Alors que l’Afrique subsaharienne est l’une des régions du monde qui a la plus forte croissance démographique, elle fait face à un paradoxe préoccupant : l’explosion du nombre de jeunes, qui cohabitent avec une crise persistante de l’emploi. Le Sahel, région déjà fragilisée par l’insécurité, le changement climatique et la pauvreté, voit sa jeunesse livrée à l’oisiveté, à l’exode ou à l’économie informelle. Le chômage et le sous-emploi des jeunes y deviennent un enjeu stratégique majeur.
Une jeunesse massive et sous-employée
L’Afrique est le continent le plus jeune du monde : 60 % de sa population a moins de 25 ans. Dans les pays du Sahel, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad, Mauritanie, cette proportion est encore plus marquée. Au Mali, par exemple, les moins de 35 ans représentent environ 75 % de la population, selon les données de l’Institut National de la Statistique (INSTAT, 2023). Chaque année, des centaines de milliers de jeunes arrivent sur le marché du travail, mais les opportunités sont rares. Selon la Banque mondiale, près de 12 millions de jeunes Africains arrivent chaque année sur le marché du travail, mais seuls 3 millions de nouveaux emplois sont créés. Dans le Sahel, le chômage officiel peut paraître bas (entre 5 et 10 %), mais cela masque une réalité beaucoup plus complexe : le sous-emploi est massif, et plus de 80 % des jeunes travaillent dans le secteur informel, souvent sans sécurité, sans contrat et sans perspective d’évolution.
Le poids de l’économie informelle et la fragilité des structures
Au Sahel, l’économie est majoritairement rurale et informelle. L’agriculture, l’élevage et le petit commerce absorbent une grande partie de la main-d’œuvre, mais ne permettent pas toujours de sortir de la pauvreté. Le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) estime que plus de 90 % des emplois au Sahel sont informels. Les jeunes diplômés ne sont pas épargnés. Faute d’adéquation entre les formations universitaires et les besoins du marché, de nombreux jeunes sortent des établissements d’enseignement supérieur sans compétences pratiques, et peinent à s’insérer. À titre d’exemple, au Burkina Faso, 30 % des jeunes diplômés restent sans emploi un an après la fin de leurs études, selon l’Observatoire National de l’Emploi et de la Formation (ONEF).
Emploi, radicalisation et migration : des liens sensibles
L’inactivité et la frustration économique constituent des facteurs de vulnérabilité. Dans un contexte de violence armée, certains jeunes sans perspectives peuvent être attirés par des groupes extrémistes qui leur offrent un statut, un revenu ou un sentiment d’utilité sociale. Selon une étude de l’ONU et du PNUD en 2023 sur les causes de la radicalisation, la pauvreté et le manque d’emploi figurent parmi les cinq premières motivations citées par les jeunes recrutés par des groupes armés au Sahel. Par ailleurs, beaucoup choisissent de partir. Les jeunes Sahéliens constituent une part importante des flux migratoires irréguliers vers l’Afrique du Nord et l’Europe. Une enquête de l’Union européenne en 2022 indique que 64 % des jeunes interrogés au Mali et au Niger seraient prêts à migrer s’ils en avaient les moyens, essentiellement pour des raisons économiques.
Des réponses encore limitées
Les États sahéliens ont lancé plusieurs initiatives en faveur de l’emploi des jeunes : fonds d’appui à l’entrepreneuriat, programmes de formation professionnelle, incitations fiscales pour les entreprises embauchant des jeunes. Mais ces politiques restent souvent sous-financées, peu coordonnées, et d’un impact limité à l’échelle nationale. Au Mali, par exemple, le Fonds d’Appui à la Formation Professionnelle et à l’Apprentissage (FAFPA) ou l’Agence pour la Promotion de l’Emploi des Jeunes (APEJ) peinent à absorber la demande massive. En 2022, l’APEJ a touché moins de 15 000 jeunes sur un bassin estimé à plus de 500 000 chercheurs d’emploi. Le fossé entre besoins et réponses reste abyssal.
Vers des solutions durables ?
Face à cette situation, de nombreux analystes plaident pour un changement de paradigme. Il s’agirait notamment de réformer les systèmes éducatifs pour les aligner davantage aux réalités économiques locales (formation technique, numérique, agriculture moderne) d’encourager l’entrepreneuriat, en facilitant l’accès au crédit, aux marchés et aux formations, d’investir dans les secteurs à fort potentiel d’emplois comme l’économie verte, les énergies renouvelables, les technologies numériques et l’agro-industrie et de renforcer la gouvernance, en luttant contre la corruption et le clientélisme qui minent la distribution des ressources et des opportunités.
Une urgence pour la paix et le développement
L’emploi des jeunes ne relève pas seulement de l’économie : c’est un enjeu de stabilité, de paix et de cohésion sociale. L’équation est simple : offrir des perspectives d’avenir aux jeunes. L’Afrique et le Sahel n’ont pas le choix : transformer ce potentiel démographique en atout ou courir le risque d’un effondrement social. Il ne s’agit plus seulement de créer des emplois, mais de construire un avenir digne pour une jeunesse en quête de reconnaissance et d’opportunités.
Ahmed M. Thiam
L’Alternance