Vingt ans après le génocide au Rwanda, s’ouvre le premier procès jamais organisé en France d’un ressortissant rwandais accusé de complicité de génocide. Pascal Simbikangwa va devoir répondre de ses actes devant la Cour d’assises de Paris. Ce procès est le premier d’une longue série, puisqu’une vingtaine de ressortissants rwandais attendent d’être jugés pour complicité de génocide par la justice française.
Pascal Simbikangwa est né en 1959 à Rambura, dans la région de Gisenyi dans l’ouest du Rwanda. Proche du président Juvénal Habyarimana, il occupe plusieurs postes liés à la présidence du Rwanda.En 1982, il intègre la garde présidentielle. En 1986, Pascal Simbikangwa est victime d’un grave accident de voiture qui le laisse paraplégique. L’année suivante, il est affecté au renseignement militaire de l’état-major de l’armée, avant d’être nommé directeur au service central du renseignement, un poste directement rattaché à la Présidence.
L’homme a une sulfureuse réputation. On lui attribue des assassinats d’opposants au régime du président Habyarimana. Il est également soupçonné d’avoir été l’un des membres de « l’Akazu » ou la « clique des seigneurs », une organisation parallèle regroupant le premier cercle des proches de la famille Habyarimana. Ce groupuscule œuvrait pour le maintien au pouvoir du clan Habyarimana et pour la domination des Hutu.
Il aurait également participé dès le début des années 90 à la création de la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM), station de radio privée de propagande anti-Tutsi. Selon le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), cette radio a été l’un des principaux instruments du génocide de 1994.
En 2008, Pascal Simbikangwa réapparaît à Mayotte, sous le nom de David Safari Senyamuhura. La police soupçonne Safari Senyamuhura de se livrer au trafic de faux papiers. Lors de son arrestation, les policiers découvrent qu’il n’est autre que Simbikangua et qu’il est poursuivi pour génocide par la République rwandaise. Kigali l’a même classé en catégorie 1, la catégorie des personnes les plus activement recherchées. Incarcéré à La Réunion en 2009, il est mis en examen peu après le dépôt d’une plainte par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), une association qui traque les génocidaires rwandais.
Kigali ne parviendra pas à obtenir son extradition. D’ailleurs, à ce jour, aucun des génocidaires présumés arrêtés sur le sol français, n’a été extradé et ce malgré les demandes répétées de la justice rwandaise. Pascal Simbikangwa est accusé de complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité. Il est poursuivi pour avoir fourni des armes aux génocidaires qui tenaient des barrages dans Kigali, de leur avoir fourni des instructions et des encouragements, ce qui aurait abouti au massacre de nombreux Tutsi.
Pourquoi un procès en France ?
La justice française peut juger un étranger pour des faits commis à l’étranger et ce au nom de la compétence universelle. En droit, la compétence universelle est la compétence exercée par un État qui poursuit les auteurs de certains crimes, quel que soit le lieu où le crime a été commis, et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes. Ce genre de disposition sert à empêcher l’impunité pour des crimes graves, en particulier les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, qui seraient commis dans des régions particulièrement instables. En Belgique notamment, quatre affaires ont été menées sur le fondement de la compétence universelle. Ces procès ont abouti à la condamnation de huit individus pour crimes de guerre perpétrés au Rwanda en 1994.
Pourquoi une Cour d’assises et non pas le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) ? Ce dernier a été mis en place par l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, le 8 novembre 1994. Il a pour mandat de juger les présumés responsables d’actes de génocide commis au Rwanda entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 1994. Le TPIR, qui a un mandat limité, juge en priorité les plus hauts responsables du génocide. Les tribunaux nationaux, sont, eux, incités à poursuivre les autres responsables présumés se trouvant dans leur ressort.
Pourquoi maintenant ? Si Pascal Simbikanwa est aujourd’hui jugé, c’est parce que sa détention provisoire arrivait à son terme. Selon la loi, la détention provisoire ne peut excéder quatre années. Si au terme de ces quatre années, un procès n’est pas organisé, le prévenu doit alors bénéficier d’une remise en liberté. Or comme Pascal Simbikangwa n’offrait pas de garanties de représentation suffisantes, le risque de le voir disparaître était suffisamment important pour que le justice décide de le maintenir en détention et qu’il soit décidé de le renvoyer devant une Cour d’assises.
Dafroza et Alain Gauthier, chasseurs de génocidaires
« La justice, pas la vengeance », peut-on lire sur le site internet du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR). Tel est le credo de cette association pas comme les autres, qui mène depuis treize ans un inlassable combat pour traduire devant la justice française les présumés génocidaires rwandais réfugiés en France. La persévérance et l’obstination de ses enquêteurs ont fini par porter leurs fruits avec l’ouverture le 04 février prochain, devant la Cour d’assises de Paris, du procès de Pascal Simbikangwa, ancien capitaine de l’armée rwandaise accusé de complicité de génocide et de complicité de crimes.
Une première en France, ce procès s’inscrit dans la suite d’une quinzaine de procès qui se sont déroulés dans le monde, notamment en Belgique, mais aussi en Norvège, au Pays-Bas, au Canada et en Allemagne. En raison de ses relations compliquées avec Kigali, Paris pour sa part a longtemps hésité à donner suite aux plaintes déposées en France contre des présumés génocidaires installés dans l’Hexagone. C’est seulement en 2009 que le gouvernement français a décidé d’augmenter sensiblement les moyens du Parquet tant en personnel qu’en terme de budget pour permettre à la justice de traiter enfin les dossiers des génocidaires (création du «Pôle génocide»).
L’âme du CPCR
Le mérite de faire bouger les institutions judiciaires dans ce domaine revient en grande partie au couple Dafroza et Alain Gauthier. Ils sont l’âme du CPCR qu’ils ont fondé en 2001 après avoir assisté à Bruxelles au premier grand procès des génocidaires rwandais établis en Belgique. Lui, il est français, ardéchois et ancien professeur de français à la retraite. Elle est chimiste de profession et rwandaise issue de la minorité tutsie. Elle a fui son pays lors des attaques contre les étudiants tutsis dans les années 1970 pour venir s’installer d’abord en Belgique, puis à Reims en France, après son mariage avec Alain Gauthier.
La vie du couple a basculé le 7 avril 1994, le jour où a débuté le génocide au Rwanda, déclenché par l’attentat contre le président rwandais Juvénal Habyarimana. Entre 800 000 et 1 millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont été assassinés, massacrés à coups de machette ou abattus à bout portant. Leur seul crime était d’appartenir à la minorité tutsie, qualifiée par les extrémistes hutus au pouvoir à Kigali de « serpents » et de « cafards ». Les tueurs n’ont pas épargné non plus des Hutus modérés qui remettaient en cause la vision ethniciste du pouvoir.
Une grande partie de la famille de Dafroza Gauthier a disparu pendant la tuerie. Parmi les disparus, sa mère, abattue par un militaire hutu. Lorsqu’après le génocide, le régime change au Rwanda, l’homme doit s’exiler au Cameroun pour échapper à d’éventuelles poursuites. C’est en apprenant que le meurtrier de sa mère est mort à l’étranger sans jamais avoir été inquiété pour les crimes qu’il avait commis dans son pays, que Dafroza décidera de s’engager dans un combat de longue haleine pour que les responsables du génocide soient traduits en justice.
Pour le couple rémois commence alors un véritable travail de traque et de repérages des hutus exilés en France et soupçonnés d’avoir pris part au massacre. Partageant leurs vies entre le Rwanda et la France, ils enquêtent, rencontrent les survivants et les bourreaux, recueillent des témoignages, constituent des dossiers. Complémentaires et complices, le duo travaille en équipe, leur détermination rappelant la démarche des célèbres chasseurs de nazis Beate et Serge Klarsfeld. Ils déposent une vingtaine de plaintes et se portent partie civile dans 25 dossiers. Parmi les mis en cause, l’ex-Première dame du Rwanda, un prêtre, un médecin, un ancien préfet, un agronome, un ex-officier des services secrets, tous impliqués dans l’organisation de la tuerie. «Nous ne dénonçons personne sans preuves, nos dossiers sont étayés », a expliqué l’épouse Gauthier à la journaliste Maria Malagardis qui a consacré un livre passionnant à ce couple héroïque, intitulé Sur la piste des tueurs rwandais (Flammarion).
Le procès qui s’ouvre le 4 février devant la Cour d’assises de Paris est le résultat de cet acharnement. C’est aussi une victoire personnelle pour Dafroza et Alain Gauthier qui ont réussi à faire déboucher leur plainte sur des poursuites. Les Gauthier ne se réjouissent pas pour autant, car il ne s’agit pas pour eux d’une vengeance personnelle, mais d’une « quête de justice ». Une quête qui devra rester à jamais inaccomplie compte tenu du gouffre sans fond creusé par le génocide !
Tirthankar Chanda