Ce sont vingt années de compagnonnage entre deux êtres qui ont tout partagé qui risquent de fondre comme beurre au soleil si jamais mon meilleur ami découvre la vérité sur ma relation avec sa mère. Nous nous fréquentons, Bara et moi, depuis l’âge de 12 ans. C’est au collège que nous nous sommes connus. Nous avons arpenté ensemble les différentes étapes du cursus scolaire en partageant le table-banc de la Sixième à la Terminale. Sans véritable effort intellectuel, Bara finissait toujours premier de la classe tandis qu’il me fallait faire beaucoup de sacrifice pour terminer parmi les dix premiers. J’ai tout de suite rangé mon orgueil de côté pour essayer de me ranger non loin de lui dans le rang annuel de chaque classe et je pense que son statut d’élève très brillant m’a beaucoup aidé à m’améliorer dans mes études.
Nous n’habitons pas les mêmes quartiers Bara et moi. Il vit avec sa mère à deux kilomètres de chez moi. Ses deux parents se sont séparés depuis qu’il a six ans et son père vit désormais aux Etats-Unis. Il m’arrivait parfois de dormir chez lui, ou même d’y passer le week-end. Parce que sa maman est une illustre femme d’affaires qui est souvent entre deux avions. Notre amitié avait fini de faire le tour de la ville. Ensemble, nous avons dragué les filles, commis les bêtises les plus incroyables et pris le parti l’un de l’autre dans des querelles d’ados dont nous n’étions pas souvent exempts de tout reproche.
Je me souviens un jour, alors que nous revenions de l’école vers 19 heures, cinq jeunes de notre âge qui ne nous portaient pas dans leur coeur nous ont pris à partie dans une ruelle qui n’était pas souvent fréquenté par les riverains. On a paniqué, j’ai sorti mon stylo que j’ai ensuite planté de force en pleine gorge de l’un d’entre eux. Le sang giclait de partout avant qu’il ne tombe par terre en poussant des gémissements de douleur. Pris de peur, quatre autres ados ont pris la fuite nous laissant seul avec celui que je venais de blesser très gravement. On ne savait pas quoi faire, Bara et moi, alors on a crié très fort pour que les riverains viennent au secours de cet enfant qui se mourait. Le gamin a été ensuite évacué d’urgence à l’hôpital régional par une ambulance. Et quand les policiers nous ont interrogés, Bara a tout pris sur lui. Il a dit aux enquêteurs que c’est par pur réflexe défensif qu’il a sorti son stylo pour le planter à la gorge de l’un de ceux qui voulait nous brutaliser.
A l’époque, on faisait la classe de Seconde et je pense que son statut d’élève brillant avec une bonne conduite en classe et à l’école a beaucoup plaidé en notre faveur. Nous nous fîmes beaucoup gronder par nos parents respectifs. Et il nous fallait faire désormais très attention parce que nous étions dans les fiches de la police et qu’au prochain délit, on allait y passer et par la même occasion compromettre nos études. La punition fut très sévère pour nous deux. On ne devait plus nous voir en dehors des heures de classe, jusqu’à la fin de l’année. C’était très dur pour deux amis qui ne séparaient presque jamais. Mais cette épreuve nous a rapproché encore un peu plus l’un de l’autre. Notre amitié en était sortie encore plus forte…
Bara est sorti du centre au Bac, avec la mention Très Bien. Quant à moi, j’ai été recalé après le deuxième tour de l’examen. Il me fallait donc refaire la Terminale l’année suivante tandis que mon meilleur ami avait obtenu de l’Etat une bourse pour aller étudier en France. Son départ pour l’Hexagone a été un grand moment de tristesse pour nous deux. Nous avons passé la centaine de kilomètres qui sépare notre ville natale de l’aéroport international de Dakar à pleurer en silence. sur le siège arrière de la voiture de sa mère, chacun, d’entre nous deux, avait le regard figé sur le paysage la vitre en face de lui. Nous n’avions même pas la force de nous regarder dans les yeux. C’est comme s’il nous était interdit de nous adresser la parole. Sa maman a tenté de détendre l’atmosphère durant le voyage en racontant quelques blagues. Mais elle n’avait pas le talent d’une Florence Foresti pour assurer le spectacle durant tout le chemin. A l’aéroport, la séparation se précisait de plus en plus. Je camouflais mon chagrin dans mon entrain à transporter les bagages de Bara dans le hall de l’aéroport, et lui dissimulait très mal sa peine à travers ses lunettes noires. Vous ne mesurez combien c’est difficile de dire au revoir à un ami, un parent ou un proche très attaché à vous, qu’au moment où il vous tourne le dos pour disparaître petit à petit de votre champ de vision. Mon émotion, je ne pouvais plus la cacher quand Bara s’est arrêté une dizaine de secondes pour me faire un dernier signe de la main avant de disparaître dans le petit couloir qui mène à la grande piste des avions. J’ai alors laissé échappé un sanglot et essuyé mes larmes sur l’épaule de sa maman…
Sur le chemin du retour, la mère de Bara m’a proposé de venir habiter chez elle pour occuper la chambre de mon ami. Je lui ai dit que j’en parlerai avec mes parents pour voir s’ils vont me donner la permission. Quand j’en ai discuté avec mon père, il n’y a vu aucun inconvénient. Il m’a juste demandé d’attendre le début de l’année scolaire…
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Source : Koulouba.com