L’ex-président tchadien Hissène Habré, architecte d’une répression terrible pendant son règne (1982 à 1990), a été reconnu coupable lundi notamment de crimes contre l’humanité et condamné à la prison à vie, au terme d’un procès sans précédent.
Hissène Habré a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité, viols, exécutions, esclavage et enlèvement par le Tribunal spécial africain qui le juge à Dakar.
«Hissène Habré, la Chambre (le tribunal spécial, NDLR) vous déclare coupable (…) des crimes contre l’humanité de viol, d’esclavage forcé, d’homicide volontaire, de pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvement de personnes suivi de leur disparition, de tortures et d’actes inhumains», a déclaré le président du tribunal, le Burkinabè Gberdao Gustave Kam.
Il a ajouté que M. Habré a aussi été reconnu coupable «de crimes autonomes de tortures» et «des crimes de guerre d’homicide volontaire, de torture, de traitement inhumain et détention illégale» ainsi que «des crimes de guerre de meurtre, de torture et de traitement cruel» conformément à certains articles du Statut portant création du tribunal.
Il a en revanche été acquitté «des crimes de guerre, détention illégale» visés dans d’autres articles du même document.
En conséquence et «compte tenu de l’extrême gravité» des faits, a poursuivi le magistrat Kam, «Hissène Habré, la Chambre vous condamne à la peine d’emprisonnement à perpétuité».
Auparavant, le juge avait en outre expliqué que le tribunal «a été convaincu» par le témoignage de Khadija Hassan Zidane, qui a affirmé pendant le procès avoir été violée par Hissène Habré. Le juge a fait état de «rapports sexuels non consentis à trois reprises et d’un rapport buccal non consenti» imposée à Mme Zidane par M. Habré.
Un bourreau implacable
Ce procès est le premier au monde dans lequel un ancien chef d’État est traduit devant une juridiction d’un autre pays pour violations présumées des droits de l’homme.
Hissène Habré s’est emparé du pouvoir par les armes en 1982, devenant rapidement un bourreau implacable, architecte d’une répression terrible qui marquera les huit années de son règne. Lors de son procès à Dakar, l’ex-président a été qualifié de «véritable chef de service» de l’appareil de répression par le procureur spécial Mbacké Fall.
«Combattant du désert», «homme des maquis», «chef de guerre»: les qualificatifs abondent pour décrire les qualités militaires de Hissène Habré aux traits et au regard acérés, resté silencieux et impassible pendant toute la durée des audiences, hormis pour récuser le tribunal et ses avocats.
Mais après l’énoncé du verdict, l’accusé, en turban et boubou blancs, lunettes noires, a levé les bras en saluant ses partisans et crié: «À bas la Françafrique !».
Son parcours dans les années 1970 et 1980 s’inscrit dans l’histoire agitée du Tchad indépendant dont il a été le troisième président.
Né en 1942 à Faya-Largeau (nord), il grandit dans le désert du Djourab, au milieu de bergers nomades. Intelligent, il est remarqué par ses maîtres.
Devenu sous-préfet, il part étudier en France en 1963, à l’Institut des hautes études d’Outre-mer. Il étudie ensuite le droit à Paris, y fréquente l’Institut d’études politiques et fait son éducation politique en dévorant Frantz Fanon, Ernesto «Che» Guevara, Raymond Aron.
De retour au Tchad en 1971, il rejoint le Front de libération nationale du Tchad (FROLINAT), dont il prend la tête, avant de fonder avec un autre nordiste, Goukouni Weddeye, le conseil des Forces armées du Nord (FAN).
À partir de 1974, il se fait connaître à l’étranger en retenant en otage – durant trois ans – l’ethnologue française Françoise Claustre, obligeant la France à négocier avec la rébellion.
Il sera ensuite premier ministre du président Félix Malloum, avec qui il rompra, puis ministre de la Défense de Goukouni Weddeye, président du Gouvernement d’union nationale créé en 1979.
Nationaliste convaincu et farouchement opposé au dirigeant libyen de l’époque Mouammar Kadhafi, qui a les sympathies de Weddeye, il rompt peu après avec son ancien allié, déclenchant une guerre civile à N’Djamena, qu’il doit évacuer fin 1980.
Depuis l’est du Tchad où il a repris le maquis, il combat le régime de Goukouni Weddeye soutenu par Tripoli, pour rentrer victorieusement à N’Djamena en 1982.
Son régime, soutenu face à Kadhafi par la France et les États-Unis, durera huit ans.
Cette période est marquée par une terrible répression: les opposants – réels ou supposés – sont arrêtés par la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS, police politique), torturés, souvent exécutés.
Une commission d’enquête estimera à plus de 40 000 le nombre de personnes mortes en détention ou exécutées sous son règne, dont 4000 identifiées nommément.
En décembre 1990, Habré quitte précipitamment N’Djamena, fuyant l’attaque éclair des rebelles d’Idriss Déby Itno (l’actuel président tchadien), un de ses généraux qui a fait défection 18 mois plus tôt et a envahi le pays depuis le Soudan.
Habré trouve alors refuge à Dakar pour un exil qui sera paisible pendant plus de 20 ans.
Au Sénégal, le dirigeant déchu troque treillis et casquette kaki pour un grand boubou et un calot blanc. Musulman pratiquant, il se fait apprécier de ses voisins, avec lesquels il prie lors des fêtes religieuses, se montre discret et généreux en participant à la construction de mosquées ou au financement du club de foot…
En 2011, quand le président sénégalais Abdoulaye Wade crée la surprise en voulant finalement l’expulser vers N’Djamena, des habitants du quartier de Ouakam manifestent leur soutien à M. Habré, en soulignant qu’il a une femme et des enfants sénégalais.
Il est finalement arrêté le 30 juin 2013 à Dakar puis inculpé par un tribunal spécial créé par l’Union africaine et placé en détention provisoire jusqu’à l’ouverture de son procès, le 20 juillet 2015.
L’ex-président dispose de 15 jours à compter de lundi pour interjeter appel de sa condamnation.
Agence France-Presse