Le 28 février 2006, le monde du football malien perdait un grand supporter, du nom de Kalilou Cissé dit Yaba National. Ce jour-là, l’émotion était à son comble parce qu’il venait de créer un vide dans les gradins où son art de haranguer les foules était inégalé. Pourtant rien à priori, sauf le destin, ne prédestinait ce natif de Kolokani au métier de “supporter”. En effet, venu à Bamako au début des années 1980 pour faire fortune dans le commerce du riz (il tenait un magasin dédié au marché de Diafarana à Hamdallaye), l’idolâtrie finira par se transformer en amitié fraternelle à tel point que Kalilou passera le tiers de son temps dans la famille Traoré. Un de ses enfants, porte le nom de Yaba. Le transfert de son idole à l’AS Biton de Ségou ne changera rien à leurs relations. Kalilou fréquentera toujours la famille Traoré et deviendra un ami du grand frère de Yaba, en la personne de feu Karim Traoré alias Djo Kolon. Quinze ans après sa disparition par devoir de reconnaissance, et plongé dans un fleuve d’émotion, nous revenons sur la vie de ce grand supporter du Mali.
Le football est une discipline qui passionne certains plus que d’autres. Pourquoi certaines personnes sont passionnément attirées par les stades ? C’est justement le cas de cet homme : Kalilou Cissé dit Yaba. Il s’est organisé, il s’est affiché comme le plus grand supporter que notre pays ait connu. Il reste attendu que de nos jours, le Mali, l’Afrique resteront nostalgiques de ce genre de supporter, qui faisait sa loi dans tous les stades.
Ni l’adversité, ni les intempéries n’empêchaient Kalilou au physique particulier de se signaler chaque fois que son club de cœur, le Stade malien de Bamako, les équipes nationales jouaient. Ses cris, ses expulsions, sa personnalité attiraient même dans le camp de l’adversaire. Il s’est singularisé par son amour particulier pour un joueur, l’attaquant virevoltant des Blancs de Bamako, Yacouba Traoré dit Yaba. Si bien qu’il a pris son nom.
On aurait pu dire que sa vie se résumait au football, à ses cris, à l’activité dans les gradins pour soutenir le Stade malien. Non Kalilou Cissé avait une activité professionnelle plus ou moins réussie. Il était négociant de céréales, activité dans laquelle il gagnait difficilement sa vie. Mais quand il a décidé de troquer ou mettre entre parenthèses cette activité au profit des gradins, sa renommée s’est amplifiée. Il s’est fait connaître de tout le monde, si bien qu’il a eu des connaissances qui lui faisaient des gestes plus ou moins expressifs.
Le football ne le nourrissait pas, mais il avait des amis dans tous les clubs du Mali, c’est-à-dire que le monde du football était devenu sa famille. Quand Yaba criait la plupart des supporters s’arrêtaient pour le regarder. Sa voix partait si loin qu’on pouvait l’entendre dans un stade rempli. Bref, il était une source d’assurance pour les joueurs. La passion de Yaba a stimulé et organisé certains supporters aujourd’hui, qui agissent en groupe synchronisé.
A titre individuel, ils ont des passions connues qui s’inspirent de la passion de Yaba. Mais à titre individuel personne ne peut l’égaler. Il leur a fallu s’organiser pour se donner un bon rôle. Aujourd’hui les Cheickna Demba, les Diabaté et autres, qui conduisent le groupe de supporters des Aigles, ont des passions. Ils ont leur personnalité, leur particularité, mais ils ont organisé le monde pour remplacer l’action d’un homme exceptionnel, Kalilou Cissé dit Yaba.
Supporter international
C’est au milieu des années 1980, qu’il devient un supporter international. Il accompagne aussi bien tous les clubs en compétitions africaines que les équipes nationales (toutes catégories confondues). Son “duel” avec l’Ivoirien feu Troupa Paul au stade Omnisports en juillet 1989, a inspiré la télévision nationale, qui le passe au générique de l’émission “Score”.
Le 1er novembre 1992, à l’occasion de la finale de la Coupe Ufoa, il s’époumone à danser avant le match et s’endort juste derrière le banc de touche du Stade malien, au début de la partie.
A son réveil à la demi-heure de jeu, il constate à travers le tableau d’affichage, que son équipe mène 2-0. Il se met à crier et réveille un public qui avait commencé à sombrer dans la monotonie après les deux buts matinaux de Moussa Samaké.
Une année plus tard, il est présent lors des éliminatoires de la Can de Tunis-94, respectivement les 11 et 25 juillet 1993, contre le Malawi et l’Egypte. Une fois de plus, il danse, crie et effectue un sprint avant le match en compagnie de Kalory Sory, pour ensuite s’endormir en début de rencontre. Lors de la Can, les Tunisiens sont surpris de voir un Sahélien danser torse nu, malgré le froid de canard qu’il fait. Il anime aussi bien dans les stades que dans les rues de Tunis. Après la Can, il reçoit à titre personnel, la médaille “du Mérite national au rang du Lion débout”.
L’année suivante, le président de l’Asec, en la personne de Me Roger Ouégnin “loue” ses services, à l’occasion de la finale retour de la Coupe des clubs champions entre l’Asec Mimosa et Orlando Pirates d’Afrique du Sud. Il anime le “Félicia” en compagnie du comité d’animation des actionnaires (supporters de l’Asec).
Aux couleurs du Stade malien
Au début des années 2000, ses efforts sont reconnus par le Club des amis du judo qui, en plus d’un diplôme de reconnaissance, lui offre une enveloppe.
A la veille de la Can-2002, quand nous venions de Kayes où les Aigles avaient rencontré en match amical les Tchipolopolo de la Zambie, nous nous sommes longtemps entretenus avec lui entre Kayes et Mahina. Et durant trois heures, l’homme nous a tenus en haleine avec souvent des moments d’émotion. Ce jour-là, à travers cet entretien, nous avons compris que son amour envers Yaba est sincère. Ce dernier, en retour, lui vouait affection, respect et considération à telle enseigne qu’il y a eu entre les deux hommes une complicité.
Lorsque nous avons rencontré Yaba (le vrai) à son domicile au sujet de celui qui l’a aimé de son être, l’émotion était à son comble. L’ancien joueur du Stade avait de la peine à retenir ses larmes. Parce que pour lui on ne saurait payer quelqu’un qui vous aime de façon si désintéressée.
Au fil du temps, ses pas de danses entraînent un caillot de sang au niveau de ses membres inférieurs et il garde le lit pendant un bon moment.
Au retour des Aigles de la Can-2004, le président Amadou Toumani Touré promet au public sportif malien, de s’occuper de celui qu’il a vu, quelques années plus tôt, “haranguer le public” au passage 7 de la tribune d’honneur du stade Omnisports. Le lendemain, “Yaba” est évacué à l’hôpital militaire de Rabat.
Parallèlement à cette action, le comité des supporters du Stade malien organise une collecte, afin de le soutenir. A son retour, il arrive à parler, à marcher et à se déplacer au terrain pour y suivre les matchs de son club de cœur. Quelques jours avant la date fatidique, nous l’apercevions au Grand marché de Bamako, se déplaçant péniblement, habillé aux couleurs du Stade malien.
Le 28 février 2006, après un combat épique contre la maladie, il capitule et rejoint ses ancêtres. Deux jours plus tard, ses obsèques ont lieu en présence du Grand chancelier des ordres nationaux, du ministre des Sports Natié Pléa, de la grande famille du football malien et de son inconsolable confident, complice et frère, Yacouba Traoré dit Yaba.
Drapé des couleurs du Stade malien, son corps prend la direction du cimetière de Sébénicoro où il repose désormais. Dors en paix “Yaba”.
A Dieu nous appartenons et à lui nous retournons.
O.Roger Sissoko
Tél (00223) 63 88 24 23
Source: Aujourd’hui-Mali