En s’arrogeant, dans son adresse à la nation du 11 juillet 2020, le pouvoir de dissoudre la Cour constitutionnelle, le Président de la République se met en dehors de la Constitution et ne peut se prévaloir de la moindre légalité vis-à-vis des contestataires du M5-RFP. Une forfaiture !
«Suite aux nombreuses analyses et consultations, sollicitations sur la crise post-électorale, et pour la sauvegarde et la préservation de la vie, même des membres restants de la Cour constitutionnelle, j’ai décidé, non sans en mesurer la gravité – mais que ne ferait-on pour le salut national ? – nous sommes dans l’obligation de nous surpasser, de n’envisager que le Mali. J’ai donc décidé d’abroger le décret de nomination des membres restants de la Cour constitutionnelle et d’aller vers la mise en œuvre des recommandations issues de la mission de CEDEAO. La dissolution de la Cour va nous conduire, dès la semaine prochaine, à demander aux autorités compétentes la désignation de membres pour que rapidement, une cour reconstituée nous aide à trouver les solutions au contentieux issu des élections législatives.
Autant que possible, des mesures d’apaisement judiciaires seront examinées, mais tout le monde conviendra que, cette fois-ci, toutes les limites du tolérable auront été atteintes et dépassées, des faits d’une extrême gravité ont été posés, qui méritent examen et assurément sanctions judiciaires appropriées». Voici un extrait de l’adresse nocturne à la nation du Président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta, samedi dernier, 11 juillet 2020, à 23h 45mn.
Dans un tweet, Me Mamadou Ismaila Konaté souligne que le président de la République rajoute l’illégalité à l’illégalité. «Le Président de la République rajoute l’illégalité à l’illégalité. Jamais Décret de nomination des membres de la Cour constitutionnelle n’a été abrogé. Ultime sacrilège que le sort des juges constitutionnels reglé/l’exécutif. L’acte du Président de la République excède ses pouvoirs, viole la loi, une forfaiture!», souligne l’ancien ministre de la Justice. Pour un autre avocat, Me Abdoudaramane Ben Mamata Touré, «maintenant tout le monde est en dehors de la constitution».
Le Président IBK peut-il dissoudre la Cour ? Interrogeons les textes.
Selon l’article 92 de la Constitution du 25 février 1992, «le Président de la Cour Constitutionnelle est élu par ses pairs. En cas d’empêchement temporaire, son intérim est assuré par le Conseiller le plus âgé. En cas de décès ou de démission d’un membre, le nouveau membre nommé par l’autorité de nomination concernée achève le mandat commencé ».
L’article 13 de la loi n°97-010 du 11 février 1997 portant loi organique détermine les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour Constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle : « Avant l’expiration du mandant, il ne peut être mis fin à titre temporaire ou définitif aux fonctions de membres de la Cour Constitutionnelle que dans les formes prévues pour leur nomination et après avis conforme de la Cour statuant à la majorité des 2/3 de ses membres. L’intéressé qui ne participe pas au vote est dans tous les cas entendu par la Cour et reçoit communication de son dossier».
Le Président de la République peut-il se prévaloir de l’article 50 de la Constitution pour dissoudre la Cour ? Non ! Avant les mesures exceptionnelles prévues dans cet article sont prises après consultation du Premier ministre et des Présidents de l’Assemblée Nationale et du Haut Conseil des Collectivités ainsi que de la Cour Constitutionnelle. Toujours selon cet article, « les pouvoirs exceptionnels doivent viser à assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement dans les brefs délais du fonctionnement régulier des institutions conformément à la Constitution».
Une Cour reconstituée pour aider à trouver les solutions au contentieux issu des élections législatives ? un véritable gangstérisme juridique au regard de l’article 94 de la Constitution selon lequel «les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales».
En s’arrogeant le pouvoir de dissoudre la Cour Constitutionnelle, le Président de la République se met en dehors de la constitution et ne peut se prévaloir d’aucune légalité vis-à-vis des contestataires du M5-RFP. Une véritable forfaiture !
Chiaka Doumbia
Source : Le Challenger