernement algérien, ces rebelles, traqués par nos forces de sécurité qui les poursuivaient jusque dans les grottes, n’ont pas pu trouver sur le territoire Algérien, l’appui et la complicité sur lesquels ils comptaient pour maintenir le foyer de leur rébellion. Cela n’a pas été possible grâce à la bonne compréhension du Peuple Algérien dont le Gouvernement a été informé par moi-même par diverses missions, de ce que nous attendions de lui.
Nous pouvons donc maintenant, puisque le dernier Chef rebelle a été abattu en juillet dernier, que pratiquement le mouvement a été liquidé, et les autres comparses se sont rendus soit aux unités de sécurité algériennes, soit aux unités de sécurité maliennes.
Nous devons dire également que notre action a été appuyée par les populations qui ont refusé de céder au chantage de ces rebelles. Certains jeunes et certains vieux de ces populations ont même aidé nos unités de sécurité à poursuivre les rebelles et n’ont pas hésité à voisiner avec ces mêmes unités contre des rebelles.
Il est évident que si ces résultats ont été obtenus, alors que comme je vous le disais tout à l’heure, un état permanent de troubles et d’insécurité régnait dans cette région, ce fut certes grâce à la qualité de nos troupes, mais aussi à notre organisation politique, parce que pendant que les forces de sécurité œuvraient contre les rebelles, le Parti, par les tournées des responsables politiques et administratifs, poussait les contacts jusque dans les moindres centres où il éclairait les populations sur la réalité de notre conception socialiste, et c’est ainsi que, très rapidement, le mouvement a été liquidé.
Par conséquent, si nous parlons d’interventions étrangères, il s’agit bien d’éléments français agissant selon leurs instructions personnelles, En dehors de toutes directives de leur chef hiérarchique ou du Gouvernement français. D’ailleurs, lorsque j’ai eu à discuter de cette question avec la Représentation française à Paris, la réplique a été : « Ce sont des aventuriers qui n’ont rien de commun avec le Gouvernement français ».
Vous avez maintenant la réponse à la question posée au sujet des mouvements de dissidence fomentés par une minorité de nomades dans l’extrême Nord de la République du Mali.

Modibo Keita

Source : Canard Déchaine

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