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“J’entends les balles qui ont tué mon père”

Il y a un an jour pour jour, deux journalistes de Radio France internationale étaient tués au Mali. Apolline, la fille de Claude Verlon, témoigne de sa longue “dépression”…

 Combo picture of the two Radio France International journalists Dupont and Verlon, who were killed by gunmen in northern Mali

On peut perdre son père dans un accident de la route ou encore des suites d’une longue maladie. Celui d’Apolline Verlon-Raizon a succombé d’une rafale de kalachnikov tirée près de Kidal, dans le nord du Mali, après un kidnapping raté. C’était il y a un an jour pour jour. Ghislaine ­Dupont, la journaliste, et Claude Verlon, le technicien, deux figures de Radio France internationale, amoureux de l’Afrique et du reportage, étaient assassinés le 2 ­novembre 2013. Un double meurtre revendiqué par Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique). Avant de s’envoler pour Bamako, où elle doit remettre aujourd’hui la première bourse RFI destinée à un jeune journaliste et un jeune technicien maliens, Apolline a reçu le JDD.

“Je voyais papa partout”

Ce rendez-vous, la jeune femme de 27 ans n’aurait pas pu l’accorder il y a quelques mois encore. “De novembre à février, je me suis réfugiée à Lille, chez mon ami. J’ai coupé les ponts. J’ai été dure avec tout le monde”, s’excuse-t-elle. Un deuil pathologique. Le début d’une longue “dépression” ponctuée de visites à l’hôpital du Val-de-Grâce avant un déménagement salvateur dans un nouvel appartement parisien et la reprise du travail en août dernier, à RFI tout comme son père et sa mère, séparés depuis vingt ans. Pas si simple : “Je voyais papa partout. J’avais l’impression de l’entendre dans les couloirs…”

Le visage de ce père disparu – un cliché ancien d’un jeune homme en habit traditionnel afghan – trône en bonne place dans l’entrée. Apolline l’a récupéré chez lui – dure épreuve, c’est elle qui a dû “faire l’état des lieux” de l’appartement que Claude Verlon louait – avec deux belles statues du pays Dogon. On trouve encore un petit sachet de “thé François Hollande”. “On s’était parlé la veille de sa mort au téléphone, il m’avait promis de m’en rapporter…”

“On me dit que cela prend du temps. Et moi, je ne suis pas très patiente…”

Pour raconter sa douleur, Apolline choisit l’image de la ­cicatrice. “Au début, elle est rouge, purulente, avant qu’une croûte ne se forme. Mais si on gratte, ça se remet à saigner…” Et les occasions de gratter n’ont pas manqué ces derniers mois. La décapitation du journaliste américain James Foley en Syrie, l’enlèvement puisl’assassinat d’Hervé Gourdel en Algérie… “Je comprends tellement ce que leurs familles doivent ressentir…” Sans parler des détails de la vie de tous les jours, anecdotiques pour tout un chacun, déstabilisants pour la jeune femme : “Je ne peux plus regarder un film avec des scènes violentes”, soupire-t-elle. “Cet été, j’ai vécu un cauchemar en rendant visite à ma mère, près de Barbès, pendant la manif pour Gaza. Toutes ces explosions… J’avais l’impression d’entendre les balles qui ont tué mon père.”

“On me dit que cela prend du temps”, poursuit Apolline. “Du temps pour guérir. Du temps aussi pour l’enquête judiciaire. Et moi, je ne suis pas très patiente…” La rencontre avec le juge Trévidic, l’un des trois magistrats antiterroristes désignés, l’a un peu rassurée. “Il est très impliqué. Il ne lâchera rien, mais j’espère vraiment qu’on nous dit tout, notamment l’armée…” “La collaboration est bonne avec Bamako, souligne de son côté Me Cathy Richard, son avocate, mais tant que la région de Kidal est inaccessible, c’est compliqué pour mener des investigations de terrain…”

Envie de justice

Apolline dit pourtant avoir envie de justice : “Je veux comprendre le déroulement des faits. Savoir combien de temps a duré leur calvaire. Qu’on m’explique pourquoi les auteurs de l’enlèvement, quatre, a priori, ne les ont pas laissés en vie quand leur véhicule est tombé en panne. Je veux les voir en face de moi. Je n’en suis pas à leur souhaiter la mort, mais la souffrance oui. Être enfermés derrière quatre murs pour un nomade touareg, je sais que c’est terrible…”

Quand elle parle des assassins de son père, ou encore des égorgeurs de Daech, Apolline emploie volontiers le mot “méchants”. Comme si la mort tragique de ce père, plus souvent en reportage à l’autre bout du monde que présent auprès de son unique enfant, avait réveillé la petite fille. Aujourd’hui diplômée dans l’audiovisuel, Apolline ne compte pas marcher sur les traces de son globe-trotteur de père. “Non, moi je suis plus famille qu’il ne l’était, mais aujourd’hui je ne lui en veux plus de ne pas avoir été là pour les moments importants de ma vie.”

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