A 96 ans (née le 21 avril 1926 à Mayfair), dont 70 ans de règne (du 6 février 1952 à sa mort) sur le Royaume uni, la Reine Elizabeth II a tiré sa révérence jeudi dernier (8 septembre 2022) au château de Balmoral. Qu’on la vénère ou non, sa disparition laisse peu de gens indifférents, surtout en Afrique qui abrite 20 des 56 pays membres du Commonwealth. Bien naturellement, que les sentiments sont divisés sur les relations que l’illustre défunte Reine avait avec le continent.
«Personnalité publique extraordinaire», «une immense icône au service désintéressé de l’humanité» et «une figure de proue» de l’histoire contemporaine de l’humanité, «une grande amie de l’Afrique qui l’aimait en retour», «illustre souveraine au destin exceptionnel»… La Reine Elizabeth II a fait forte impression en Afrique comme dans le reste du monde où son décès a suscité beaucoup d’émotion.
En dehors de la personnalité même de la souveraine britannique, sa disparition est aussi un triste événement en Afrique qui abrite 20 des 56 pays du Commonwealth. Un continent avec qui elle a toujours entretenu des relations particulières. En effet, l’histoire a retenu que c’est au Cap (Afrique du Sud où elle était en voyage avec sa famille) qu’une jeune princesse (21 ans) a hérité du trône britannique sous le nom d’Elizabeth II et y a prononcé un discours radio. Elle s’y était engagée à consacrer sa «vie entière» à servir ses sujets, au Royaume-Uni comme dans les pays du Commonwealth. Et elle tenu cette promesse en se consacrant à son royaume jusqu’à son dernier souffle.
Pour le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, la défunte reine est «une personnalité publique extraordinaire et de renommée mondiale qui a eu une vie remarquable». Elle avait boudé le régime raciste de l’apartheid ne revenant en Afrique du Sud que sous la présidence de Nelson Mandela avec qui elle a entretenu des relations très profonde. Madiba (Nelson Mandela) disait être la seule personne à appeler sa Majesté par son nom d’Elizabeth. Il faut rappeler que Mandela était aussi un prince.
Le président sortant du Kenya, Uhuru Kenyatta (dont le père fut le chef de file de l’indépendance kenyane et de la lutte contre le colonialisme britannique), a aussi salué la mémoire d’une «immense icône au service désintéressé de l’humanité» et d’une «figure de proue, non seulement du Royaume-Uni et du Commonwealth, mais du monde entier».
En 1961, la reine d’Angleterre avait défrayé la chronique en se rendant au Ghana contre l’avis de son gouvernement jugeant ce voyage périlleux dans un pays qui s’était beaucoup rapproché de l’URSS depuis son indépendance en 1957. Elle s’y était non seulement rendue, mais avait dansé avec le dirigeant panafricaniste Kwame Nkrumah au cours du bal donné en son honneur.
Au Ghana, tous les drapeaux officiels ont été mis en berne pour sept jours à partir du vendredi dernier (9 septembre 2022) et le président Nana Akufo-Addo a rendu hommage à «l’amabilité, l’élégance, le style et la joie que la reine a apportés dans l’exercice de ses fonctions». Il n’a pas manqué non plus de rappeler le rôle central joué par Elizabeth II dans la construction du Commonwealth. «Elle a supervisé la transformation spectaculaire de l’union et l’a orientée vers une plus grande attention à nos valeurs communes et une meilleure gouvernance. Elle était le roc qui maintenait l’organisation solide», a-t-il notamment souligné.
Le poids de l’héritage colonial de l’Angleterre
«Elle était le seul souverain britannique connu de 90 % de la population nigériane», a pour sa part rappelé président Muhammadu Buhari du Nigeria. En effet, dans ce pays, ils sont nombreux les internautes issus de la classe moyenne qui ont posté des photos et des hommages sur leurs réseaux sociaux pour saluer la vie de la reine Elizabeth II.
Au moment de rendre hommage à l’illustre souveraine, on se rend compte aussi que les tristes souvenirs du passé colonial de l’empire britannique hantent encore les esprits dans les ex-colonies. «Nous ne pleurons pas la mort de la reine Elizabeth puisqu’elle nous rappelle une période très tragique dans l’histoire de notre pays et de l’Afrique… Durant ses 70 ans de règne, la reine n’a jamais reconnu les atrocités que sa famille a infligées aux peuples autochtones que la Grande-Bretagne a envahis à travers le monde», a déploré le parti des «Combattants pour la liberté économique» (parti radical d’idéologie panafricaniste, fondé en 2013 par d’anciens membres du Congrès national africain/ANC) dans son communiqué.
Au Kenya, on n’a pas non plus oublié la répression de la «révolte des Mau-Mau» (1952-1960). Une rébellion anticolonialiste violemment réprimée par les colons britanniques et qui a coûté la vie à au moins 100 000 Kényans. «Personne ne mentionne ce que les Britanniques faisaient au Kenya lorsqu’elle est devenue reine… Les faits ont tendance à compliquer le conte de fées», a dénoncé sur twitter Patrick Gathara, chroniqueur et caricaturiste kenyan.
«Personnellement, je suis plus ému en pensant aux 2 millions de morts Igbo durant la guerre civile (guerre du Biafra entre 1967 et 1970). On sait que les Biafrais ont été abandonnés à leur sort sans aucune intervention de la Grande-Bretagne qui voulait protéger ses intérêts économiques», a confié au quotidien français, «Le Monde», Caleb Okereke. Le rédacteur en chef de la publication en ligne, «Minority Africa», dénonce «le syndrome de Stockholm de certains Africains» qui semble avoir oublié «la violence que l’empire britannique a exercée» dans ses anciennes colonies.
N’empêche qu sa Majesté Elizabeth II est aussi vénérée dans des ex-colonies françaises qui ont adhéré au Commonwealth, notamment au Rwanda qui a rejoint cette organisation en 2009. Pour le président Paul Kagame le «Commonwealth moderne est l’héritage» de la reine. Quant au président Ali Bongo du Gabon, il a loué sur twitter «une grande amie de l’Afrique qui l’aimait en retour». Le Togo et son pays sont membres de l’organisation depuis le 25 juin 2022.
Au Maroc, le souverain chérifien s’est aussi rappelé des bons souvenirs de la reine à l’annonce de sa mort. Dans un communiqué, le roi du Maroc Mohammed VI a indiqué se remémorer «les qualités et les mérites de cette illustre reine qui se tenait, invariablement, comme un symbole de la grandeur du Royaume-Uni». Et de rappeler que la reine d’Angleterre «tenait particulièrement à renforcer l’amitié de longue date» entre les deux «monarchies séculaires».
Il est clair en tout cas Elizabeth laisse un Commonwealth plus attrayant en Afrique que la Francophonie qui ne cesse de battre de l’aile parce que la France s’enferme dans sa traditionnelle arrogance coloniale en faisant fi du désire sans cesse manifester des nouvelles générations de s’affranchir des relations paternalistes qui bloquent l’émergence socioéconomique des pays francophones !
Moussa Bolly
Des liens particulièrement forts avec Mandela
«Hamba kahle» ! Autrement, «allez en paix» la reine. C’est le message de condoléances publié par la Fondation Nelson Mandela suite au décès de la souveraine du Royaume-Uni, Elizabeth II. Cet hommage est à la hauteur des liens qui unissaient le Prince Madiba (Nelson Mandela décédé en 2013 à 95 ans) à la Reine d’Angleterre qui s’est éteinte jeudi dernier (8 septembre 2022) à 96 ans. Des relations particulières fortes axées sur le respect et l’estime réciproques.
«Grand-père nous disait qu’il était la seule personne à pouvoir appeler la reine par son prénom. Ça nous faisait beaucoup rire. Il disait qu’il se le permettait car elle aussi l’appelait par son prénom, car grand-père était un Prince», a confié au «Le Monde», Ndileka Mandela, première petite-fille du regretté Nelson Mandela.
Ces relations privilegieuses marquent le communiqué publié vendredi dernier (9 septembre 2022) par la fondation du héros de la lutte contre l’apartheid. Du vivant de Nelson Mandela, qui avait passé vingt-sept ans en prison avant de devenir le premier président de la jeune démocratie sud-africaine libérée de ses lois racistes, «les échanges entre ces deux grandes figures étaient chaleureux», retrace-t-elle.
Et le communiqué d’ajouter, «ils se parlaient fréquemment au téléphone, s’appelant par leurs prénoms respectifs en signe de respect mutuel et d’affection». Ainsi, de son propre aveu selon le document, «Nelson Mandela était un anglophile. Et dans les années qui ont suivi sa libération de prison, il a cultivé un lien proche avec la Reine». Ainsi, «il l’a reçue en Afrique du Sud et lui a rendu visite en Angleterre, ne boudant pas son plaisir à explorer le palais de Buckingham». Il avait aussi affublé la reine du surnom «Motlalepula», qui signifie «venue avec la pluie».
En effet, lors d’une visite d’Etat en 1995, «Elizabeth» était arrivée avec des pluies torrentielles «comme on n’en avait pas vu depuis longtemps» dans l’ancienne colonie britannique. C’est ce que Mandela avait raconté deux ans plus tard lors d’un banquet en l’honneur du prince Charles qui hérite aujourd’hui du trône royal.
Lors de sa visite en Angleterre en 2018, le président Cyril Ramaphosa avait consulté avec la défunte reine les lettres que l’ancien président envoyait à la souveraine pendant leur longue amitié. Profondément opposée à la politique ségrégationniste, Elizabeth II ne s’est pas rendue une seule fois en Afrique du Sud pendant les années d’apartheid. Elle n’est revenue qu’en 1995 au Cap (où son règne a commencé) où elle a été accueillie par Nelson Mandela !
M.B
Source : Le Matin