Commandant de l’opération Barkhane depuis le 1er août 2018, le Général de division Frédéric Blachon a accordé une interview exclusive au Journal du Mali. Lutte contre le terrorisme, coopération avec les FAMa et le G5 Sahel, défiance de la population à son égard, le nouveau chef de Barkhane se prête à un exercice assez inédit pour cette force, présente au Mali depuis 2014.
Mon général, vous avez pris vos fonctions à la tête de la force Barkhane le 1er août 2018. Ces derniers mois, vos raids ont porté de grands coups aux terroristes. Votre prédécesseur affirmait même qu’il n’y avait plus de sanctuaire terroriste dans le pays. Pouvez-vous nous dire quelle est la situation un mois après votre arrivée ?
Tout d’abord, je suis très heureux de répondre à ma première interview à un journal malien depuis mon arrivée dans la bande sahélo-saharienne. En effet, Barkhane a obtenu de grands résultats dans sa lutte contre les groupes armés terroristes (GAT). Ces derniers n’ont pas totalement disparu, mais ils sont fortement affaiblis et désorganisés, car nous visons tant leurs chefs que leurs combattants ou leur armement.
Nous les frappons pour qu’ils ne disposent plus de sanctuaire et qu’ils ne soient plus en mesure de conduire des opérations d’envergure. Notre action dans la lutte contre les GAT est donc unanimement reconnue. Mais je constate aussi depuis mon arrivée que les succès de Barkhane s’observent dans bien d’autres domaines, comme le partenariat avec les FAMa et les autres forces partenaires et surtout les actions qui sont menées au profit de la population avec ces mêmes forces partenaires.
Certains observateurs y voient néanmoins des succès relatifs, les principaux chefs de ces groupes terroristes étant toujours dans la nature…
La menace de ces groupes ne se résume pas à leurs chefs, mais à leur capacité d’action. Dès lors que celle-ci est affaiblie, le gain est réel. Comme je vous l’ai dit, nous visons aussi les chefs. Cela peut prendre un peu de temps, mais nous arrivons régulièrement à en neutraliser. Ils peuvent encore frapper, comme ils l’ont fait malheureusement le 7 septembre à Boni, mais leurs stocks d’armement sont régulièrement détruits.
J’invite vos observateurs, qui semblent bien connaitre ces chefs, et la population, qui désire vivre en paix, à communiquer à Barkhane et aux forces partenaires toutes les informations qui nous permettront d’être encore plus efficaces. La sécurité, c’est bien l’affaire de tous !
Vous avez neutralisé récemment un chef, mais vous avez déploré au cours de ce raid la mort de 2 civils. Une investigation est ouverte. Qui la mène ?
Barkhane a effectivement mis hors de combat un chef important de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) qui avait commis de nombreux crimes à l’encontre de la population et des forces partenaires. Il ne faut jamais oublier de rappeler ces exactions et de les condamner, tout comme il faut condamner le comportement des terroristes qui s’abritent lâchement derrière les populations ou qui les attaquent sans discrimination.
C’est à cette lâcheté que Barkhane a été confrontée tout récemment. Comme vous le savez, elle a immédiatement annoncé que deux civils avaient malheureusement trouvé la mort lors de cette frappe qui a mis un terme à la cavale meurtrière de Mohamed Ag Almouner, l’un des chefs de l’EIGS.
Une analyse interne a montré que nos procédures strictes, visant à épargner les populations, ont bien été appliquées. Sa conclusion nous pousse à renforcer encore notre prudence avant action, pour ne pas alimenter l’immoralité de nos adversaires.
Barkhane semble s’être rapprochée de certains groupes armés signataires de l’Accord de paix afin de lutter contre le terrorisme. Pourquoi cette nouvelle approche ?
Il n’y a pas de solution à la situation qui soit totalement extérieure au Mali. En ce sens, Barkhane est un appui, mais pas la solution. La solution appartient au Mali, à ses forces armées, à sa population et, d’une certaine manière, à tous les Maliens de bonne volonté. En signant l’Accord pour la paix et la réconciliation, ces groupes ont témoigné de cette bonne volonté. Si celle-ci est sincère, et qu’elle est démontrée par les faits, il n’y a pas de raison de ne pas associer ceux qui en font preuve. Le Mali a besoin de toutes les forces utiles pour se débarrasser de la menace terroriste.
Le récent rapport de l’ONU, qui fait état de l’implication de certains membres de ces groupes dans des actions terroristes, pourrait-il rebattre les cartes ?
Bien sûr. Comme je vous le disais, la situation exige un engagement sincère, prouvé par les faits. Ceux qui démontrent le contraire s’excluent de la solution pour appartenir au problème. Et, comme pour les groupes terroristes, le moment où la justice demande des comptes finit toujours par arriver.
Des informations font état de manipulations de Barkhane de la part de ces « nouveaux alliés »…
Barkhane n’est ni manipulée, ni manipulable, et ceux qui disent le contraire mentent. Il arrive toujours un moment où l’ambiguïté n’est plus possible. Ceux qui auront joué risquent fort de tout perdre. J’invite donc ces joueurs éventuels à bien réfléchir et à prendre rapidement des décisions qui préserveront leurs intérêts sur la durée. Dans mon esprit, ces intérêts vont de pair avec la préservation de la paix et avec la conformité à la loi malienne.
La coopération avec les populations est très importante dans la lutte contre le terrorisme. Ces dernières ont, vers la fin de 2017, manifesté une certaine défiance à l’égard de Barkhane. La situation a-t-elle évolué favorablement depuis ?
C’est parce que Barkhane est impartiale et efficace qu’elle gêne tous ceux qui n’ont pas d’autre projet que de vivre aux crochets de la population. Ainsi, de manière cyclique, Barkhane est attaquée, sous la forme de désinformations et de manifestations dont la mise en scène grossière devrait attirer l’attention, notamment des journalistes.
La situation que nous rencontrons sur le terrain est bien meilleure que ce qui est parfois publié et notre force est globalement bien acceptée. Il suffit de le demander aux populations. Nos échanges ne se limitent pas aux autorités locales et les populations voient les actions qui sont entreprises pour améliorer leur quotidien.
La force Barkhane est ici à la demande de l’État malien, au service de la sécurité de tous les Maliens, et s’efforce chaque jour, au péril de la vie de ses soldats, d’améliorer la situation. Elle s’efforce, là où elle est présente, de reconstruire les conditions nécessaires au retour d’une vie normale pour les habitants. Ici en creusant un puits, là en rebâtissant une école ou un pont, là en électrifiant une laiterie…
Notre mission est globale et le développement y prend une place grandissante. Un chargé de mission développement est d’ailleurs depuis quelques jours à mes côtés, dont l’action sera visible dans les mois à venir.
La mission de Barkhane étant de lutter contre le terrorisme, comment expliquer que la force ne soit pas plus opérante au centre du Mali ?
Le centre du Mali n’a malheureusement pas le monopole de la présence de GAT ou de groupes menaçant la sécurité des populations. Il y a donc eu un partage des zones d’actions en totale transparence avec les hautes autorités maliennes : les FAMa dans le centre, Barkhane dans le Nord. D’ailleurs, depuis mon arrivée, j’ai pu constater l’efficacité des forces de défense et de sécurité maliennes dans le domaine de la sécurisation, notamment pendant cette période électorale.
Le Président Macron a fait savoir que les récentes actions devaient se dérouler en « complétant Barkhane ». Quelle est la priorité pour votre force ?
Barkhane est une force militaire. Sa principale action se situe donc dans le champ militaire. Toutefois, nous savons que la solution durable ne se situe pas seulement là. Par le soutien au développement, tout d’abord, nous entendons donner une impulsion susceptible de recréer les conditions d’une vie normale. Cette impulsion doit être poursuivie, approfondie et c’est le travail d’autres acteurs. Certains sont déjà à l’œuvre. Enfin, le retour à la sécurité ne peut advenir qu’en faisant abandonner à tous le champ de la violence pour entrer dans le champ politique. Il y a donc là aussi un travail à accomplir pour inciter tous les acteurs à réformer leurs méthodes pour être entendus. C’est le jeu démocratique : l’abandon des armes pour entrer dans la confrontation des idées et des faits.
Cinquante militaires estoniens sont venus renforcer Barkhane. Peut-on y voir les prémices d’un engagement européen plus soutenu auprès de cette force ?
Comme vous l’avez remarqué, il ne s’agit plus de prémices, mais d’une réalité. Les pays de l’UE sont déjà présents au sein de Barkhane. Les Britanniques mettent en œuvre des hélicoptères lourds à partir de Gao, mais vous avez également l’Espagne, par exemple, qui participe au transport aérien au profit de Barkhane. Il y a également les contingents qui arment la MINUSMA et dont nous soutenons la mission. Je pense aux Allemands notamment. Je peux témoigner de leur efficacité sur le terrain au profit de la paix au Mali et dans la région. Car, comme l’ont bien compris les pays de la bande sahélo-saharienne en se regroupant au sein du G5 Sahel, l’union renforce l’efficacité de la lutte contre le fléau commun.
A n’en pas douter, d’autres pays européens viendront certainement nous rejoindre.
Comment se déroule la coopération avec les FAMa, qui semblent ne pas être très associées dans les opérations menées par Barkhane ?
C’est tout l’inverse, en réalité. Les FAMa sont nos partenaires. Nous nous engageons pleinement dans leur entrainement opérationnel avant de conduire des opérations ensemble. Le partenariat militaire opérationnel est une vraie réussite et nous combattons ensemble, en apportant quelques fonctions opérationnelles, comme du renseignement, certains appuis aériens et parfois un complément logistique.
Quel rôle Barkhane joue-t-elle auprès de la force G5 Sahel ?
La France, vous le savez, mais aussi l’Europe, et plus largement l’ensemble de la communauté internationale, soutiennent totalement la création et l’action de cette force, souhaitée par les pays membres du G5 Sahel et qui représente une réponse à la menace transfrontalière que représente le terrorisme. Face à cette menace, qui se joue des limites entre États, la Force Conjointe G5 Sahel constitue d’ores et déjà une capacité d’action crédible. Barkhane, depuis sa création, lui a apporté son soutien dans sa montée en puissance par des actions de formation, d’assistance ou d’entrainement. Elle l’a également épaulée lors de ses opérations. Barkhane poursuivra cette action avec détermination.
Journal du mali