Attendu par les observateurs, le discours du 22 septembre prononcé par le Président de la République IBK, fraîchement investi dans ses fonctions à l’issue de deux cérémonies tenues à deux semaines d’intervalle, n’aura finalement pas déçu. En effet, l’adresse du nouveau Président tranche d’avec celle des précédents locataires de Koulouba tant dans la forme que dans le fond.
Marqué par une très grande concision, le message adressé à la Nation à l’occasion du 53ème anniversaire de l’accession du Mali à l’indépendance se distingue aussi dans le style. Oscillant entre la profession de foi et le serment, il se décline très souvent à la première personne comme pour clamer à la face du monde que désormais le bateau Mali a un capitaine. Le ton déterminé et volontariste adopté dénote également avec celui singulièrement blasé et presque mécanique qu’affectionnaient ses illustres devanciers.
Sur le fond, le Président de la République, plutôt que de dresser le traditionnel état de la Nation à travers l’énumération des réalisations de l’année écoulée, a préféré s’appesantir une nouvelle fois sur les axes prioritaires de l’action qu’il entend mener à la tête du pays durant son mandat. Un accent particulier a été mis sur le rôle de l’institution judiciaire dans la construction du Mali nouveau et dans le combat pour la bonne gouvernance, en sus des thèmes phares de campagne du candidat qu’ont été la réconciliation nationale, le développement des régions du Nord, la relance de l’activité économique et la restauration de l’autorité de l’Etat.
La nécessité d’un appareil judiciaire assaini et débarrassé de la corruption apparaît en réalité, depuis le 4 septembre, date de son investiture officielle par la Cour suprême, comme un véritable leitmotiv pour le président élu. Pointant du doigt la corruption et les abus commis au nom de la Justice, IBK a semblé lancer, à travers son discours prononcé le 21 septembre, une véritable croisade contre la corruption des juges lorsqu’il a affirmé qu’« il en sera fini des procès monnayés dans les bureaux de juges oublieux de l’éthique. Nous stopperons le délitement de l’appareil judiciaire, seul contre – pouvoir sûr dans les démocraties représentatives ». Vaste programme.
La question qui se pose est celle de savoir quels sont les moyens que le Président entend se donner pour juguler la corruption dans l’appareil judiciaire et créer les conditions de la restauration de l’Etat de droit dont les principaux fossoyeurs sont souvent dans notre pays paradoxalement ceux qui ont la charge de dire le droit.
Sous cet angle, il importe de souligner à l’actif d’IBK le fait d’avoir et ce, dès la formation de l’équipe de Oumar Tatam Ly, hissé le Ministre de la Justice au rang de quasi – vice Premier Ministre dans l’ordre de préséance arrêté pour les membres du gouvernement. Cette décision, qui constitue une première depuis l’avènement de la 3ème République, est sans aucun doute un indicateur de la volonté du Président d’accorder à la Justice toute l’attention que son état actuel requiert. On notera également le fait que le choix du Président a été porté sur Mohamed Ali Bathily, l’un de ses fidèles, pour diriger le ministère de la Justice.
On peut, au regard de ces actes, créditer le président élu de la volonté politique d’agir afin que l’institution judiciaire soit véritablement à la hauteur de ses missions républicaines. Celles auxquelles elle n’aurait jamais dû tourner le dos, et dont le respect aurait certainement été un rempart puissant contre le discrédit frappant depuis longtemps au Mali l’Etat et ses institutions. Mais pour éradiquer la corruption au sein de l’appareil judiciaire, il faudra au président bien plus que d’agir sur les questions de préséance au sein du gouvernement ou de nommer au Ministère de la Justice un fidèle doublé d’un fin connaisseur des rouages de l’appareil judiciaire malien.
Il convient de rappeler à cet égard que la problématique de la lutte contre la corruption au sein de la Justice est une question récurrente pour les présidents qui se sont succédé au Mali depuis une vingtaine d’années, et que le Mali a initié depuis la fin des années 90 un programme de réforme de la Justice dont les résultats doivent être sérieusement évalués. Le PRODEJ, puisqu’il faut l’appeler par son nom, avait été adopté pour optimiser les performances de l’appareil judiciaire et permettre une meilleure distribution de la Justice à travers l’amélioration des ressources humaines du secteur, celle du cadre et des conditions de travail des acteurs, et aussi à travers la lutte contre la corruption au sein de l’appareil judiciaire.
Un diagnostic pointu des causes de la persistance de la mauvaise distribution de la Justice et de la corruption dans notre pays s’impose afin qu’une action systémique soit entreprise pour guérir nos tribunaux et cours des maux qui les gangrènent et pour redonner le sens du service public à ceux qui ont la charge de les animer.
Cette action exige qu’au niveau de l’Etat il y ait une véritable mobilisation pour relever le défi, et que sans tarder, comme cela se fait dans d’autres pays, les lois en vigueur soient appliquées sans faiblesses pour sanctionner les juges véreux, convaincus d’abus ou de corruption.
L’application rigoureuse de la loi sur la corruption, qui devra être égale pour tous, apparaît comme une piste de réflexion et d’action pour les nouvelles autorités. Les nécessités de la lutte contre la corruption et l’immunité au sein de la Justice pourrait exiger également que le Président de la République initie une reforme législative pour traquer efficacement les brebis galeuses au sein de l’appareil judiciaire, celles dont la vénalité et les abus éclaboussent l’écrasante majorité des agents du secteur qui font honnêtement leur travail.
Le Président IBK s’engagera t-il dans cette voie ? Les jours et les semaines à venir édifieront sur sa capacité et sa persévérance à l’emprunter, d’autant qu’il s’agit là sans aucun doute de l’une des tâches les plus ardues auxquelles le Gouvernement devra s’attaquer. En s’abstenant d’agir, le nouveau pouvoir ne tardera pas à s’aliéner le soutien de l’écrasante majorité des citoyens qui ont vu en l’élection de l’ancien président de l’Assemblée nationaleune chance pour un véritable renouveau du service public et pour l’émergence de nouveaux comportements au sein de l’Administration en général.
Birama FALL
Source: Le Prétoire