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Intervenir en Libye, un enjeu régional pour Erdogan

Le Parlement turc est appelé ce jeudi 2 janvier à débattre d’une motion autorisant le déploiement de soldats en Libye. Le président Recep Tayyip Erdogan, qui avait signé fin novembre un accord militaire avec le Premier ministre libyen Fayez el-Sarraj, compte ainsi renforcer son soutien au gouvernement de Tripoli face à l’offensive du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen.

 

Avec notre correspondante à IstanbulAnne Andlauer

Une menace pour « les intérêts de la Turquie dans le bassin méditerranéen et en Afrique du Nord », c’est ainsi que la résolution soumise au vote des députés turcs décrit l’offensive contre le gouvernement d’union nationale libyen et sa capitale, Tripoli. Et c’est ainsi que Recep Tayyip Erdogan justifie auprès des Turcs son intention de déployer des soldats dans ce pays « au sol, sur mer et dans les airs si nécessaire », selon les mots du chef de l’État.

Pour la Turquie, l’enjeu est donc régional. Il s’agit de ne pas laisser le champ libre – militairement et, par conséquent, diplomatiquement – à des pays qu’elle considère comme des rivaux et qui ont choisi de soutenir les forces de Khalifa Haftar. « Que viennent-ils faire en Libye ? », dénonçait il y a quelques jours Recep Tayyip Erdogan, en citant notamment l’Égypte et les Émirats arabes unis.

Cette projection de puissance turque vise aussi à défendre des intérêts économiques et stratégiques majeurs. Ankara n’aurait jamais conclu d’accord de coopération militaire avec le gouvernement de Tripoli si ce dernier n’avait pas consenti à signer simultanément un accord maritime. Cet accord permet à la Turquie de faire valoir des droits sur de vastes zones de la Méditerranée orientale riches en hydrocarbures et disputées par la Grèce, l’Égypte, Chypre et Israël.

Pas de solution en Libye sans la Turquie, affirme Erdogan

Face aux grands soutiens internationaux et régionaux de Khalifa Haftar (Russie, Égypte, Émirats arabes unis, Arabie saoudite et France), la Turquie a tenté de rallier à ses côtés deux pays voisins de la Libye, la Tunisie et l’Algérie. Or depuis 2011, Tunis adopte la neutralité face au conflit libyen. Alger quant à elle est plus proche du gouvernement de Fayez el-Sarraj et s’oppose catégoriquement à toute intervention militaire en Libye.

Les deux pays ont opposé une fin de non-recevoir à Ankara qui cherche des alliés frontaliers à la Libye avant d’envoyer ses troupes. Pourtant, la Tunisie, l’Algérie et la Turquie avaient protesté contre leur exclusion de la conférence de Berlin prévue en février.

Quant à l’Égypte, dont les intérêts sont très menacés par une éventuelle intervention en Libye, elle a multiplié les contacts internationaux pour contrer Ankara. Le président Al-Sissi a prévenu : « La Libye, c’est une question de sécurité nationale égyptienne ».  Le Caire et Paris ont mis en garde contre une escalade régionale.

Le projet de l’islam politique

Ankara, qui s’était opposé à l’intervention de l’Otan en Libye en 2011, veut aujourd’hui faire partie de la solution. « Toute solution qui n’inclurait pas la Turquie n’a aucune chance d’aboutir », a affirmé le président turc.

Avant 2011, Ankara investissait 30 milliards de dollars en Libye. Le marché libyen est une porte vers l’Afrique pour la Turquie. Il lui est donc inconcevable de perdre ce marché. Ankara veut même accroître ses investissements et ses exportations vers la Libye. L’État turc affiche également sa volonté de participer à la reconstruction du pays.

Enfin, Recep Tayyip Erdogan est un soutien des Frères musulmans dans les pays arabes. Le projet de l’islam politique a échoué en Tunisie, en Égypte, au Soudan et en Syrie. En appuyant le gouvernement d’union nationale soutenu par les islamistes, Ankara espère aussi sauvegarder ses intérêts en Libye.

Ankara a déjà commencé à acheminer des combattants syriens en Libye

Le soulèvement de 2011 en Syrie a vu naître une « Armée syrienne libre » réunissant des combattants rebelles en lutte contre l’armée de Bachar el-Assad, avec le soutien de l’Occident, de pays du Golfe et de la Turquie. Après une série de conquêtes, l’Armée syrienne libre a été progressivement vaincue par les troupes de Damas appuyées par les forces russes et iraniennes. L’ASL a aussi été concurrencée par les organisations jihadistes, telles que le groupe État islamique.

Affaiblie, perdant ses subsides venus du Golfe et d’Occident, l’Armée syrienne libre s’est muée en une force au service des objectifs turcs dans la région. Rebaptisée « Armée nationale syrienne », elle a été en première ligne des différentes incursions militaires turques dans le nord de la Syrie avec cette fois pour ennemi les Kurdes syriens, bête noire d’Ankara.

Désormais, c’est donc sur le théâtre libyen que ces supplétifs syriens font parler d’eux, toujours comme instruments des ambitions régionales de la Turquie.

Tous ces groupes ont commencé comme des groupes armés révolutionnaires…

Thomas Pierret, chercheur au CNRS, spécialiste de la Syrie
RFI
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