Il s’est excusé. En fallait-il davantage ? Peut-être. Mais l’Afrique du Sud en a bien fini avec la Commission Vérité et Réconciliation. Dans ce pays où, depuis le départ du pouvoir de Mandela, le leadership (en particulier de Jacob Zuma) a tant déçu, peut-être faut-il simplement savoir gré à cet homme qui, malgré ses imperfections, a été à l’origine de tout le bouleversement historique qui a permis la Nouvelle Afrique du Sud, juge Jean-Baptiste Placca cette semaine.
Avec la disparition de Frederik de Klerk, l’opinion africaine est plus que jamais divisée sur son action et la place que doit lui concéder l’Histoire. Comment comprendre que les positions soient aussi irréconciliables, entre ceux qui ne voient en lui qu’un pur produit de l’apartheid dans toute sa violence, et ceux pour qui il est, justement, celui qui a démantelé l’apartheid ?
Il est toujours plus aisé, des décennies après les événements, de venir expliquer comment il aurait fallu procéder. L’environnement dans lequel est né Frederik de Klerk baignait, depuis le milieu du XVIIème siècle, dans la ségrégation raciale. C’était d’autant plus violent les Blancs vivaient dans la peur d’être envahis par les Noirs. Ils estimaient être chez eux, avec plus de droits que les Noirs, qu’ils avaient trouvés là. Ces derniers se défendaient, quand il le fallait, avec leurs moyens, et le sang a beaucoup coulé.
Frederik de Klerk avait douze (12) ans, lorsque ce système est devenu officiellement un racisme d’État, dans lequel il grandira, prospérera, notamment en politique, au point de finir par accéder à la magistrature suprême, en 1989. Dès l’année suivante, il libère de prison Nelson Mandela, incarcéré depuis vingt-sept ans. Ensemble, ils commencent à démanteler le système d’apartheid. Cette collaboration épargnera au pays l’embrasement et la destruction que tous lui prédisaient.
Ce n’est donc pas par les armes que l’on est parvenu à vaincre l’apartheid. Les rares succès remportés, en trente années de lutte, par Umkhonto we Sizwe (MK, la branche militaire de l’ANC) demeurent anecdotiques. Les sanctions économiques ont, par contre, affaibli le régime, avant qu’il ne se saborde, à l’instigation de De Klerk.
Chacun peut, après-coup, venir bomber le torse, en prétendant qu’il s’y serait illustré comme résistant. Pour quelques poignées de braves et de héros, combien de poltrons, de complices, peut-être même de «collabos», comme il y en a tant, avec certains régimes peu recommandables, qui sévissent aujourd’hui en Afrique !
Cela dispense-t-il de questionner les zones d’ombre de la vie de De Klerk ?
Peut-être pas. Mais, il faut savoir distinguer, dans une longue carrière politique, les actes positifs des faiblesses, le meilleur du moins bon, sans totalement absoudre. Pour ce qui est de la perfection, l’Histoire se chargera de déterminer qui s’en est le plus rapproché.
Mais l’apartheid, c’est aussi lorsque des Africains, noirs, écrasent d’autres Noirs, les assignent à un ghetto matériel ou psychologique, parfois avec une férocité qui n’a rien à envier à ce que les tenants de l’apartheid faisaient subir aux Noirs et autres non-Blancs d’Afrique du Sud (et de Namibie). Voilà pourquoi il faut prendre garde à ne pas dénier à Frederik de Klerk le courage d’avoir mis fin, envers et contre les siens, à un système qui l’a vu naître.
N’est-ce pas un peu excessif d’assimiler, ainsi, certaines pratiques politiques, en Afrique, à l’apartheid ?
L’apartheid privait une majorité de citoyens de leurs droits fondamentaux. Les conséquences sont-elles si différentes, lorsqu’une minorité confisque le pouvoir d’État, monopolise les avantages et les privilèges qui vont avec, marginalise une partie de la population, et exclut de l’essentiel tous ceux qui refuseraient de se soumettre, ne seraient pas du bon parti ou de la bonne région ? C’est une forme insidieuse d’apartheid, que de condamner à une paupérisation sans issue l’immense foule des récalcitrants, en faisant couler, au besoin, le sang, comme au temps glorieux de l’apartheid en Afrique du Sud.
Voilà pourquoi on peut être quelque peu circonspect, lorsque ceux qui acceptent ou participent à ces formes insidieuses d’apartheid viennent sommer l’opinion de pendre le cadavre de Frederik de Klerk.
Jean-Baptiste Placca
Source : rfi.fr