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Hama le Rouge, l’armurier des peshmergas

Non loin d’Erbil, un homme répare gratuitement les armes des combattants, à condition qu’ils luttent contre les djihadistes de l’État islamique. Rencontre.

 

Hama Rouge armurier peshmergas combattant

Dans son garage, « Hama le Rouge » n’a plus de place pour garer son gros 4 X 4 blanc. Perché dans les montagnes du petit village de Korré, son hangar très sommaire surplombe la route qui relie Erbil, dans le Kurdistan irakien, à la frontière iranienne. Sur des étagères, à même le sol, ou dans les coins, l’ensemble du local est rempli de lance-roquettes, de kalachnikovs et de mitrailleuses apportés par des peshmergas, les soldats kurdes irakiens, depuis la ligne de front où ils combattent les djihadistes de l’État islamique. Au centre de l’arsenal, en plus d’un fusil Mauser datant de la Seconde Guerre mondiale, un canon de 106 mm. Ses deux mètres de long impressionnent, mais c’est une antiquité : l’armée française a commencé à l’utiliser en 1953. Les Kurdes, eux, combattent toujours avec.

Hama le Rouge, 43 ans, n’est pas communiste comme son surnom le suggère. Il est juste roux : sa peau imprime le soleil comme celle d’un touriste allemand perdu dans le désert du Sahara. Mahamet Taha Mahamet Amin – son vrai nom – est Kurde irakien et il répare gratuitement les armes de ses « frères » peshmergas. Avec lui, pas question de parler gros sous : « Je ne fais rien payer. Sauf si les gars veulent que je repeigne l’engin. L’important, c’est que ça marche ! En réparant, je ne défends pas que ma famille, je défends le Kurdistan tout entier. » Hama gagne sa vie en vendant des maisons à droite à gauche. Il passe son temps libre entouré de machines de guerre, toutes plus abîmées les unes que les autres, et de soldats exaspérés par les vieilleries qui leur servent d’armes.

« Sur le front, on le connaît tous »

Cet après-midi, ils sont cinq combattants à boire le thé, regardant Hama transpirer avec ses deux fils sur les douchkas qu’ils ont amenés à réparer. Généralement installées à l’arrière de véhicules, ces mitrailleuses lourdes étaient construites par les Soviétiques. Certaines terminent leur carrière sur les champs de bataille du Kurdistan irakien, parfois après trente ans de service. Déplumés de leurs armes, deux pick-up attendent au soleil, à deux pas du poulailler attenant à l’atelier d’Hama. Salam et Dara sont peshmergas, ils ont fait la route depuis Gwer, l’un des points de contact entre les forces kurdes et les combattants djihadistes. « Sur le front, on le connaît tous. Nos armes tombent souvent en panne, donc on se donne l’adresse d’Hama, qui est l’un des meilleurs réparateurs de la région. » Pour l’entretien de leur équipement, les peshmergas doivent se débrouiller eux-mêmes.

Installé sur un fauteuil à moitié défoncé, Hama fabrique les pièces de rechange à l’aide d’un chalumeau et d’une scie à métaux. Tout est fait maison. Il l’assure : « N’importe quelle arme fonctionne de nouveau » une fois passée entre ses mains graisseuses.

Sous sa moustache orange fluo, les sourires vont et viennent. Ils disparaissent à l’évocation de l’organisation État islamique. « Je suis très content de savoir que les armes que je répare servent à tuer des combattants de Daesh. Je les combats comme ça. » C’est la condition : il offre un coup de main si l’engin sert à rayer les islamistes de la carte. L’année dernière, quand ces derniers ont avancé jusqu’à une trentaine de kilomètres d’Erbil, il a sauté dans sa voiture et filé vers les combats pour aider les combattants kurdes avec son don : la bricole.

Depuis, il alterne entre tournées de réparation sur les lignes de front et son atelier. Ancien peshmerga, l’homme a passé la moitié de sa vie dans les montagnes à repousser les ennemis du Kurdistan, d’où qu’ils viennent. Depuis plus d’un demi-siècle au cœur des révoltes contre Bagdad, les peshmergas assurent la protection du territoire kurde irakien. Hier, ils combattaient Saddam Hussein ; aujourd’hui, ils tentent de stopper l’avancée de Daesh.

Contre Daesh ou Saddam, « la colère est la même »

C’est en leur compagnie qu’Hama a appris l’art du rafistolage, dans les années 80 : « Nous n’avions pas d’argent pour acheter quoi que ce soit de neuf. J’ai appris à réparer tout et n’importe quoi, petit à petit. » À 15 ans déjà, « le Rouge » connaissait son premier combat contre les soldats de Saddam. À l’époque, l’un de ses supérieurs le surnomme ainsi, s’amusant de son intolérance aux UV. Sur son smartphone défilent des photos de lui, de ses amis, kalachnikovs à l’épaule, encore jeunes. Pour la pose, tous sont fiers, le torse bombé, dans telle ou telle vallée du Kurdistan.

L’envers du décor est moins réjouissant. « La plupart de ces gens sont morts. Mon frère a été pendu par les ba’athistes [les soldats du régime de Saddam Hussein, NDLR]. J’ai pris les armes pour le venger. Toutes les familles kurdes ont des morts à pleurer. » Sa poitrine et son bras droit sont marqués par trois impacts de balles récoltés au gré de ses combats. Que ce soit à l’encontre de Daesh ou de Saddam, « la colère est la même ». Au fil des années, la détestation de la guerre, chez Hama, s’est faite de plus en plus grande. « Je n’aime pas me battre. Je n’ai jamais voulu tout cela. Mais si on ne défend pas notre terre, personne ne le fera à notre place. »

À dix minutes de chez le réparateur, dans la ville de Shaqlawa, des centaines de déplacés, principalement arabes et originaires de Falloujah, ont investi la ville. À tel point que la bourgade a été informellement rebaptisée « Shaqlujah ». Hama, lui, est « content de voir que les Arabes viennent se réfugier ici. Cela prouve que le pays est sûr et qu’on a toujours cette tradition d’accueil, d’ouverture ». Traditionnel, nationaliste et musulman pratiquant, il a deux femmes et six enfants. L’un de ses garçons est peshmerga, comme il le fut lui-même, et comme son père avant lui. Cela ne l’empêche pas d’« aimer les femmes plus que de raison ». Aucun problème non plus avec « les gens qui boivent de la bière », en référence aux chrétiens de la région. « Tous les hommes sont frères, quelle que soit leur religion. »

Mais son côté épicurien, souligné par ses joues de bon vivant, ne doit pas tromper. Hama ne prend pas son 4 X 4 sans sa kalachnikov, prête à l’emploi sur le siège arrière. Sur son bras, comme un rappel, un tatouage : « Ma vie est triste. »

 

Source: Yahoo

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