Dans une interview accordée à nos confrères du « Prétoire », le Président du Haut Conseil Islamique ne mâche pas ses mots. Résumé…
Mahmoud Dicko commence par le dire : « Je n’ai pas connaissance que nous ayons été consultés par rapport à la mise en place des autorités intérimaires » mais il ajoute aussitôt: « Je me demande pourquoi on nous aurait consultés, du moment où c’est une disposition de l’Accord (de paix) ». Avant de prêcher: « Nous n’avons pas à remettre en cause leur mise en place ».
Connu pour son esprit critique et ses fréquentes sorties contre les pouvoirs politiques, on peut s’étonner que l’imam se résigne si facilement à une décision qui divise le pays et a soulevé les jeunes de Gao. Mais Dicko a ses explications: « Ce n’est pas le moment de remettre en cause les autoritaires intérimaires. Ce n’est pas le moment de demander l’avis des gens par rapport à ça. On ne peut pas aller en guerre, perdre cette guerre, aller en négociation et vouloir que tout soit comme on le veut. Ce n’est pas possible ! Il faut accepter de faire des compromis pour qu’on puisse avancer. Je ne comprends pas les Maliens sur ce sujet. ». Tout est dit: aux yeux de l’imam, notre pays est le grand vaincu de la guerre du nord et ne peut obtenir par la négociation ce qu’il n’a pu arracher par les armes. La question des autorités intérimaires ne doit donc plus être débattue puisqu’elle fait l’affaire des vainqueurs (les rebelles de la CMA) ! Et pour mieux préparer le pays à avaler les couleuvres, l’imam Dicko fait un petit rappel: « La mauvaise gestion de notre pays nous a conduits vers une guerre qu’on a perdue. Vous ne pouvez pas aller en guerre, perdre et souhaiter que les choses soient comme vous le voulez. Il faut obligatoirement des compromis. Il faut être naïf pour ne pas le comprendre. ».
Naïveté ? Le mot ne suffit pas, aux yeux de l’imam, à qualifier ceux qui contestent l’installation des autorités intérimaires : « Je pense sincèrement que ce débat n’a pas lieu d’être; ce n’est pas le moment. Cela reviendrait à remuer le couteau dans la plaie et remettre tous les acquis de l’Accord en cause. C’est un éternel recommencement. Cela veut dire aussi que nous ne savons même pas ce que nous voulons ». A bon entendeur…
Dicko ne craint point d’émettre ses opinions: « Je suis franc dans mes prises de position, même si je suis mal compris. Vous ne pouvez pas perdre une guerre et vouloir vous imposer dans les négociations. Il faut accepter un compromis maintenant, aller à la paix et avancer. En ce moment on doit tirer les leçons de nos erreurs et faire en sorte que nous ne tombions plus dans certaines erreurs ».
L’imam invite à « conscientiser le peuple pour que ce qui nous est arrivé n’arrive plus. Au lieu de cela, le gouvernement est de son côté, l’opposition tire la couverture sur elle, les journalistes peignent presque tout en noir ». Du soulèvement des jeunes de Gao, l’imam a sa propre interprétation: « L’histoire de Gao dont on parle, on n’a même pas attendu que l’opinion soit édifiée (là-dessus). On ne sait même pas de quoi il s’agit. Mais ce sont des gens qui viennent de France et d’ailleurs pour inciter les populations. Ce sont des gens qui ont des intentions politiques, tout le monde le sait. On essaie de brouiller les pistes dans cette affaire. Il faut qu’on aille doucement et qu’on essaie de comprendre ce qui s’est passé. Chacun essaie d’en faire une récupération politique de ce malheur. C’est dommage ! ». Des « gens venus de France et d’ailleurs » ? L’imam se garde, hélas !, de citer des noms…
Quelle responsabilité porte la classe politique dans la situation du pays ? Dicko accuse: « Le mouvement démocratique, qui est dans le système depuis des années, même après le coup d’Etat de 2012, a été incapable de se mettre ensemble pour voir ce qui a marché ou non et de dégager la voie à suivre ». Il accuse aussi les partis politiques : »Leur souci, c’est comment trouver un moyen pour arriver au pouvoir ». Au final, il déplore: « Il n’y a pas d’acquis et tout est remis en cause. Il n’y a pas de débat. On saute sur toutes les occasions pour se faire voir. Il n’y a aucune vérité. Celui qui parle, on le vilipende, on l’insulte. Donc, on est obligé de la boucler ». L’imam estime que « le pays est à terre » et diagnostique « un problème de leadership ». Et « nous les religieux, quand on parle, on pense qu’on a des ambitions. On n’a aucune ambition. On ne veut seulement pas être complice d’un chaos organisé par notre silence ». Enfin, en bon musulman, l’imam prie « pour que le pays sorte de cette crise ».
Tiékorobani
Source: proces-verbal