Les faits sont têtus. Certains de par leur gravité extrême hantent les esprits de de plusieurs générations. En 1994, au Rwanda, se passait le crime le plus cruel de l’histoire moderne du monde : le Génocide contre les Tutsi. 25 ans, jour pour jour, année pour année, le grand et digne peuple du Rwanda se remet de cette histoire sombre de leur existence. En marge de la cérémonie de commémoration de cette 25e année du Génocidecontre les Tutsi tenu à l’hôtel amitié de Bamako, ce samedi 13 avril 2019, , la présidente de la communauté rwandaise au Mali, Mme Alice Gasarabwé, a évoqué comment le Génocide contre les Tutsi a été planifié et exécuté. Suivez l’intégralité de son discours.
Au nom de la Communauté Rwandaise au Mali, permettez-moi de tous vous remercier très sincèrement d’être parmi nous ce jour pour la 25ème Commémoration du Génocide perpétré contre les Tutsi en 1994 au Rwanda.
Beaucoup d’entre vous avez toujours été des nôtres chaque année lors de la Commémoration du Génocide perpétré contre les Tutsi en 1994 au Rwanda.
La Commémoration du Génocide perpétré contre les Tutsi en 1994 au Rwanda a débuté, cette année, le 7 avril 2019 et durera 100 jours. La période de commémoration est connue sous le nom de Kwibuka qui est le mot kinyarwanda qui signifie souvenir.
Après l’holocauste juif, le monde s’est engagé à ce que «plus jamais» une tragédie aussi brutale ne se reproduise plus pour les êtres humains. Le monde entier a failli à cet engagement.
Albert Einstein a dit un jour: « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les observent sans rien faire ».
Il y a vingt-cinq ans, le Rwanda a connu la pire horreur de l’histoire humaine moderne. Sous les yeux du monde entier, plus d’un million d’enfants, hommes, femmes, jeunes et vieux Tutsi rwandais innocents et non armés ont été massacrés de la manière la plus inhumaine qui soit.
Le Génocide perpétré contre les Tutsi, qui a débuté le 7 avril 1994, a été le massacre le plus rapide de l’histoire de l’humanité.
En juste 100 jours, plus d’un million de personnes ont été exterminées principalement par l’usage des armes traditionnelles telles que des machettes.
Certaines victimes demandaient désespérément à leurs bourreaux (malheureusement sans réussir à les convaincre) d’utiliser leurs armes et leurs munitions pour mettre fin à leurs jours et à ceux de leurs proches. Ils n’étaient plus considérés comme des êtres humains… la valeur de leur vie était inférieure à celle des bêtes dans la jungle. Ils ont été exterminés sans pitié.
Le «crime» de ceux qui ont été tués était uniquement dû au fait qu’ils étaient nés tutsi. Personne ne devrait être tenu pour responsable de sa tribu, de son groupe ethnique, de sa région, de sa couleur, de sa race ou de sa religion.
Le génocide est l’extermination d’un groupe de personnes simplement à cause de qu’ils sont.
L’extermination des Tutsi, leur déportation, leur discrimination systématique et enfin la préparation du génocide perpétré contre les Tutsi avaient débuté depuis bien longtemps. L’extermination de plus d’un million de personnes n’a pas été spontanée, elle a été soigneusement planifiée et exécutée.
Huit étapes du Génocide démontrent comment elles ont été utilisées pour commettre le Génocide perpétré contre les Tutsi. Une classification en vue de l’extermination à travers la déshumanisation et la préparation n’ont pas été mises en place en une nuit :
Première étape: l’appartenance ethnique était mentionnée sur les cartes d’identité nationale
Deuxième étape : la symbolisation à travers des noms tels qu’ennemis du Rwanda, traitres, etc.
Troisième étape : la déshumanisation. Une des étapes essentielles. Nier l’humanité de quelqu’un, le réduisant à un sous-humain les Tutsi ont été réduits en Inyenzi c’est-à-dire réduits en des cafards, à tuer. Inyenzi n’était qu’un des noms utilisés pour assimiler les Tutsi à des animaux méritant la mort. Il y avait aussi des inzoka (serpents) qui évoquaient à nouveau la notion de vil, sournois et dangereux. La déshumanisation supprime l’individualité d’une personne. Il n’y a pas de différence entre le groupe et les individus. Quand bien fait, la pitié pour «l’autre» devient impossible et l’extermination devient l’étape suivante naturelle. Tous les hommes, femmes et enfants Tutsi n’étaient plus citoyens d’une nation, mais des cafards.
De la même manière, tous les Tutsi ont été progressivement associés au fait d’être des espions du Front patriotique rwandais (FPR) – Inyenzi – qualifiant d’ennemis à tuer.
Quatrième étape : l’Organisation à travers les médias tels que les radios qui véhiculaient des messages de haine. Dans le numéro 40 de Kangura, le titre éditorial disait tout: « Un cafard ne peut pas donner naissance à un papillon ». L’éditorial soutenait que les Tutsis, comme les cafards, utilisaient la couverture de l’obscurité pour s’infiltrer; «Les Tutsi se camouflent pour commettre des crimes.»
Cinquième étape : la Polarisation. Véhiculer la haine dans la population, organiser des réunions, enregistrer les noms des Tutsi dans la région, entrainer les miliciens hutus qui allaient effectuer en leurs termes, je cite (« le travail ») à travers tout le pays.
Sixième étape: la Préparation. L’achat de machettes et le soutien des militaires.
Septième étape : l’Extermination. L’action de tuer sans merci. De nombreux génocidaires qui ont avoué avant et pendant les juridictions Gacaca leurs crimes ont parlé d ‘«anéantissement des cafards». Et finalement, d’un politicien à l’agriculteur ordinaire, ils se sont unis pour se débarrasser des « cafards », travaillant ensemble pour exterminer leurs amis, voisins, collègues et membres de la famille Tutsi.
Huitième étape: le déni. Utiliser des excuses pour l’auto défense
Cette année, le Rwanda se souvient ainsi, pour la vingt-cinquième année, que plus d’un million de ses citoyens avaient été exterminés pendant le Génocide perpétré contre les Tutsi.
La 25ème Commémoration du Génocide perpétré contre les Tutsi en 1994 au Rwanda a pour thème : remember-unite-renew, en français mémoire-unité-renouveau.
Remember-(mémoire) : se souvenir consiste à honorer la mémoire de ceux qui ont péri et à réconforter les rescapés. En nous souvenant, nous reconnaissons notamment la résilience des rescapés. Les souffrances, les traumatismes, les difficultés, le chagrin et la douleur ont été et sont encore endurés par les rescapés du génocide perpétré contre les Tutsi en 1994.
La mémoire, se souvenir sans amertume ni esprit de vengeance, de pitié ou de désespoir, mais avec dignité, résilience et volonté d’aller de l’avant, est le seul moyen de faire en sorte qu’une telle tragédie ne se reproduise plus.
Unit-(unité): le Rwanda est déterminé à surmonter l’histoire de la mauvaise gouvernance, de la discrimination, de la culture de l’impunité et de la haine à la base du Génocide perpétré contre les Tutsi et qui ont divisé malheureusement notre société.
Nous avons choisi de nous concentrer sur ce qui unit les Rwandais, ce qui dépasse de loin toutes les différences. Les Rwandais partagent une langue, une culture, des valeurs et des normes identiques et une longue histoire de coexistence pacifique et harmonieuse. Ce sont des atouts puissants que nous souhaitons cultiver pour retrouver notre véritable identité rwandaise.
Le Rwanda sous le leadership de Son Excellence Monsieur Paul KAGAME, Président de la République, promeut aujourd’hui une culture de la tolérance, des valeurs de confiance en soi (en langue rwandaise, Agaciro), reconstruit l’identité rwandaise commune (en langue rwandaise Ndi Umunyarwanda) et instaure la primauté du droit et une société qui traite chacun de manière équitable.
Nous Rwandais avons pris conscience du fait que nous avons la responsabilité commune de continuer à construire une nation stable et moderne offrant des possibilités et une prospérité partagées. Des piliers et des bases solides pour l’unité et la réconciliation nationales ont été fermement mis en place. Notre unité, notre force
Renew (Renouveau)-nous devons prendre le courage et la détermination de reconstruire nos vies et notre pays. Rétablir les valeurs rwandaises de résilience, d’estime de soi, de respect et de dignité en vue de la transformation qui garantira que le génocide ne se reproduise plus jamais. De la catastrophe, nous devions construire une nation entièrement nouvelle, moderne et digne.
Aujourd’hui durant cette 25ème Commémoration du Génocide perpétré contre les Tutsi, nous nous souvenons notamment des casques bleus belges assassinés il y a 25 ans, du capitaine sénégalais Mbaye Diagne, qui faisait partie de la mission de maintien de paix des Nations Unies au Rwanda en 1994, et qui a sauvé tant de vies durant le Génocide perpétré contre les Tutsi puis assassinés…Nous Rwandais, leurs familles et leurs pays respectifs avons en commun la douleur et le respect de ces derniers pour leurs actions courageuses et justes durant le Génocide perpétré contre les Tutsi en 1994.
Après le Génocide perpétré contre les Tutsi en 1994, le Rwanda, en tant que pays, possédait tous les facteurs d’un État en faillite. D’un Etat quasi inexistant en 1994, le Rwanda est devenu une nation stable, d’espoir, de prospérité et d’égalité des chances pour son peuple.
L’économie a progressé. L’infrastructure a été reconstruite et étendue à travers le pays. Le peuple a acquis la capacité nécessaire dans des secteurs clés. Il y a un accès universel à l’éducation, la santé et la protection sociale de base offertes à chaque citoyen.
25 ans après, le Rwanda rayonne car notre peuple est désormais uni, notre peuple pilier du développement de notre pays. Nous sommes ensemble, nous existons toujours malgré ce que nous avons enduré.
La commémoration du Génocide perpétré contre les Tutsi, cette année, est axée également sur l’éducation des jeunes à propos de l’histoire du Génocide perpétré contre les Tutsi et dans la recherche de leur engagement à bâtir un avenir meilleur, fondé sur l’amour et l’humanité plutôt que sur la haine et la destruction.
Chers jeunes rwandais, durant le Génocide perpétré contre les Tutsi, des jeunes de votre âge, étudiants de Nyange, au Rwanda, ont refusé d’être séparés en hutus d’un côté et en Tutsi de l’autre. Certains ont été tués et d’autres ont été blessés. Tous sont des héros. Ils sont des exemples à suivre. Vous avez donc le devoir de participer à la reconstruction du Rwanda, notre pays. Vous avez le devoir également de toujours porter en vous l’héritage de résilience, d’intégrité et d’unité qui est cher à notre Rwanda.
En tant que jeunes, vous devez également être les auteurs de votre propre histoire et ne pas laisser les autres raconter votre propre histoire. C’est votre responsabilité de veiller à ce que ce qui s’est passé dans le passé ne se reproduise plus. Le Rwanda a besoin de jeunes sans idéologie du génocide. En tant que jeunes, vous devez être patriotes et responsables.
Pour terminer, comme le disait Son Excellence Monsieur le Président Paul Kagame, à Kigali, lors de la 25ème Commémoration du Génocide perpétré contre les Tutsi le 7 avril dernier, je cite : « the facts are stubborn, but so are we. We really have to be. Our nation has turned a corner. Fear and anger have been replaced by the energy and purpose that drives us forward,young and old. », traduction française, « Les faits sont têtus, mais nous rwandais le sommes aussi. Nous devons l’être. Notre pays a franchi un cap. La peur et la colère ont été remplacées par l’énergie et le but qui nous font avancer, jeunes et vieux »
A nos frères et sœurs du Mali, du Continent Africain, du Monde entier, qu’aucun autre peuple ne subisse ce que nous avons vécu au Rwanda, combattez activement la division et la haine, afin que nos peuples vivent en sécurité, pour plus jamais de Génocide, pour la paix et que la prospérité de nos nations aille toujours de l’avant.
Je vous remercie.
Allocution de Madame Alice GASARABWE, Présidente de la Communauté Rwandaise au Mali.
Par Boubacar Kanouté
Figaro mali