Le maintien de la force française Barkhane ainsi que la multiplication de bases militaires occidentales au Sahel se fait-elle au détriment de l’opérationnalisation de la force régionale mixte du G5 Sahel ? La question mérite d’être posée et engendre déjà des interrogations légitimes au regard de la situation qui prévaut dans la zone sahélienne principalement dans la zone frontalière du septentrion Malien qui s’étend au Niger et au Burkina. Dans cette zone où les attaques des groupes terroristes reviennent fréquemment au devant de l’actualité depuis quelques mois avec en toile de fond une amplification des menaces et de la contagion vers les pays voisins, la force de riposte régionale que les chefs d’Etat des cinq pays membre du G5 Sahel (Burkina, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) ont décidé de mettre en place depuis des mois, peine à devenir opérationnelle. A vrai dire et selon les derniers détails, il reste encore du chemin à faire pour voir les nouveaux soldats de maintien de la paix aller au cœur de la menace, dans le nord Mali, pour déloger les terroristes qui sont en train de s’installer et de se réorganiser comme l’atteste la recrudescence des attaques au Mali mais aussi au Niger et au Burkina ces derniers jours.
De retour du sommet du G7 qui vient de se tenir en Italie où il est parti solliciter le soutien financier de la communauté internationale, le président nigérien Mahamadou Issoufou a confié au journal français JDD que « le projet d’une force mixte multilatérale du G5 Sahel a été avalisé par le Conseil de sécurité de l’Union africaine, il reste à être validé par le Conseil de sécurité de l’ONU ». Autant dire qu’il va falloir encore attendre tout un long processus pour que l’initiative passe du stade de projet à du concret même si le chef d’Etat nigérien a affirmé avoir « obtenu le soutien de l’ensemble des pays du G7, non seulement sur cette force conjointe, mais aussi pour le développement ».
Cette force conjointe des pays du G5 Sahel dédiée au nord du Mali n’est pas encore opérationnelle, c’est le lieu de lancer un appel au G7 et à l’ONU pour la doter des moyens nécessaires en vue de la réussite de sa mission. Mahamadou Issoufou
Il y a pourtant urgence sur le terrain comme le démontre l’attaque qui a visé, le samedi 27 mai, un poste de police nigérien située dans « la zone rouge » et qui s’est soldée par la mort de 3 personnes dont deux civils. L’attaque menée par des assaillants dont il est inutile de spéculer sur l’identité et qui ont également emporté du matériel fait suite à une série d’autres attaques de plus grandes ampleurs enregistrées ces dernières semaines au Mali, au Burkina et au Niger avec à chaque fois, le même mode opératoire c’est-à-dire les forces de défenses comme cible.
Barkhane à la rescousse, la MINUSMA encore trop impuissante
C’est le cas de le dire, alors que la Force mixte des pays du G5 Sahel attend le feu vert du conseil de sécurité de l’ONU, les groupes armés et autres bandes terroristes continuent à monter en puissance surtout au regard des armements qu’ils ont pu accumuler lors de leurs opérations dont certaines sont loin d’être de simples coups d’éclat. En dépit de certaines opérations de ratissage de la force française Barkhane dont les résultats ont été qualifiés de « succès » par la hiérarchie militaire, les autres forces sur le terrain sont encore trop faibles voire impuissantes face à l’ardeur des terroristes. C’est le cas principalement au Mali, foyer des menaces, où l’armée du pays encore en reconstruction cède de plus en plus de terrain alors que les casques bleus de la MINUSMA restent confinés dans leur rôle de « force de maintien de la paix », une posture loin de convenir à la situation qui prévaut dans la région. Malgré le mandat offensif qui leur a été il y a plus d’un an par le Conseil de sécurité, « la MINUSMA ne dispose toujours pas de moyens nécessaires à l’exécution de son mandat » a d’ailleurs regretté ce lundi le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, à l’occasion de la célébration ce 29 mai de la journée internationale des casques bleus. Le résultat sur le terrain n’est guère reluisant puisqu’en trois ans de présence dans le pays, 87 casques bleus ont été tués suite à des attaques et des embuscades selon le décompte du représentant spécial adjoint de mission onusienne, Koen Davidse. La dernière attaque remonte à moins d’une semaine lorsqu’un contingent de la force onusienne en patrouille a été pris pour cible par des présumés terroristes près de la localité d’Agulehok dans la région de Kidal. L’attaque a fait deux morts, deux casques bleus tchadiens et elle porte à cinq, le nombre d’attaques qui ont visé la mission à Tombouctou et Gao rien que pour ce mois de mai.
Le Burkina et le Niger, régulièrement ciblés également par ces attaques, tentent tant bien que mal de contenir les menaces et surtout tout risque d’installation de « Katiba » sur leur sol, mais avec peu de moyens, le combat semble des fois inégal. D’autant plus qu’ils devront faire face à d’autres foyers de tensions sécuritaires comme c’est le cas pour le Niger avec la poudrière libyenne au nord et Boko Haram dans le sud-est du pays.
Présence militaire occidentale renforcée
Devant cette situation qui ne fait qu’empirer de jour en jour et surtout le manque de réactivité de la communauté internationale, des questions commencent à resurgir au niveau de l’opinion sahélienne. Les pays développés sont-ils vraiment disposés à assister véritablement les pays sahéliens pour qu’ils puissent véritablement prendre en charge leurs défis sécuritaires ?
Des questions sommes toutes légitimes d’autant plus qu’en parallèle cette absence de réactivité à temps des pays occidentaux, leur présence militaire se renforce de plus en plus dans le Sahel. C’est le cas particulièrement au Niger, un pays qui est train de devenir une véritable base arrière militaire occidentale puisque l’Italie vient à son tour d’annoncer la construction d’une base militaire dans le nord du pays. Officiellement, il s’agit de la lutte contre le terrorisme et le trafic des migrants mais le pays et la zone sahéliennes n’ont-ils pas assez accueillis de bases militaires étrangères sur leur territoire surtout que jusque-là cette présence a plus brillé par son inefficacité au vu du terrain gagné par les bandes armées dans la région ?
En plus des éléments de la force Barkhane positionnés au niveau de différents postes militaires du pays, les français disposent également et depuis 2014, d’une base de drones installée sur la zone militaire de l’aéroport de Niamey mais également d’une base avancée à Madama dans le nord-est du Niger à quelques encablures de frontière libyenne.
Les Etats-Unis sont également présents dans le pays d’abord à Niamey et en 2016, Washington a entamé la construction d’une grande base militaire à Agadez toujours dans le nord du pays à partir de laquelle décolleront des drones MQ-9 Reaper pour des opérations dans la zone sahélienne et au delà.
Il y a quelque mois, en octobre dernier, c’est au tour de l’Allemagne de convenir avec les autorités nigériennes, de l’édification d’une base militaire de soutien logistique à la MINUSMA près de la capitale.
Et voilà que l’Italie s’y met aussi, ce qui est de nature à renforcer la présence militaire occidentale dans la bande sahélienne puisque le Mali accueille lui-aussi plusieurs bases étrangères même si la situation est un peu différente dans ce pays dont une partie a été mise sous coupe réglée par les groupes terroristes.
Devant cet état de fait, ils sont beaucoup dans les pays de la région à se poser des questions sur les véritables enjeux de cette présence militaire occidentale qui se renforce au Sahel et dont les contours demeurent encore flous pour l’opinion au vu de l’opacité avec laquelle les accords sécuritaires sont entérinés. En attendant, la mise en place de la force militaire du G5 reste elle-même sujette à caution puisque tributaire du bon vouloir de la communauté internationale et de son appui financier.
Devant l’amplification des menaces, les pays du G5 pourront également renforcer leurs opérations conjointes comme c’était le cas pour la Task Force régional qui a fait ses preuves contre Boko Haram grâce à une mutualisation des efforts des quatre pays frontaliers du Lac Tchad (Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad), ce qui a permis d’affaiblir considérablement la capacité de nuisance de la secte islamiste.