C’est avec une inquiétude constante sur le devenir du pays que le Malien lambda assiste à la persistance des crises multidimensionnelles qui ne cesse de prendre de l’ampleur avec des grèves dans tous les secteurs d’activités. Cette grogne sociale prouve l’incapacité de l’Etat à faire face aux défis actuels du Mali.
Débuté le 04 septembre 2019,ce nouveau quinquennat s’annonce particulièrement très houleuxpar rapport à la première. En plus de l’insécurité galopante, l’instabilité politique, la grogne sociale, venant presque de toutes les couches de la société,fait douter sur la capacité de l’Etat à gérer ce Mali qui ne contrôle plus les 2/3 de son territoire. Parmi les couches sociales les plus remontées se hissent en tête du peloton, les travailleurs des services publics. De la réélection du président Ibrahim Boubacar Keita à aujourd’hui, le pays a connu au moins une quarantaine de grèves enclenchées par plusieurs syndicats des agents de l’Etat pour ‘’non satisfaction de leurs revendications’’ qui varient selon les corporations. Il y a eu même un mouvement de grève de la plus grande centrale syndical du pays à savoir l’Union Nationale de Travailleurs du Mali (UNTM) dont la dernière remontait de 2014. Parmi les corporations qui luttent, certaines sont toujours envoyé dans un bras de fer extrêmement tendu avec l’Etat comme la Synergie des enseignants signataires du 15 octobre 2016, et surtout les laCoordination des comités syndicaux des Directions Administratives et Financières (DAF) de la Présidence et de la Primature, des Directions des Finances et du Matériel (DFM) des départements ministériels, des Directions des Ressources Humaines (DRH) et les Cellules de la Planification et de la Statistique (CPS) et surtout, les travailleurs des agents des collectivités territoriaux dans les mairies.
L’ire des enseignants
C’est en Novembre 2018 que le 1er préavis de la synergie des enseignants signataires du 15 octobre 2016 a été déposé auprès du ministère de l’éducation nationale. Face à la difficulté de trouver des accords convenables sur tous les points de revendications, cette plateforme de syndicat d’enseignants a réalisé l’une des plus longues séries de grèves de toute notre histoire démocratique. Radicaliser par le refus total de l’Etat d’accepter les deux principaux points de discorde à savoir la question de prime de logement et celui relatif à la documentation mais aussi le blocage de leur salaire depuis février, la synergie a déposé un nouveau préavis de 23 jours allant du15 avril jusqu’au 23 mai 2019. Considérant le fait que les élèves n’ont même pas bouclé leur programme du premier trimestre, la réalisation de ce temps de grève rendrait inévitable l’année blanche. Selon le Premier ministre, l’incidence financière deces deux revendications pour les 63.000enseignants de notre pays s’élève à 55 milliards de FCFA par an. Et selon lui, là où l’Etat se trouve aujourd’hui, il lui est impossible d’accorder une telle charge pour une seule corporation. Ainsi, les élèves de l’enseignement primaire et secondaire s’acheminent à grand pas vers une année blanche face à l’incapacité de l’Etat et des syndicats à trouver une solution et le tout couplé à la passivité de la population dans sa grande majorité qui semble être totalement indifférente à la situation.
Quand des financiers se mettent en colère
Ce sont là des agents chargés de la gestion financière, matérielle et administrative de plusieursdépartements gouvernementaux comme la primature qui sont eux aussi en prise avec le gouvernement. Leur dernier mot d’ordre en cours s’élève à 19 jours de grève sur toute l’étendue du territoire à compter du 1er Avril. Selon leurs responsables syndicaux ce mot d’ordre sera suivi par d’autres actions dans les jours à venir. Rappel: la Coordination des DAF-DFM-DRH -CPS demande que les contenus du décret N° 2018-0541/P-RM du 05 juillet 2018 soient en intégralité élargis aux personnels de la DAF de la Présidence et de la Primature, des CPS, et des DFM des départements ministériels, que la prime de sujétion pour risque soit ramenée à 25 % du salaire au lieu de 10% pour le personnel des deux DAF et des DFM, que les contenus du décret N°2018-0653/P-RM du 08 août 2018 soient en intégralité élargie aux personnels des DRH sectorielles.Et vu que le gouvernement n’a entamé aucune démarche rassurante allant dans le sens d’une résolution de la crise, nous pouvons dire certainement que cette crise est aussi loin de connaitre son épilogue.
Les agents des collectivités territoriales aussi…
C’est ce lundi dernier, après un préavis de déposé depuis la semaine dernière, que les agents des collectivités territoriales, œuvrant essentiellement, dans les mairies, ont débuté 15 jours de grève intense sans volonté de recul. Parmi les points de discorde, il y a,entre autres: le paiement immédiat des salaires du 2e semestre 2017 et ceux de l’année 2018 en application à l’arrêté interministériel n°1482/MCT/MEF-SG du 8 mai 2018 portant prise en charge des salaires des fonctionnaires des collectivités du cadre de l’Administration générale sur le fonds national d’appui aux collectivités territoriales (FNACT) ; l’inscription des crédits dans la loi des finances représentant le montant des salaires et accessoires des salaires des fonctionnaires du cadre de l’administration générale, comme c’est le cas des fonctionnaires des cadres transférés (santé, éducation…) ; l’application des points d’accord contenus dans le procès-verbal de conciliation entre le gouvernement et le syndicat national des travailleurs des collectivités territoriales (SYNTRACT) en date du 24 mai 2018 ; l’adoption d’un arrêté interministériel fixant les bases et les maxima des taux des primes et indemnités allouées aux fonctionnaires des collectivités territoriales, conformément à l’article 72 de la loi n°2018 – 035 du 27 juin 2018 portant statut des fonctionnaires des collectivités territoriales ; la relecture de la loi n°87-47 du 10 août 1987 relative à l’exercice du droit de grève dans les services publics et de son décret d’application pour mieux clarifier la liste du personnel appelé à assurer le service minimum dans les collectivités territoriales en cas de grève. Cette grève en cours suit plusieurs autres effectuées par ces mêmes agents mais toujours sans l’obtention d’une lueur de satisfaction.
Constat: le Mali tend vers ce qu’on appelle une ‘’République de Grève’’ vu l’indifférence qui prévaut au niveau de la syndicale (UNTM) face au sort des travailleurs et des mouvements sociaux qui agitent tous les secteurs d’activité du pays. La grogne sociale, sous d’autres cieux, se posent comme un signal incontournable pour tout régime afin qu’il sache que sa politique de gouvernance est loin d’être à la mesure des défis. La négliger peut être fatal pour un Etat aussi faible que le nôtre qui peine à asseoir sa souveraineté sur toute l’étendue du territoire.
Ousmane Dembélé
Source: L’ Aube