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Idrissa Arizo Maïga, Procureur général près la cour d’appel de Bamako : «Si la réforme est faite, les crimes seront jugés au niveau d’une Chambre»

Rôle de la justice dans des cas des crimes commis à Bamako, Rapport entre la police et le Procureur de la République, le problème de moyens pour la bonne marche de la justice, les conditions de travail des juges d’instruction,…, le Procureur Général près la Cour d’Appel de Bamako, Idrissa Arizo Maïga dit tout. Dans un entretien qu’il nous a accordé, après quelques jours seulement de l’assassinat de l’Imam Yattabaré et d’un apprenti des Transports collectifs (SOTRAMA), le Magistrat persiste et signe que la réponse efficace à tous ces problèmes se trouve dans la loi de programmation envisagée. Interview !

L’OBSERVATOIRE: Quel est le rôle de la justice dans la lutte contre la montée du phénomène d’insécurité constatés dans la ville de Bamako ?

Le PR Idrissa Arizo Maïga: Ce qui est sûr, c’est que, dans ces derniers temps, il s’est passé des crimes extrêmement graves qui ont ému l’ensemble de la population. Des crimes, qui, naturellement, entrainent leurs réactions.

Par rapport aux réponses à leur apporter, il est une évidence que la criminalité est grandissante et rampante. Le problème d’insécurité est venu aggraver, sinon, la criminalité est récurrente et permanente puisque les gens sont déjà dans l’émoi au problème d’insécurité. En réalité, c’est la criminalité qui est permanente. Ce qui se passe actuellement, il faut reconnaitre que ce sont des crimes très-très graves qui se produisent sont des problèmes auxquels il faut donner des réponses. La réponse de la justice à un crime, c’est le jugement. Certes, les jugements viennent après plusieurs étapes, à savoir, le déclenchement de l’action publique par le Procureur de la République s’agissant de crime d’instruction par le Juge d’instruction et puis le renvoie devant la Cour d’Assises. Ici, on parle des étapes. Les gens auraient souhaité autrement, il y en a qui appellent à l’application de la peine de mort face à la gravité. C’est la réaction normale des citoyens face à une telle situation.

Donc, la réponse de la justice est que les policiers enquêtent sur des cas de crimes ou autres qui consistent à réunir des éléments. Les indices tendant à lier les personnes arrêtées à l’infraction commise. Maintenant quand ils ont des indices, ils conduisent les intéressés devant le Parquet qui ouvre une information. Un Juge d’instructions est saisi dans les formes légales. Pour les crimes, l’information est obligatoire parce que, dans tout ça, ce qu’il faut comprendre c’est que tout le monde est soumis à la loi. Donc, le plus important, c’est l’application de celle-ci (la loi). Est-ce que les juges prennent le soin d’appliquer la loi dans sa rigueur, la sérénité et dans un délai raisonnable ? Donc, ce qui est important, il faut une réaction de la justice. Maintenant, quand la justice réagit après l’information, la police est un enquêteur, le juge d’instructions est un enquêteur. Ce dernier peut apporter d’autres éléments que la police dans le cadre de ses enquêtes.

Le juge va rentrer en jeu les éléments constitutifs de l’infraction. On dit telle personne a commis tel crime, il faut s’informer pour la relier à l’infraction commise. C’est-à-dire, il faut voir si un Rapport existe. Si le Rapport ne peut exister, il n’y a pas d’infraction. Il faut libérer la personne. La police arrête des gens mais sur le champ est-ce qu’ils ont réuni tous les indices nécessaires ? La justice a obligation quand il n’y a pas d’éléments contre quelqu’un de le libérer. Quel que soit ce qu’on peut penser. La justice ne peut pas se soucier des rumeurs. Elle est la loi.

Parlant des « résultats » des dernières patrouilles des forces de sécurité, on a parlé d’un bilan de 200 arrestations parmi lesquelles 62 personnes étaient déjà recherchées par la justice. Savez-vous pour quel crime ou quelles infractions ces personnes étaient recherchées ?

Je ne sais pas pourquoi. Parce que ce sont eux qui ont dit que ces personnes étaient recherchées par la justice. En réalité, ce qui se passe, c’est quand la justice recherche des gens, c’est à la police qu’elle s’adresse. Ce sont des mandats d’arrêts qui sont décernés. C’est à eux de dire maintenant pourquoi ces gens étaient recherchés par la justice. Si elles étaient recherchées par la justice cela veut dire que la justice avait décerné des mandats. Et, le mandat, on l’envoie à la police judiciaire pour exécution. Maintenant, ils pouvaient préciser que pour tels ou tels motifs les personnes arrêtées étaient recherchées. Parce que s’ils étaient recherchés ça veut dire que des dossiers existent leur concernant.

Justement, dans ce cadre, la rencontre que nous avons eu avec le Ministre c’était de rappeler les uns et les autres à leur devoir. C’est-à-dire quand les auteurs d’infraction sont arrêtés ou interpelés et conduits devant la justice, il faut que, dans la légalité, des réponses immédiates soient données. Mais, si c’est le crime, l’information est obligatoire. On ne peut pas juger directement. Si l’information est terminée en un mois, il faut que cela arrive à la Cour d’Appel. Après tout le circuit, le dossier terminé, on attend les assises. Mais, les assises ne sont pas des audiences permanentes. Pas comme les affaires correctionnelles qui sont là tous les matins. Les assises sont une forme plus compliquée qui demandent beaucoup de préparations. Nous sommes en train de relire le code de procédures pénales pour trouver une solution à cette lenteur. Si la réforme est faite, les crimes seront jugés au niveau d’une Chambre.

Est-ce que la justice a les moyens d’apporter les réponses aux cimes qui se passent maintenant ?

Justement, c’est toute la question. C’est le moyen qu’il faut. Il faut se dire, nous avons toujours eu des Ministres très-très volontaires. Très soucieux de la bonne marche de la justice mais quand ils viennent, ils sont butés au problème de moyens. C’est même connu de tous. La justice a de problème de moyens. Surtout de problèmes matériels. Mais, par rapport à ce qui se passe avec les policiers, les arrestations, les patrouilles et autres, cela dépend. Une fois, j’ai appelé un Commissaire de la police pour lui demander quelle est la situation des patrouilles à leur niveau ? C’est-à-dire, est-ce qu’on leur conduit des gens arrêtés ? Est-ce qu’eux, ils assurent le contrôle pour savoir que les gens ne sont pas arbitrairement détenus par la police? Parce que, pour prétexte, il ne faut pas arrêter arbitrairement des gens. Chaque fois qu’on arrête quelqu’un il faut un indice pour prouver que la personne a commis une infraction. Sinon, on la libère; ça, c’est le rôle du Procureur de la République de contrôler systématiquement. Sinon la justice ne se rend pas compte. Vous obligez la police à rendre compte à la justice. La loi fait obligation à la police toutes les fois qu’elle a connaissance d’une infraction d’aviser immédiatement le Procureur de la République. Donc, il ne peut pas être en train d’opérer, d’interpeler les gens qui ont commis des infractions et que le Procureur ne soit pas avisé.

Si le Procureur n’est pas avisé, il a l’obligation de contrôler pour que le délai de garde à vue soit respecté. Cela se fait dans les commissariats de police. Si le contrôle est assuré, c’est aussi une façon de les obliger à rendre compte. Le Procureur envoie un de ses Substituts dans le Commissariat où il va s’assurer et puis interroger les gens un à un si le délai de garde à vue est respecté. Parce que si le délai n’est pas respecté, la réaction du Procureur doit être immédiate.

Vous parlez de moyens. De quoi s’agit-il ? Des moyens matériels et financiers ?

Parlant de moyens matériels, l’exemple que je prends bien souvent, c’est celui de Bamako. Vous avez six Communes, six Tribunaux de Grande Instance plus le Tribunal pour enfant. Dans le Tribunal de Grande Instance de Bamako, il y a au minimum six juges d’instructions. En Commune III, il y a plus d’une dizaine. Un minimum de six juges d’instructions par Commune de Bamako pour que le travail marche bien. Il y a le siège stricto censure, les juges jugeant (les gens qui jugent) et vous avez le Parquet. Maintenant, les audiences ordinaires correctionnelles par exemple en Commune VI se passent tous les lundis. Mais les juges d’instructions reçoivent les affaires criminelles et les affaires qui nécessitent beaucoup d’enquêtes pour éclaircir et édifier. Pour les affaires criminelles, en général, le juge d’instruction place les gens sous mandat de dépôt. Quand les gens sont placés sous mandat de dépôt, il faut les extraire pour les interroger. Cela est l’exemple de Bamako.

Les juges d’instructions tous les lundis ont les audiences correctionnelles. Donc, on sort les gens qui doivent être jugés devant le juge jugeant. Mais, justement, pour les Cabinets d’instructions, il faut qu’ils profitent de ce jour-là, s’ils ont des détenus à extraire pour les écouter. Ça veut dire que tu as une seule journée pour l’information alors qu’on exige le juge de faire en sorte que la détention provisoire soit respectée. En ce moment, il faut que le juge ait la possibilité d’avoir les détenus à sa disposition pour les interroger, quand il veut et au moment où il veut. Mais c’est seulement tous les lundis. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de moyens de transport. Est-ce que ce jour-là ce n’est même pas deux juridictions ? On envoie les détenus d’une juridiction, les autres d’une autre juridiction, le même jour. Alors qu’il aurait fallu avoir un véhicule et des agents à mettre à disposition des juges d’instruction quand ils ont des détenus à tout moment de la journée. Leur donner la possibilité d’extraire des détenus pour les interroger, cela n’existe pas. Quelle célérité on peut donner à des dossiers ?

Ça c’est le problème le moins principal. Et puis, les gens font des audaces extraordinaires, après la grève, on a exigé des gens à faire des audiences extraordinaires. Les audiences extraordinaires, c’est des audiences en dehors des jours ordinaires et ça nécessite des moyens pour mobiliser des gens. Si chaque juridiction fait des audiences extraordinaires, maintenant il faut que les gens aient des moyens à leur disposition chacun pour extraire les détenus.

Quand on veut avoir les moyens, il faut passer dans les différents services, dans les différents Bureaux des juges pour constater. Tous les Ministres que j’ai connus ont perçu les problèmes dans leur acuité. On a beau être volontaire, quand on n’est pas écouté ou quand on a l’impression de ne pas être écouté et entendu, c’est un découragement. Si non les problèmes de la justice, les problèmes matériels de la justice, ce n’est pas seulement les salaires. En dehors même des histoires de salaires, il y a des véritables problèmes. Ce n’est pas pour rien qu’on a envisagé une loi de programmation ; c’est pour trouver de solutions. On estime que ça sera la panacée.

Moi, je sais que tous les Ministres qui sont passés au Département de la Justice ont perçu le véritable problème et pourtant rien ne fonctionne. J’ai lu dernièrement le livre de Konaté que j’ai acheté, quand on le lit, on perçoit nettement que les Ministres connaissent véritablement le problème, très nettement.

Et, souvent, ils sont véritablement embarrassés, je peux me permettre de le dire et quand les gens posent des problèmes, tu sens l’embarras dans lequel ils se retrouvent. Ils sont totalement embarrassés parce que c’est des problèmes qu’ils ont perçus eux-mêmes et qu’ils veulent trouver des solutions, mais pour lesquels ils n’ont pas d’autres moyens.

Est-ce que les récents cas qui se sont passés sont toujours en traitement au niveau de la justice ?

Les gens étaient très sensibles à cause de la gravité des faits, sinon, il faut voir, les problèmes d’application que la loi pose, à vrai dire, il n’y a jamais de solutions définitives pour les problèmes.

Les appels à ce que le moratoire sur la peine de la mort soit levée et même le cas de justice privée auquel on assiste, par exemple, quand l’apprenti chauffeur de SOTRAMA a été tué, les gens sont directement venus.

Est-ce que ça vous inquiète ?

La justice privée c’est la plus grosse injustice. Souvent ce sont des personnes innocentes qui sont victimes de la justice et c’est là qu’elle est dangereuse. Et ça, il faut la tolérance zéro par rapport. Une tolérance zéro par rapport à la justice privée et ça elle ne peut être cautionnée dans aucun pays, sous aucun ciel. Elle est exécrable et c’est la plus grande source d’injustice. Souvent ce sont des personnes qui n’ont rien à voir avec qui que ce soit qui se retrouvent victimes de la justice privée. Il suffit que je crie «Oh là au voleur» à quelqu’un et c’est fini, les gens ne cherchent même plus à comprendre.

Dans les cas graves, la justice a-t-elle un rôle dissuasif ?

Par rapport aux infractions qui se commettent, l’intérêt c’est d’avoir une justice, une réponse rapide et juste à ces infractions. Ça a un effet dissuasif justement. Quand les gens apprennent que telle personne a commis l’infraction, le jugement a été fait et, puis, ils sont satisfaits. C’est ça la bonne réponse de la justice.

Est-ce que parmi les moyens de la justice il y a un besoin de formation, par exemple, par rapport aux complexités des crimes ?

Un juge, il est dans l’apprentissage de son métier dès le jour où il devient Magistrat. Car, c’est permanentent quand tu sers que tu apprends et on n’apprend jamais suffisamment à la justice. Quoi que tu fasses, tu ne peux jamais tout maîtriser. Le problème c’est quand tu ne lis pas, tu ne te mets pas à niveau.

Avec le Ministère de la Justice

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