Les résultats provisoires du second tour des élections présidentielles de 2013 ont été annoncés par le Ministère de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et de l’Aménagement du Territoire le 15 août 2013. Dès le lendemain du scrutin, le 12 août, Soumaïla Cissé a reconnu sa défaite en rendant une visite surprise à Ibrahim Boubacar Keïta afin de lui adresser ses félicitations.
Ce geste a été salué par l’ensemble des acteurs qui y ont vu l’expression de la dignité et du sens de la responsabilité du candidat malheureux. Il a largement contribué à apaiser toutes potentielles tensions post-électorales. Tout en estimant que de nombreuses faiblesses et de nombreuses irrégularités avaient entaché le scrutin, Soumaïla Cissé a déclaré qu’il ne déposerait aucun recours auprès de la Cour constitutionnelle, montrant ainsi qu’elles n’avaient pas joué un rôle significatif sur l’issue du scrutin. Ibrahim Boubacar Keïta a été déclaré vainqueur de l’élection avec 77,6%. Quelles sont les faiblesses et les irrégularités qui ont été recensées lors de ce scrutin présidentiel qui a enregistré le taux de participation jamais atteint (48,98%) sous la troisième république ?
De nombreux citoyens enrôlés lors du RAVEC (Recensement Administratif à Vocation d’État Civil) ne sont pas apparus sur le fichier final. L’exemple le plus significatif est celui des Maliens de l’extérieur qui étaient d’environ 700 000 lors de l’élection présidentielle de 2007, et qui se retrouvent en 2013 à 254 570. Au total, il s’agit de plus de 1 400 000 électeurs qui ne figurent point sur le fichier RAVEC 2013. D’autre part, il a été constaté qu’il y a largement plus d’hommes inscrits que de femmes, un phénomène plus accentué dans le District de Bamako contre toute logique. Par la volonté du Ministre de l’Administration Territoriale, la société française SAGEM attributaire du marché du RAVEC 2013, devenue par la suite SAFRAN MORPHO a été attributaire par entente directe du marché de confection de la carte NINA (Numéro d’Identification Nationale). Toutes choses qui juridiquement et déontologiquement sont contraires aux règles en la matière car il y a un conflit d’intérêt (SAGEM a préparé le dossier d’appel d’offres de la carte NINA et est devenue attributaire du marché de confection des cartes NINA à travers SAFRAN MORPHO). Ce marché a été contesté par un concurrent « WaymarkInfotech » devant l’Autorité de Régulation des Marchés Publics et des Délégations de Service Public pour violation des articles 17, 42 et 65 du décret N° 08-485/PRM du 11/08/2008. Cette même autorité par décision N° 13-016/ARMDS-CDR du 20/05/2013 a ordonné la suspension de la procédure de passation et sa reprise conformément à la réglementation en vigueur. Mais le Gouvernement passera outre. Dès lors il n’est pas surprenant de constater que beaucoup de citoyens inscrits dans le fichier électoral n’ont pas obtenu leurs cartes NINA sans raisons apparentes et ont ainsi été privés de leur droit de vote. C’est ainsi que : 1. 1 167 000 majeurs ont été omis du fichier électoral ; 2. 350 421 nouveaux majeurs qui ont eu 18 ans en Mars 2013 n’ont pas pu voter ; 3. 308 000 majeurs n’ont pas leurs données biométriques dans le fichier et plus de 400 villages ont été ignorés lors du recensement RAVEC. Sur les cartes NINA de nombreuses erreurs matérielles (absence d’empreinte, absence de photos, erreurs d’adresses, de noms, de filiations) ont pénalisé des centaines de milliers de citoyens.
Paradoxalement 1 900 000 cartes NINA ont été confectionnées vierges (Déclarations du Ministre de l’Administration Territoriale et du Président de la CENI). À quelle fin ? Les cartes NINA des citoyens décédés ont été mises à la disposition du Ministère de l’Administration Territoriale. Quel usage en a-t-il été fait ? Enfin des lots de cartes NINA ont disparu et au moment des élections des individus ont été appréhendés en possession de lots de cartes ne leur appartenant pas (Adjamé à Abidjan, selon le correspondant de RFI, Paris comme le confirment des images accessibles sur internet). Ceci n’est pas étonnant dans la mesure où n’importe qui pouvait retirer une des cartes NINA sans aucune vérification particulière.
Les désignations des présidents de bureaux de vote et assesseurs ont été effectuées dans la plus grande opacité et contrairement aux dispositions de l’article 82 (L.2011-085) du code électoral qui stipulent que « Le bureau de vote comprend un président et quatre assesseurs nommés sous la supervision de la C.E.N.I, quinze (15) jours au moins avant la date du scrutin par décision du représentant de l’État dans le cercle et le District de Bamako » alors que concernant l’élection présidentielle, des présidents de bureaux de vote et assesseurs ont été nommés la veille du scrutin, et de manière formelle il a été prouvé que la plupart sont des porteurs d’uniformes en civil (gendarmes, policiers, agents de la sécurité d’Etat) à qui de fausses pièces (carte nationale d’identité, carte NINA) ont été fournies. Et toujours selon l’article 82 de la Loi Électorale les présidents et assesseurs sont nommés sous la supervision de la CENI. Ce qui n’a pas été le cas, avec tout ce que cela peut avoir comme conséquences.
Bref nous vous laissons constater entre autres : la grossièreté des taux de participation (Et ce n’est que quelques exemples parmi tant d’autres). ; le temps moyen de vote dans un pays où le taux de participation est largement en dessous de celui constaté en France et aux États-Unis.
Il a été constaté que dans 6.540 bureaux de vote, le nombre d’inscrits hommes est largement inférieur au nombre de votants hommes. Cette irrégularité concerne 1 140 824 voix. Il a été enfin constaté que dans 8 649 bureaux de vote, pour un nombre d’inscrits femmes supérieur à 100 aucune n’aurait voté. Cette irrégularité concerne 1 676 011 femmes inscrites. Il est donc inadmissible que les résultats officiels provisoires présentent de telles anomalies.
Sambou Sissoko
Source: Le Démocrate