Comme chaque année, l’International Crisis Group (ICG), une association spécialisée dans l’analyse de la situation politique, économique et sécuritaire des pays en crise, a livré son rapport sur le Mali. Selon elle, bien que l’intégrité du territoire nationale ait été rétablie de façon remarquable par l’Opération Serval appuyée par les Forces maliennes et africaines, le chemin pour le retour à la normale reste long et difficile.
L’élection d’Ibrahim Boubacar Keita à la magistrature suprême a marqué le couronnement du processus de sortie de crise qui avait été entamé à la faveur du recouvrement de l’intégrité territoriale nationale. Mais notre pays n’est qu’au début des nombreux défis qu’il doit relever. Les attentes à l’égard du président Ibrahim Boubacar Keïta sont immenses. Il doit à la fois élaborer un compromis sur le devenir du Nord et engager la réforme d’un Etat affaibli par la crise. Son gouvernement doit aller au-delà des déclarations d’intention et passer à l’action.
Pour consolider la situation à court terme, il faut éviter ce système clientéliste qui a conduit les précédents régimes dans l’impasse. Le président ne peut certes pas tout réformer brusquement, mais l’urgence de la stabilisation ne doit ni faire manquer l’occasion d’entamer une réforme profonde de la gouvernance, ni occulter la nécessité d’un dialogue véritablement inclusif sur l’avenir du pays.
Quant au contexte sécuritaire au Nord, il est loi d’être stable. Comme en témoigne, la multiplication d’attentats suicides et de tirs d’obus vers la fin de l’année 2013.
Le tissu social lourdement affecté par la grave crise est toujours mis à rude épreuve : banditisme armé, reprise des attaques jihadistes, violences intercommunautaires et incidents réguliers entre forces maliennes et groupes armés. De plus, a souligné l’ICG dans son rapport, du fait que l’Etat tarde à réinstaller les services sociaux de base, il a perdu sa crédibilité auprès d’une bonne partie des populations locales. A tout prix, les nouvelles autorités ne doivent rater le retour de la puissance publique dans les régions du Nord. Les élections législatives et présidentielles se sont certes déroulés sans incidents majeurs mais l’horrible assassinat de deux journalistes de RFI, le 2 novembre 2013 ainsi que d’autres heurts survenus à Kidal prouvent, suffisamment, la fragilité de la situation sécuritaire.
Par rapport à l’opération militaire engagée dans notre pays, des questions demeurent posées sur sa durée et sur son coût. Alors qu’elle s’est engagée en Centrafrique, la France ne peut plus assumer seule les charges, aussi bien financières que militaires, dues à la sécurisation du Mali. La MINUSMA soutient les actions des forces Serval sur le terrain. Mais, de sérieux doutes sont émises quant à sa réelle capacité à mener des actions efficaces. Cette force n’est constituée, pour le moment, que de contingents africains, peu aptes à faire face au genre de batailles qui se déroulent dans le septentrion malien.
Recommandations de l’ICG au gouvernement malien
L’International Crisis Group a formulé une série de recommandations pour les nouvelles autorités en vue de pérenniser les grands efforts fournis pour la sortie de crise.
Pour renforcer la sécurisation du territoire et la protection des populations, il serait judicieux de concentrer le retour de l’Etat dans les villes du Nord sur la mise en place effectives des services publics. Il est impérieux de rétablir la confiance entre les représentants gouvernementaux et les populations du septentrion en enquêtant sur toutes les plaintes portant sur les exactions commises. A cet effet, la Commission d’enquêtes internationale prévue par l’article 18 de l’Accord de Ouagadougou doit être créée au plus vite. Il faut aussi rompre avec cette pratique qui a longtemps consisté à confier la sécurité d’une région donnée du Nord à des groupes armés au détriment des Forces Armées et de Sécurité.
Concernant le volet réconciliation et négociation, les nouvelles autorités doivent être fermes et rigoureux. Avec les groupes armés du Nord, elles doivent prôner le dialogue comme énoncé dans l’Accord de Ouagadougou en ouvrant des pourparlers inclusifs, en proposant un plan de réinsertion socio économique à destination des combattants pour faciliter le cantonnement et le désarmement et en privilégiant autre mécanisme que la décentralisation pour le développement rapide des régions du Nord.
En outre, les thèmes du dialogue inter communautaire doivent être définis, en premier lieu, par les communautés elles-mêmes. L’Etat doit aussi veiller à ce que les conclusions des Assises sur le Nord ne restent pas lettre morte. Les missions et le fonctionnement de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation doivent faire l’objet davantage de précisions.
Ahmed M. Thiam