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Haute couture : « Des barrières sont en train de tomber »

ENTRETIEN. Sélectionné pour figurer dans le calendrier officiel de la haute couture parisienne, le Camerounais Imane Ayissi s’est confié au Point Afrique.

Imane Ayissi. Voilà un nom et un visage partis pour s’installer durablement au firmament de la création et du luxe à la française. Et pour cause. À 51 ans, le couturier, artiste touche-à-tout, vient d’être sélectionné comme membre invité dans le calendrier officiel de la haute couture parisienne. C’est la première fois qu’un ressortissant originaire d’Afrique subsaharienne est sélectionné pour rejoindre le cercle très fermé des grandes maisons de couture. Ancien danseur – du Ballet national du Cameroun à la compagnie de Patrick Dupont –, mannequin pour les plus grandes marques du luxe (Dior, Lanvin, Givenchy, Yves Saint Laurent…), Imane Ayissi est considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands créateurs de mode. Ce qui fait sa particularité ? En 27 ans de carrière, il a creusé profond le sillon d’une mode inspirée par l’Afrique, en général, et son Cameroun, natal en particulier. Comment ? Imane Ayissi met un point d’honneur à déconstruire les stéréotypes pour montrer toute la diversité au sein des sociétés africaines. Fou de Vionnet et de Balenciaga, influencé par ses années dans les corps de ballet, mais tout autant passionné par le patrimoine textile africain, Imane Ayissi aime à combiner les traditions : celles de la haute couture française et celles des savoir-faire « académiques » et les trésors issus d’un héritage artisanal flamboyant et séculaire. Très sensible aux questions d’environnement, Imane Ayissi utilise autant qu’il le peut des manières naturelles et souvent biologiques, avec le plus faible impact possible. Il privilégie les cotons bio, les cuirs aux tannages végétaux ou les textiles teints avec des ingrédients naturels ou imprimés de manière artisanale. Nous l’avions rencontré fin septembre durant la semaine de la mode parisienne. C’était dans le show-room de Lago54*, agence dirigée par Emmanuelle Courrèges et qui se propose d’être au service de marques africaines retenues pour leur authenticité, leur créativité et leur qualité de haut niveau. C’est très ému qu’il nous a annoncé la nouvelle…

Le Point Afrique : Quand avez-vous appris la nouvelle de votre sélection comme membre invité du calendrier officiel de la haute couture par la Fédération française de la haute couture et de la mode ?

Imane Ayissi : Je l’ai appris le 26 novembre dernier, quelques jours après la tenue de la commission qui examine les candidatures.

Comment avez-vous réagi ? Qu’avez-vous ressenti ?

J’ai évidemment été très heureux, et assez fier après ces années de travail et d’efforts. J’ai aussi pensé à mon amie Katoucha, malheureusement disparue trop tôt, qui m’a toujours soutenu et encouragé pour toutes mes collections. Elle qui évoluait vraiment dans ce monde de la haute couture, elle aurait été la première à sauter de joie.

Et maintenant, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Maintenant, je ressens surtout une pression supplémentaire par rapport à mes précédentes collections…

Qu’est-ce que cela représente pour vous et qu’est-ce que cela dit du monde de la mode et de son rapport à la diversité et à l’Afrique en particulier ?

Cela représente une reconnaissance de mon travail et de mon style. J’en suis d’autant plus fier que les personnes qui ont parrainé ma candidature (obligatoire pour pouvoir candidater au calendrier très protégé de la haute couture) sont Didier Grumbach, le précédent président de la Fédération de la haute couture et actuel président d’honneur, et Francesca Bellettini, la PDG de la Maison Saint Laurent. Or, le travail d’Yves Saint Laurent est une référence absolue pour moi et j’admire la façon dont Francesca Bellettini a modernisé, tout en la préservant, cette marque.

Par ailleurs, cela montre que l’Afrique subsaharienne, qui a longtemps été absente de l’industrie de la mode, commence à en faire partie. Pendant très longtemps, il a été difficile d’associer Afrique et luxe, accepter un créateur africain dans la haute couture, qui est le niveau ultime de la mode de luxe, montre bien que des barrières sont en train de tomber. D’autant plus que, dans mon travail, j’ai toujours mis à l’honneur des textiles, des matières, des savoir-faire et des inspirations culturelles typiquement africaines.

 

Comment abordez-vous cette étape importante dans votre longue carrière ?

C’est une nouvelle étape pour moi, qui, je l’espère, me permettra de poursuivre le développement de ma marque.

Qu’est-ce que vous nous concoctez pour le 23 janvier ? Quel est le programme ?

Je n’aime pas parler en avance de mes collections, surtout que mes inspirations peuvent continuer à évoluer presque jusqu’au dernier moment, je peux juste dire que le thème est d’une certaine manière en relation avec l’idée de la haute couture, mais d’un point de vue africain. Ce qui est sûr, c’est que le 23 janvier, mes invités et moi, nous allons célébrer ce moment spécial et l’Afrique d’aujourd’hui.

Vous êtes soutenu depuis longtemps par la plateforme Lago54, est-ce aujourd’hui important d’avoir une organisation derrière soi ?

Entre Emmanuelle Courrèges et moi, c’est une longue histoire. Elle fait partie des personnes qui me soutiennent pratiquement depuis le début. Et aujourd’hui, Lago54, c’est une vitrine importante pour nous créateurs. D’abord, c’est une plateforme qui raconte une histoire. Car on a tendance à représenter l’Afrique comme un seul pays, alors que c’est 54 pays, différentes cultures, différentes langues, traditions, patrimoines culturels, artistiques, et la créativité aussi est diverse. Et ça, Emmanuelle en a fait la force de Lago54. Puisque, au-delà de nous soutenir par de simples conseils, sa vitrine permet de montrer son travail directement aux professionnels, aux acheteurs, aux agences, d’être acheté aussi par des concept stores à travers notamment des show rooms comme celui où nous nous trouvons dans le Marais pendant toute la Semaine de la mode à Paris. Elle fait aussi ce travail de vulgarisation auprès du public sur des notions précises de culture et des imaginaires africains.

C’est presque de la politique, c’est comme ça que vous percevez votre travail de créateur ?

C’est une vision nécessaire, car il y a encore beaucoup d’amalgames autour de la mode dite africaine. Je crois que le moment est arrivé où les créateurs africains ont besoin d’être achetés. Voilà pourquoi j’exhorte les Africains à acheter africain, n’attendons pas que ce soit seulement les étrangers qui achètent nos créations. C’est un cercle vertueux qu’il faut instaurer. Concrètement, plus les Africains achèteront africain, plus les designers et créateurs pourront s’améliorer en achetant plus de matières premières locales, plus de tissus de qualité, faire de meilleures finitions ou créer de plus beaux accessoires. La mode, la création, c’est une chaîne de valeur économique.

Propos recueillis par 

Le Point

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