Le jeune chef franco-malien a intégré la nouvelle saison de Top chef, concours culinaire haut de gamme. Cet habitué des palaces parisiens ouvrira prochainement son propre restaurant gastronomique pour y défendre ses racines africaines.
«Pour les Maliens, je suis Français. La plupart d’entre eux pensent que la diaspora et la deuxième génération sont désintéressées par le Mali. Que nous sommes déconnectés. Mais ce n’est pas vrai !». Mory Sacko revendique ses racines, sa culture. Le jeune chef, qui se distingue dans «Top chef, l’émission gastronomique emblématique de la chaîne française M6, «veut rendre à ses parents et au Mali ce qu’il a reçu en héritage». «Je veux leur rendre hommage par ma cuisine». À 27 ans, le cuisinier a pourtant un parcours professionnel bien loin de la table africaine. Sixième d’une famille de neuf enfants, la cuisine était le «territoire» de sa mère. Celle-ci, originaire du quartier d’Hamdallaye à Bamako, est née en Côte d’Ivoire, a vécu au Sénégal avant d’arriver au Mali. De ses résidences africaines, elle en a gardé une cuisine métissée, de l’attiéké ivoirien au tiep sénégalais, les sauces feuilles et le yassa. La cuisine africaine pour Mory, c’est donc avant tout des souvenirs d’enfance, des repas partagés en famille. Mais pas derrière les fourneaux. C’est la télévision qui va l’orienter vers la cuisine. «Je voyais les palaces, l’exigence, l’excellence et c’est ce dont j’avais envie», assume-t-il. Alors, quand la question se pose à la fin du collège de ce qu’il fera comme études, la réponse est vite trouvée : ce sera cuisine. BEP cuisine puis bac pro arts culinaires en poche, il intègre immédiatement les plus beaux palaces parisiens : le Royal Monceau, le Shangri-La et il y a deux ans, le restaurant doublement étoilé de Thierry Marx au Mandarin Oriental. La cuisine qu’il y pratique est sobre, élégante, moderne. Très loin des classiques africains.
«Les Africains sont attachés à la convivialité, la générosité des plats, des plats uniques qu’on partage. Mais je pense qu’il est tout à fait possible de travailler des produits africains en gastronomie, de retenir certaines saveurs, le fumé, les épices, de faire découvrir ces goûts». Bientôt, il franchira le cap. Il mise sur la visibilité donnée par Top Chef pour ouvrir à Paris son propre restaurant aux saveurs africaines. «Je veux une cuisine élégante, bonne, gastronomique. J’ai envie d’innover, de donner ma vision, mon interprétation de la cuisine africaine, de travailler les produits». Et s’il reconnaît que les puristes ne s’y retrouveront peut-être pas, il balaye du geste : «Mon poulet yassa ne sera peut-être pas Le poulet yassa, mais ça sera mon interprétation. Je veux faire la synthèse entre la cuisine de mon enfance et la technique que j’ai apprise auprès des meilleurs. Je ne peux pas faire l’un sans l’autre».
RESPECT ET FAMILLE-Le jeune chef, né en banlieue parisienne, aujourd’hui, rêve. Son parcours déjà riche, sa présence à Top Chef, la prochaine ouverture de son restaurant sont une suite logique. «Être reconnu dans le métier, en France – ce qui veut dire dans le monde en matière de gastronomie – c’est faire partie de l’élite, grimper dans l’échelle sociale». Mais il garde la tête froide. Sa mère n’était pas enthousiaste à l’idée qu’il devienne cuisinier. «La notion de famille est hyper importante. Ce métier laisse peu de disponibilité. Elle ne voulait pas que je sacrifie ma vie de famille». Aujourd’hui, en couple, il reconnaît «qu’on attendra un peu pour les enfants, avec tout ce qui se passe pour moi en ce moment !». Il reste néanmoins très proche de sa famille. «Je suis tonton depuis plus de vingt fois déjà ! » lance-t-il fièrement. Et d’insister «quand on n’a pas d’argent, on a la famille». Une valeur reçue de son éducation, «avec le respect, que je mets tout en haut de la liste ! Mon père m’a toujours dit que si je croisais un Soninké, je devais le traiter comme s’il était mon père ! » Et le jeune homme s’amuse : «En cuisine, à Paris, il y a beaucoup de commis, de plongeurs africains. Ceux qui sortent des grandes écoles sont surpris de voir comment je me comporte avec eux».
Malien de cœur, il ne veut pas s’étendre sur la situation du pays de ses parents. «Je ne me sens pas légitime, même si je pense que c’est un énorme gâchis. L’instabilité du Mali ne peut pas non plus être imputée aux seuls Maliens», se contente-il de remarquer. Si ses parents essayent de retourner au pays tous les étés, lui n’est pas parti depuis presque vingt ans. Il rêve aujourd’hui d’être invité à cuisiner à Bamako, pour «représenter la jeunesse franco-malienne» et montrer dans le pays de ses ancêtres comment il peut «sublimer une cuisine africaine revisitée».
Source : Le Jalon Avec L’ESSOR