Dans cet entretien, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile se prononce sur la problématique de l’insécurité et fait le point des actions de son département pour assurer la sécurité des personnes et de leurs biens
L’ESSOR : Monsieur le ministre pouvez-vous nous expliquer ce que c’est que l’insécurité ?
Général Salif Traoré : L’insécurité, c’est l’absence ou l’insuffisance de sécurité. Très souvent, elle se manifeste à travers une infraction à la loi contre les personnes et leurs biens. Ces infractions sont commises par des individus isolés ou groupes d’individus à travers des vols, des viols, des cambriolages, des enlèvements de personnes, de véhicules, des agressions physiques, des attaques terroristes, des incendies, des noyades, des accidents de la circulation routière. La multiplication ou la persistance de ces actes dans un endroit ou une localité, fait que les populations ont le sentiment de ne pas être en sécurité. Par ailleurs, la sécurité est transversale. Il y a d’autres formes de sécurité comme la sécurité alimentaire et autres.
L’ESSOR : Quelle est la forme d’insécurité la plus répandue dans notre pays ?
Général Salif Traoré : Tout est lié. Elle commence d’abord à la maison. Le déficit d’éducation et de suivi à la maison des jeunes se transporte souvent dans la rue. C’est pourquoi aujourd’hui, il y a des cas de cambriolages, d’agressions physiques, d’assassinats. Au Centre et au Nord du pays, des attaques terroristes sont souvent perpétrées.
L’ESSOR : Quelles sont vos structures qui interviennent dans la lutte contre l’insécurité ?
Général Salif Traoré : Dans cette lutte, l’Armée nationale et les Forces de sécurité intérieure interviennent au même niveau. C’est pour cette raison qu’on dit : Forces de défense et de sécurité. Il faut noter que les infractions au Code pénal relèvent de la sécurité intérieure qui concerne la Police nationale, la Gendarmerie nationale et éventuellement, la Garde nationale plus la Protection civile. Mon département doit préparer et mettre en œuvre la Politique nationale dans les domaines de la sécurité intérieure de la protection civile. Pour ce qui concerne les actes terroristes (attaques des hôtels, campements etc.), une Force spéciale anti-terroriste (FORSAT) regroupant des éléments spéciaux de la police, de la gendarmerie et de la garde avec d’autres unités a été créée. Tout le combat que l’Armée mène aujourd’hui, vers le Centre et le Nord, c’est contre le terrorisme. Mais la FORSAT est pltôt focalisée sur les centres urbains. En cas d’extrême gravité, dans les grandes villes, vous pouvez voir les militaires mais tant que la situation est sous contrôle des Forces de sécurité intérieures, l’armée n’intervient pas. Par ailleurs, nous avons des unités dédiées au maintien et au rétablissement de l’ordre. Quant à la protection civile, elle est au cœur de l’organisation du secours en cas de sinistre et de calamité naturelle, mais au quotidien, ce sont les sapeurs-pompiers qui accourent en cas d’accident de la circulation, d’abandon d’enfant ou de nouveau-né, de bagarre. C’est la force qui est toujours auprès de la population pour la secourir. Elle a une mission d’information, d’éducation et de sensibilisation.
L’Essor : Le commun des Maliens pense que c’est la Police seule qui assure la sécurité. Qu’en est-il ?
Général Salif Traoré : Même à Bamako, ce n’est pas la Police seulement qui assure la sécurité des personnes et de leurs biens. Il y a des gens qui s’adressent directement à la gendarmerie. Toutefois, dans les grandes villes comme Bamako, c’est la Police qui assure la sécurité, mais en cas de besoin, elle se fait assister par la Gendarmerie et la Garde. En dehors des villes, la Gendarmerie prend le relais et peut se faire assister par la Garde et éventuellement par des renforts de police. Nous travaillons ensemble en bonne harmonie. Dans les cercles où la police n’est pas présente, c’est la Gendarmerie qui fait le travail. Avec les nouvelles régions qui viennent d’être créées, nous sommes en train de mettre en place les directions générales de la Police qui doivent identifier les cercles prioritaires ou on doit ériger les commissariats de police.
L’ESSOR : Concrètement, que faites-vous pour traquer les malfaiteurs et avec quels moyens ?
Général Salif Traoré : Nous œuvrons pour le maillage du territoire. Des commissariats de Police, des brigades de Gendarmerie, des postes de la Garde nationale ont été créés. Au Centre du pays, plus d’une vingtaine de postes de sécurité, animés par des gendarmes et des gardes ont été créés. Cette présence physique peut être dissuasive avec beaucoup de patrouilles en tenue, à bord de véhicules, à pied ou même en tenue civile dans des endroits sensibles. Il y a aussi la vidéosurveillance avec des centres de commandement qui nous permettent de recevoir des appels et de prendre les bonnes décisions. Il y a beaucoup de défis, mais nous continuons à former et équiper nos éléments afin qu’ils soient plus présents sur le territoire.
L’ESSOR : Quel est le bilan de la lutte contre l’insécurité à Bamako et dans le reste du pays depuis 2018 ?
Général Salif Traoré : Donner des chiffres et des détails va être laborieux. Au niveau de la police administrative et judiciaire, nous avons créé beaucoup d’unités qui contribuent tous les jours à démanteler des réseaux de criminels, de terroristes. Tout récemment, le cerveau de la bande qui sévissait sur l’axe vers la Guinée, Bougouni – Sikasso a été neutralisé. Il y a beaucoup de cas du genre. Généralement, on n’en parle pas pour ne pas compromettre la suite des enquêtes au niveau de la Justice. Tous les faits qui ont défrayé la chronique un moment, ont eu une suite. Les auteurs de viols collectifs qui ont circulé sur les réseaux sociaux sont actuellement en prison. Les auteurs des cambriolages en plein jour, en face de ECOBANK et au niveau de Sanankoroba ont tous été arrêtés. Les auteurs des braquages entre Ouélessébougou et Bougouni, également. Dans ce travail, nous avons aussi besoin de la franche collaboration des populations parce qu’avec l’information et les renseignements, on peut anticiper beaucoup de choses.
L’ESSOR : Souvent les gens n’ont pas beaucoup confiance en la Police à cause du comportement de certains éléments. Que faites-vous pour corriger cette image ? Quels sont les critères pour être recruté dans la Police nationale ?
Général Salif Traoré : Il s’agit de notre Police à tous. Ceux qui y travaillent sont nos enfants, nos neveux, nos frères, etc. Dans chaque groupe humain, il y a des gens qui s’écartent des règles et des normes. La Police ne fait pas exception à cette règle. C’est pourquoi, des structures comme les inspections ont été mises en place pour punir les fautifs. Aussi, quand un policier commet une infraction avérée, il peut être sanctionné au 1er degré ou au 2ème degré. S’il commet un acte constitutif d’infraction pénale, il est mis à la disposition de la justice comme n’importe quel autre citoyen. Actuellement, il y a des policiers à la prison centrale. Nous voulons construire une Police responsable et professionnelle qui sache qu’elle est là pour la population. Par conséquent, depuis l’année dernière, les recrutements sont déconcentrés au niveau des régions. Les candidats sont sujets à une enquête de moralité. En plus, quel que soit le niveau du policier, il doit savoir écrire. Le niveau minimum pour les officiers est la licence et pour les commissaires qui sont les cadres supérieurs, la maîtrise ou le master.
L’ESSOR : Quelle est la stratégie en matière de lutte contre l’insécurité ?
Général Salif Traoré : Il y a trois niveaux : d’abord la proactivité. C’est-à-dire que toutes les unités de protection civile doivent pro agir avec la population civile et lui faire comprendre les gestes de premiers secours c’est-à-dire les gestes qui sauvent. On demande aussi à nos agents de ne pas être trop répressifs quand ce n’est pas trop grave. Il faut expliquer à la population pour qu’elle comprenne. Ensuite, il y a la coproduction de la sécurité c’est-à-dire que toutes les populations doivent être impliquées dans la sécurité. Dans ce cadre, nous sommes en train de développer la police de proximité et dans l’Accord, on parle de police territoriale afin que les acteurs de la sécurité soient les plus proches de la population. Le 3è axe est la répression : à chaque fois qu’une infraction est commise, nous sommes obligés de mettre les auteurs à la disposition de la Justice.
L’ESSOR : Qu’en est-il de la Loi de programmation du secteur de la sécurité et de la sécurisation des Régions de Ségou et Mopti ?
Général Salif Traoré : C’est cette loi qui nous permet d’augmenter sensiblement aujourd’hui, nos effectifs. Ainsi, chaque année, nous pouvons recruter 2200 policiers et 500 sapeurs-pompiers. Dans ce cadre, un budget spécifique est dédié à la formation, à l’acquisition de matériel, au recrutement, à la réalisation ou la réhabilitation d’infrastructures pour nos unités. Concernant le Centre, le gouvernement a pris un décret pour approuver un plan de sécurisation intégré des régions du centre qui a 4 piliers : la sécurisation, la gouvernance, le développement socio-économique et la communication. Pour redynamiser la mise en œuvre de ce plan, le Premier ministre a mis sur pied un secrétariat permanent pour la gestion du Centre avec un comité interministériel qui fait régulièrement le point.
L’Essor : Votre mot de la fin ?
Général Salif Traoré : Grosso modo, nous avons en charge l’élaboration des règles dans le domaine de la sécurité intérieure et de la protection civile, la protection des institutions de la République, la prévention des troubles de l’ordre et surtout la règlementation relative aux sociétés privées de gardiennage. On n’en parle pas beaucoup, mais un vrai travail de fond est en cours à ce niveau. En outre, la documentation, les passeports sont tous de notre responsabilité. C’est à nous d’informer les autorités sur ce qui se passe. Par ailleurs, l’Office central de lutte contre les stupéfiants (surtout la drogue, car la quasi-totalité des actes répréhensibles sont commis par des drogués) relève de nous. Les grandes saisies et destructions de drogue sont de notre responsabilité. Entre autres, nous avons mis en œuvre un Secrétariat permanent de lutte contre la prolifération des armes légères et de petit calibre pour lutter contre le trafic d’armes. Beaucoup d’armes circulent dans notre pays. Ces structures sont opérationnelles, et sont des unités à part qui abattent un gros travail. Je tenais à en parler pour que le lecteur n’ait pas l’impression que mon département se limite seulement à la police, et à la protection civile. Un autre acquis est la sécurisation de l’aéroport grâce à un important système informatique que nous avons mis en place.
Propos recueillis par
Fatoumata Maïga
Source: L’Essor- Mali