Dakar, envoyé spécial. Macky Sall, 52 ans, a été élu en mars 2012 à la présidence du Sénégal. Il a succédé à Abdoulaye Wade.
Avec Barack Obama, qui vient de passer un jour et demi au Sénégal, vous avez abordé la question de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. Les Etats-Unis, qui ont laissé la France en première ligne, veulent-ils davantage s’y impliquer ?
Quelque chose va changer avec cette tournée africaine du président américain : jusqu’à présent, les Etats-Unis avaient, certes, toutes sortes de moyens d’information et d’investigation, mais la connaissance et la sensibilité que la France a depuis longtemps leur manquaient. Grâce à cette visite au Sénégal, Barack Obama se sent proche de nous, et cela fait bouger les choses. Il aura une plus grande réactivité vis-à-vis des questions de sécurité sur le continent.
De quelle façon pensez-vous que cela pourrait se traduire concrètement ?
Les Etats-Unis ont déjà soutenu les efforts qui ont permis de stopper l’avancée terroriste et de rendre au Mali son intégrité territoriale. Avec Barack Obama, nous sommes tombés d’accord sur la nécessité de réunir des capacités de réaction rapide pour le continent africain en cas de crise liée au terrorisme. Nous allons ouvrir des discussions avec les Américains sur la manière d’y parvenir. Des discussions sur ce projet sont déjà ouvertes avec la France et le président Hollande nous a conviés à un sommet, en décembre à Paris, sur la mise en œuvre de cette force spéciale africaine. Cela suppose, en amont, un partage des renseignements avec l’ensemble des pays africains.
Les Américains ont installé une base de drones au Niger. Seriez-vous prêt à en accepter une au Sénégal ?
Pour le moment, il n’y a pas de nécessité, ni pour eux ni pour nous. Les drones du Niger surveillent le désert. Ici, la menace ne se présente pas sous la même forme. Les Américains auront-ils un jour besoin d’être plus proches, dans le cadre de leur stratégie africaine globale ? Certainement.
Avez-vous abordé spécifiquement cette perspective ?
Non, mais les Etats-Unis ont compris qu’ils doivent être plus présents pour être plus opérationnels.
Comment analysez-vous le risque qui pèse sur votre pays ?
Aux défis déjà immenses que sont le développement, l’éducation, la santé s’ajoute désormais un nouveau qui risque de bloquer tous les autres : la nécessité de nous défendre contre le terrorisme. Nous n’avons pas forcément les moyens d’y faire face. Le moment est venu que les Etats-Unis soient à nos côtés, comme la France l’est, pour que l’Afrique se donne les moyens de réagir de façon autonome quand le besoin s’en fait sentir, en cas de prise d’otages, par exemple. Il n’est pas acceptable que nous appelions des soldats européens pour venir régler des problèmes sur notre territoire.
Abdoulaye Wade, à qui vous avez succédé en 2012, exigeait la fermeture de la base française à Dakar, qui est largement utilisée pour l’intervention au Mali. Où en est-on ?
La demande de retrait de la base française était une erreur qui relevait d’un sentiment nationaliste quelque peu mal placé. Sans de telles bases en Afrique, le Mali aurait disparu de la carte et notre pays aussi aurait peut-être subi les conséquences très néfastes de l’avancée des terroristes. J’ai signé le nouvel accord de coopération qui a permis d’alléger le dispositif. Mais nous avons besoin que les “Eléments français du Sénégal” puissent être renforcés pour former et entraîner les forces sénégalaises et de ses voisins de la Cédéao.
Le Sénégal est-il à l’abri du terrorisme islamiste ?
Le Sénégal ne court pas le même risque que le Mali ou le Niger qui ont déjà été frappés. Mais la libre circulation des personnes et des biens dans la région induit des vulnérabilités et nous incite à rester vigilant. Le risque est limité au Sénégal, mais nul n’est à l’abri. Même à Londres, on peut tuer un militaire en pleine rue !
Le Sénégal, frontalier du Mali et dont 95% des habitants sont musulmans, n’est-il pas le prochain “domino” que veulent faire tomber les islamistes ?
Non, pas directement. Au Sénégal, nous avons un islam modéré, confrérique, dont certaines figures de proue historiques sont sénégalaises. L’islam qui fait référence pour nos compatriotes se rattache à la tradition soufie, pacifique.
C’est aussi le cas au Mali. D’ailleurs au Sénégal même, ces fondements traditionnels ne sont-ils pas bousculés, avec des financements importants ?
Ces risques sont marginaux car l’Etat surveille ces mouvements financiers qui arrivent de l’étranger pour conquérir des adeptes. Ce n’est pas demain la veille que l’architecture confrérique sera ébranlée.
La pauvreté et le désœuvrement massif des jeunes Sénégalais n’offrent-ils pas un terreau propice ?
La pauvreté est le terreau de toutes les crises. Sans réponses durables aux besoins de nos concitoyens, on les expose aux offres du premier venu leur proposant des projets non avouables contre une somme d’argent. Nous devons travailler pour leur offrir la perspective de jours meilleurs.
Pendant la campagne électorale, vous avez promis de créer 500 000 emplois pendant votre septennat. Comment allez-vous réaliser cet objectif ?
Rapporté au quinquennat que je veux instituer et que je veux appliquer au mandat en cours, cela revient à créer 350 000 emplois, ce qui est tout à fait réaliste. Ils viendraient principalement du secteur agricole et du renforcement des investissements par l’amélioration de l’environnement des affaires. Nous allons aider à aménager et à équiper des fermes de 100 ha, qui seront attribuées à des groupes de 120 jeunes formés principalement aux cultures horticoles et céréalières. L’Etat les aidera à acquérir 1 000 tracteurs afin d’augmenter la productivité.
La Banque mondiale vient de décerner une note médiocre au Sénégal en matière d’environnement des affaires. Comment l’améliorer ?
Nous sommes en train de repositionner le Sénégal parmi les destinations favorites des investisseurs en luttant contre la corruption, en adoptant des textes pour alléger les contraintes sur les permis de construire, faciliter les transferts de propriété et accélérer la justice commerciale. Grâce aussi à notre modèle démocratique garant de notre stabilité.
Certains opposants prétendent que depuis votre élection, “l’argent ne circule plus”, autrement dit, que les investissements se sont effondrés. Que leur répondez-vous ?
C’est peut-être vrai de l’argent sale ! Un pays ne se construit pas sur de l’argent facile, mais sur le respect et la confiance qu’il inspire aux investisseurs. Voilà ce sur quoi nous travaillons, avec des résultats. Le montant des projets d’investissement agréés par notre agence spécialisée a doublé entre 2011 et 2012. Dans le secteur de l’électricité et des mines (or, fer), c’est un rush.
Vous avez décidé d’appliquer le principe de réciprocité en matière de visas à partir du 1er juillet. On comprend que l’Etat a besoin de recettes, mais cette obligation nouvelle ne risque-t-elle pas de rebuter les touristes ?
Les recettes attendues ne sont pas l’essentiel. Il s’agit de mieux contrôler les flux afin de les maîtriser. Les visas pourront être obtenus immédiatement, y compris à l’aéroport. Notre tourisme doit améliorer son offre. La question des visas ne devrait pas le faire souffrir.
Hormis la reconnaissance de sa démocratie, qu’a apporté au Sénégal la visite de Barack Obama en termes économiques ?
Le président s’est engagé à alléger les procédures pour nous permettre d’exporter plus et mieux vers les Etats-Unis notre textile, nos produits de la mer et, surtout, nos produits agricoles. Actuellement, ils n’achètent pas nos mangues pour des raisons de normes sanitaires, alors qu’elles sont exportées vers l’Union européenne après traitement. Pour contourner ces obstacles, je lui ai proposé de développer au Sénégal les processus de transformation afin de créer de la valeur ajoutée ici mais aussi de satisfaire les normes sanitaires américaines.
La visite du président américain, qui a correspondu à la décision de la Cour suprême sur le mariage homosexuel, vous a contraint de prendre parti sur cette question très sensible en Afrique. Vous êtes-vous senti piégé ?
Les Occidentaux devraient savoir que la meilleure façon de mettre en péril les homosexuels en Afrique, c’est d’agiter cette question. Cela les expose, car nos sociétés ne sont pas tout à fait prêtes à aborder ces sujets comme en Europe ou en Amérique. D’ailleurs, même aux Etats-Unis ou en France, les sociétés sont divisées. Imaginez chez nous ! Cela ouvrirait un boulevard aux islamistes ! C’est une question de société et les sociétés ont des évolutions différentes. On ne peut pas nous les imposer.
Par Philippe Bernard
Source: Le Monde