Face à la multiplication des théâtres d’opération et à leur intensité, le chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, estime que l’actuel modèle des armées n’est plus suffisant. C’est notamment le cas pour les frégates de premier rang où la marine est « au bout » de ses capacités.
La démonstration est éloquente. Détaillée et précise. Le chef d’état-major des armées (CEMA), le général François Lecointre, a estimé lors de son audition du 16 octobre au Sénat que le modèle actuel de l’armée française n’était plus vraiment suffisant face à la multiplication des théâtres d’opération et à leur dureté. S’il est bien conscient que la loi de programmation militaire (LPM) qui couvre la période 2019-2025 va « permettre de réparer les lacunes et les carences capacitaires consenties lors des précédentes lois de programmation, de moderniser notre armée et de répondre à l’Ambition 2030 », il a fait part de ses doutes devant les sénateurs sur l’actuel modèle des armées confirmé par la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale en 2017 : « La masse sera-t-elle suffisante à l’horizon 2030, au regard de l’ambition que nous nous sommes fixée et de l’accélération de la dégradation des relations internationales ? »
« Le projet de loi de finances pour 2020 lance à mes yeux résolument la modernisation. Cette deuxième annuité est conforme aux dispositions de la LPM : elle consacre bien, à périmètre constant, une nouvelle marche de 1,7 milliard d’euros, portant le budget total à 37,5 milliards d’euros. Cette hausse importante nous permettra de porter l’effort de défense à 1,86 % du PIB en 2020 », rappelle le Chef d’état-major des armées.
De telles observations avaient valu à son prédécesseur, le général Pierre de Villiers, une mise au point en public, qui s’était terminée par la démission fracassante du CEMA suivie d’une crise entre les armées et le président de la République, Emmanuel Macron.
Inadéquation entre les missions et les capacités ?
Le général Lecointre porte notamment son attention sur deux segments capacitaires très (trop ?) sollicités, les frégates et les blindés du programme Scorpion. S’agissant des frégates, « il me faut aujourd’hui garantir au Président de la République une présence permanente dans le golfe Persique ; s’y ajoutent la surveillance du détroit de Bab el-Mandeb, des patrouilles dans le canal de Syrie pour faire valoir nos lignes rouges sur l’usage d’armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad, mais aussi la défense de notre bastion du golfe de Gascogne et la surveillance de la sortie des sous-marins russes de leur propre bastion dans l’Atlantique Nord.
Je suis au bout de mes capacités ! », Estime crûment le CEMA. « Dans le détroit d’Ormuz, il faudrait idéalement deux frégates au lieu d’une, ce qui assurerait une permanence », a de son côté précisé aux sénateurs, le chef d’état-major de la marine, l’amiral Christophe Prazuk. En 2008, le besoin défini pour les frégates de premier rang était en 2008 de 24 bâtiments (17 FREMM, 2 frégates de défense aérienne et 5 frégates Lafayette). En 2015, la cible 2030 a été fixée à 15 bâtiments. C’est peu, trop peu.
Concernant les blindés médians de l’armée de terre, qui sont « emblématiques de la notion de masse sur le champ de bataille, nous disposions en 2008 – époque de fait moins troublée qu’aujourd’hui – de 452 véhicules blindés médians ». Aujourd’hui la cible pour 2030 est fixée à 300 Jaguars. « Ces véhicules sont certes beaucoup plus performants, mais la multiplication des théâtres d’opérations pèsera toujours plus lourd », estime-t-il. Enfin, rappelle-t-il également, « l’armée de l’air disposait en 2007 de 420 avions de combat ; la cible pour 2030 est de 185 avions polyvalents ».
Des matériels trop sollicités ?
Le général Lecointre fait également observer que « le niveau de sollicitation de certains équipements au cours de ces dernières années s’est avéré supérieur à ce que prévoyaient les contrats opérationnels ». Et selon le CEMA, cette surexploitation a accéléré le vieillissement général et requiert aujourd’hui un surcroît de maintenance pris en compte par la LPM. « Néanmoins, en partant de ce constat et en nous projetant dans l’avenir à la lumière de l’analyse que nous faisons de la situation internationale, nous devons nous demander si le modèle que nous concevons aujourd’hui sera à même de répondre, avec nos alliés, aux sollicitations futures », s’interroge-t-il.
Actuellement, plus de 30.000 militaires sont engagés quotidiennement pour la défense de la France, souligne le général Lecointre. Parmi lesquels, 8.000 sont en opérations extérieures (OPEX), pour l’essentiel en bande sahélo-saharienne, au Levant ou au Liban ; 20.000 sont engagés sur le territoire national, dans le cadre des postures permanentes de sauvegarde maritime ou de sûreté aérienne, dans celui de l’opération Sentinelle, ou au sein de nos forces de souveraineté dans nos collectivités outremer ; 3.700 sont pré-positionnés comme forces de présence à l’étranger. « Rapporté à nos effectifs aujourd’hui, ce niveau d’engagement soutenu depuis de nombreuses années est inédit et il ne devrait pas fléchir dans les années à venir, loin de là. Les foyers de crises sont nombreux, je crains qu’ils ne prolifèrent ou ne s’aggravent », analyse le CEMA. Et maintenant que va faire le gouvernement ?
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