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Haute Cour de Justice : Le tribunal d’impunité du président et des ministres

Haute Cour de Justice (HCJ) ! Pour des raisons évidentes qui crèvent l’œil, aucune des quatre tentatives ratées de révision constitutionnelle ne s’est questionnée sur l’incongruité de cette institution qui défie les logiques démocratiques de notre système politique. Bien au contraire, chacune s’est évertuée à étendre l’espace d’impunité du Président de la République en tentant de le disculper des crimes et délits pour les mettre uniquement sur le dos des ministres. Dans le contexte politique malien qui se prétend démocratique, la HCJ apparaît plutôt comme une institution surannée qui organise la justice politique servile. Les deux articles constitutionnels 95 et 96 incarnant cette tare démocratique sont enfermés dans le Titre X consacré à la HCJ.

L’article 95 dispose : « La Haute Cour de Justice est compétente pour juger le Président de la République et les ministres mis en accusation devant elle par l’Assemblée nationale pour haute trahison ou en raison des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que leurs complices en cas de complot contre la sûreté de l’Etat. La mise en accusation est votée par scrutin public à la majorité des 2/3 des députés composant l’Assemblée nationale. La Haute Cour de Justice est liée par la définition des crimes et délits et par la détermination des peines résultant des lois pénales en vigueur à l’époque des faits compris dans la poursuite ». L’article 96 précise : « la Haute Cour de Justice est composée de membres désignés par l’Assemblée nationale à chaque renouvellement général. Elle élit son Président parmi ses membres. La loi fixe le nombre de ses membres, les règles de son fonctionnement ainsi que la procédure suivie devant elle ». Ce sont ces articles 95 et 96 qui organisent le privilège de juridiction du Président de la République et des ministres.

A tort ou à raison, les noms du Président de la République lui-même et de plusieurs de ses ministres actuels ou anciens sont évoqués dans les sulfureux dossiers de malversations de deniers public si caractéristiques de la gouvernance de ce régime depuis 2013. Au même moment, on constate qu’en dépit de la bourrasque de l’expédition anti-corruption déclenchée par le procureur Mamadou KASSOGUE, le Président de la République et les ministres continuent d’afficher une sérénité à la limite de l’arrogance. Ils font mine de ne se sentir aucunement concernés par la vague anticorruption qui secoue actuellement la République. Pourquoi le Président de la République et les ministres semblent-ils affiché de la sérénité ? La raison est simple. En vérité, ils se savent épargnés de la tempête judiciaire de la lutte contre la corruption, tapis qu’ils sont comme dans un bunker, à l’intérieur du bouclier judiciaire de la Haute Cour de Justice que leur sert de tribunal d’impunité. Ni aucun ministre ancien ou en fonction, encore moins le Président de la République, susceptible d’être mis en cause dans un dossier quelconque de corruption ou de malversations financières ne pourrait être inquiété autrement qu’à travers la juridiction politisée d’exception que constitue la HCJ qui les met à l’abri de toutes poursuites judiciaires normales de droit commun.

 Les mécanismes du privilège de juridiction offert au Président de la République et aux ministres

Dans l’absolu, la règle dans une République est que nul-fût-il Président de la République ou ministre, ne peut se soustraire de l’obligation de répondre personnellement de actes qu’il pose. La République a cependant mis en place des mécanismes et institutions afin de permettre que les serviteurs de la République au plus haut niveau puissent s’acquitter des fonctions qu’ils exercent dans les meilleures conditions. Ce qui ne signifie nullement que les impressions d´intouchabilité et de super puissance que se plaisent à projeter certains cadres qui occupent des fonction politiques sont recevables. La philosophie générale de cette générosité républicaine est de parvenir à concilier la protection de la fonction sans pour autant créer une rente de privilèges injustifiés qui heurtent la soif de justice des citoyens. Sont à ranger dans ces mécanismes et institutions de sauvegarde républicaine, outre le privilège de juridiction, les classements secret-défense, les immunités parlementaires sous leur double forme d’inviolabilité et d’irresponsabilité. C’est au nom du privilège ou immunité de juridiction dont ils bénéficient que le Président de la République et les ministres ne peuvent comparaître devant les juridiction de droit commun. Ils ne sont jugés pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions que devant la HCJ.

 Les députés libres d’adopter ou de rejeter toutes poursuites contre le Président de la République ou les ministres.

La HCJ étant une institution satellite de l’Assemblée nationale, il va de soi qu’elle ne peut être saisie qu’à travers le Président de cette institution. A cet égard, il est à noter que contrairement à ce qui semble résulter de l’article 95 de la Constitution, la loi n°97-001 du 13 janvier 1997 fixant la composition et les règles de fonctionnement de la Haute cour de justice ainsi que la procédure suivie devant elle, opère une différence de traitement entre le Président de la République et les ministres. S’agissant du Président de la République, c’est l’Assemblée nationale qui est saisie par son Président pour les faits qualifiés de haute trahison. La loi ne précise toutefois pas ce qui doit se faire en amont de la saisine de l’Assemblée nationale par son Président. En ce qui concerne les ministres, la loi n°97-001 du 13 janvier 1997 précise que la procédure est déclenchée par le procureur de la République compétent pour les faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leur fonction. Ce dernier transmet ensuite le dossier au procureur général près la Cour suprême et c’est lui qui transmet à son tour ledit dossier au Président de l’Assemblée nationale. Si c’est le procureur de la République qui déclenche la procédure, on peut supposer qu’il pourrait être actionné à la suite de plainte par toute personne qui se prétend victime d’une infraction commise par un ministre dans l’exercice de ses fonctions. On notera également que la loi reste muette quant à la poursuite du Président de la République pour des crimes ou délits et des ministres pour des faits de haute trahison. La Constitutionnalité de la loi n°97-001 du 13 janvier 1997 reste à cet égard sujette à caution. En tout état de cause, une fois l’Assemblée nationale ou son président saisis, c’est à travers une résolution que la mise en accusation devant la HCJ est votée par scrutin public à la majorité des 2/3 des députés. Ce vote se ramène en fait à une appréciation politique, voire politicienne, des faits reprochés au Président de la République ou aux ministre. C’est à cette étape décisive que les députés décident souverainement d’adopter ou de rejeter une poursuite contre le Président de la République ou les ministres. Cette étape est déterminante dans le processus, car la Constitution donne ici droit aux députés d’empêcher toutes poursuites à l’encontre du Président de la République et des ministres mis en cause pour haute trahison ou en raison des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Lorsqu’il s’agit de surcroit de députés nommées par le Président comme c’est le cas actuellement suite à la prorogation inconstitutionnelle des mandats, on se doute bien que c’est l’impunité absolue garantie pour le Président et tous les ministres susceptibles de poursuites dans les scandaleux dossiers de corruption qui éclaboussent aujourd’hui la République au plus haut niveau. Pire, même dans le cas très hypothétique où l’obstacle de la mise en accusation était franchie par le vote positif de la résolution de mise en accusation, l’affaire en cours resterait condamnée au non-lieu au travers des couloirs politico-juridiques dans lesquels elle ne manquerait pas de s’étouffer.

 Une Commission d’instruction pour un semblant de judiciarisation

La procédure devant la HCJ présente quelques éléments symboliques de judiciarisation qui occultent à peine sa nature politique. Ces éléments ressortent pour l’essentiel de la loi n°97-001 du 13 janvier 1997 fixant la composition et les règles de fonctionnement de la Haute cour de justice ainsi que la procédure suivie devant elle. Ainsi dans le cas très hypothétique où un dossier, après avoir été instruit par le procureur de la République, transmis au procureur général près la Cour suprême et adressé au président de l’Assemblée nationale, franchirait le portail bétonné des 2/3 nécessaires au vote par les députés de la résolution de mise en accusation, ledit dossier ainsi que la résolution de mise en accusation sont renvoyés au procureur général par le président de l’Assemblée nationale. Dans les 24 heures, le procureur général saisit la Commission d’instruction. C’est cette Commission d’instruction composée de cinq magistrats de l’ordre judiciaire qui assure la responsabilité des investigations judiciaires relevant de la HCJ. Dans le respect du Code de procédure pénale, elle procède à tous les actes utiles à la manifestation de la vérité. A cet effet, son Président peut accomplir tous les actes d’instruction et décerner mandat, y compris à l’encontre d’un ministre en fonction. Aucun verrou législatif ne peut bloquer la Commission dans son travail d’instruction. A la fin de l’instruction, elle communique le dossier au Procureur général près la Cour suprême.

Deux situations peuvent se présenter. Soit la Commission conclut que les faits ne sont ni une haute trahison, ni un crime ou délit ou qu’il n’en résulte pas de charges suffisante contre le ou les mis en cause auquel cas elle ordonne qu’il n’y a pas lieu à poursuite. Soit au contraire, la Commission d’instruction ordonne le renvoie de l’affaire devant la HCJ à laquelle il appartient de se prononcer sur la consistance du dossier d’accusation.

 Le dernier mot aux députés-juges de la HCJ

Il va de soi que le renvoie de l’affaire devant la HCJ rend le jugement plus politique que pénal.

Si l’affaire est renvoyée devant la HCJ, les neuf députés juges s’en saisissent aussitôt. On constate également qu’à cette étape, ont été aménagés quelques semblants de gages pour créer l’illusion d’un vrai procès pénal. Les débats sont publics, sauf huis-clos ordonné. Les règles du Code de procédure pénale s’appliquent aux débats et jugements au sein de la HCJ. Néanmoins, il ressort que le faux-fuyant du droit commun et de l’égalité de tous devant la justice s’arrête à cette barrière. Car de l’autre côté moins reluisant, on constate que la HCJ statue sur la culpabilité des accusés dans des conditions pour le moins politiciennes. La loi n°97-001 du 13 janvier 1997 dispose que par bulletin secret à la majorité absolue, il est voté séparément pour chaque accusé, sur chaque chef d’accusation et sur la question des circonstances atténuantes. Mais surtout, lorsque l’accusé est déclaré coupable, l’application de la peine fait l’objet d’un nouveau vote. Ce système de vote est organisé en sorte que l’accusé a finalement très peu de chance d’écoper d’une lourde peine. C’est ainsi qu’à l’article 34 de la loi n°97-001 du 13 janvier 1997, il est précisé qu’après deux votes à l’issue desquels aucune peine n’obtient la majorité absolue des voix, la peine la plus lourde dans ces votes est écartée pour le vote suivant. Autrement dit, après deux votes successifs infructueux pour défaut de majorité absolue, la peine la plus forte dans la gamme des peines applicables est à chaque fois écartée. Il est ainsi procédé en écartant chaque fois la peine la plus forte jusqu’à ce qu’une peine soit prononcée à la majorité absolue.

 Les tares congénitales de la HCJ

Les fonds publics du pays sont dilapidés dans une institution soi-disant judiciaire où les garanties organiques d’indépendance et d’impartialité et procédurales de procès équitable sont loin inexistantes. La HCJ ne répond nullement à la double contrainte de dissipation du sentiment d’impunité de facto du Président de la République et des ministres et de paralysie du gouvernement par une soumission pure et simple au droit commun. La HCJ n’est rien d’autre que l’expression judiciaire de l’impunité garantie au Président de la République et aux ministres du fait de sa justice fondamentalement politique. La probabilité de juger le Président de la République ou un ministre ancien ou en activités y compris pour des crimes et délits est tellement hypothétique que c’est presque de la folie que de se l’imaginer dans le contexte du Mali. Comment rêver qu’une majorité que le Président de la République et les ministres contrôlent généralement puisse décider d’engager des poursuites contre eux et porter sur les crimes et délits en cause un regard plus politique que pénal même s’il s’agit d’infractions de droit commun ?

La HCJ a beau s’inscrire dans le système institutionnel de sauvegarde de la République, il est clair qu’elle apparaît surannée de nos jours, d’autant plus que ce genre de dispositif ne peut correctement fonctionner que si ses bénéficiaires et l’ensemble des acteurs qui participent de son animation ont un sens élevé de l’Etat de droit et de la République. Ce qui est loin d’être le cas au Mali où la République se trouve gravement désinstitutionnalisée. Un Mali sous IBK où avec la complicité de la Cour constitutionnelle, on a fabriqué en cire des députés dont le mandat est constitutionnellement expiré depuis le 31 décembre 2018 à 00 heure ! On ne va tout de même pas exiger d’un pseudo député nommé par IBK, ce que n’oserait le vrai député élu par le peuple. Même si le Procureur de la République se débarrassait de toutes les chaînes de contraintes politiciennes qui clochardisent la justice, qui sera suffisamment fou pour imaginer un seul instant que des députés préfabriqués vont oser voter une résolution de mise en accusation d’un Président de la République ou d’un ministre et statuer en tant que députés-juges sur leur culpabilité au sein de la HCJ ? On peut en douter. Et à juste raison.

Dr Brahima FOMBA

Université des Sciences Juridique et Politiques de Bamako (USJPB)

Source: L’Aube

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